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par Alain Lipietz | 7 mai 2011

Très brève histoire de l’écologie politique en France
Intervention devant le congrès de Europe Ecologie -Les verts des Pays de Loire, la Pommeraye

Chères et chers ami-e-s,

Merci à toutes et à tous pour votre invitation. C’est pour moi un très grand plaisir de revenir à Angers : c’est là que j’ai commencé à militer après le Joli Mai 68. Et dés 68, à Nantes, on faisait une manif pour la libération des bords de l’Erdre : j’ai commencé très vite le militantisme écologiste !

Cela dit, s’il est clair que la construction de l’écologie politique en France s’enracine dans mai 68, la composante implicitement écologiste de mai 68, on ne la voit que rétrospectivement ! Le mouvement de mai 68 ne se disait pas « écologiste ».

Qu’est-ce qu’il y avait d’écologiste dans mai 68 ? Il y avait évidemment tout son aspect libertaire : la résistance à l’autoritarisme gaulliste, aux technostructures, aux méga-outils comme EDF… Il y avait déjà une remise en cause de la façon de produire, avec le rapport « ingénieur/ouvriers spécialisés » ( par exemple, à Angers, c’était la critique de la Thomson). Bref, il y avait toute une série de contenus, plus « nouvelle gauche » que proprement écologistes. « Nouvelle gauche », c’est-à-dire une remise en question de la gauche PC/PS qui allait s’unir dans le « Programme commun ». Nous y réinjections une critique de l’Etat, une critique des méga-outils, une critique de la façon de travailler, et déjà peut-être une critique des buts du travail. Avec des mots d’ordre du genre « Métro, boulot, dodo, y’en à marre ! », significatifs d’un certain refus du productivisme, et de l’échange du sacrifice de sa vie au capital, en contrepartie de la société de consommation.

Tout cela vivait très fort dans mai 68, mais ne se reconnaissait pas « écologiste », au sens où l’on peut vraiment parler d’écologie politique quand on parle du rapport triangulaire entre les individus, leur vie en société, et l’environnement que façonne cette société et qui est la condition d’existence de ces individus.

Alors, quand est pris le tournant où l’on commence à se dire écologiste ? Ça commence du côté des scientifiques, et c’est l’un des problèmes de l’écologie en général, et l’écologie politique en France : c’est une critique du réel qui part des scientifiques. Elle se concrétise avec la participation assez importante de savants français à la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement, à Stockholm, en 1972. S’y affirme l’idée que les modèles de développement productivistes, que ce soit l’American Way of Life promue à l’Ouest, avec la société de production de masse et de consommation de masse (ce qu’on allait appeler le Fordisme), ou que ce soit le modèle soviétique d’asservissement de la nature, déréglaient la planète. Et la recommandation qui en ressort, c’est « l’écodéveloppement ». Un mot qui évoque plutôt les idées de technologies adaptées dans le Tiers Monde, et d « Small is beautiful » dans le monde développé. C’est plutôt du « concret local », avec l’idée que la crise globale, c’est des crises locales qui se reproduisent partout (comme l’urbanisation non maîtrisée). On va découvrir, quelques années plus tard, la spécificité des « crises globales », comme la destruction de la couche d’ozone ou l’effet de serre, où la cause peut être, par exemple, aux Etats Unis, et la conséquence au Bangladesh. Mais on n’en parle pas encore, en 1972.

Du point de vue politique, en France, il y a donc à cette époque une contestation de la « nouvelle gauche », il y a l’apparition chez les scientifiques d’une préoccupation environnementale, et il commence à y avoir des associations d’environnement, la plus puissante de toutes étant la Frapna (Fédération Rhône-Alpine de Protection de la Nature). Il est significatif que le meilleur résultat d’Europe Ecologie aux élections régionales de 2010, c’est toujours Rhône-Alpes !

Le premier à passer explicitement au politique, à la mort inattendue du Président Georges Pompidou en 1974, est René Dumont. Il a plutôt le profil des experts qui ont participé à la Conférence de Stockholm, ces grands savants de classe internationale qui nous disent « ça ne va plus, il faut faire autre chose ». Il y a le célèbre geste de René Dumont dans sa campagne présidentielle : « Vous voyez ce verre d’eau ? Un jour, de l’eau potable, il n’y en aura plus assez pour la planète ». Qu’est-ce qui caractérise René, et en quoi a-t-il marqué durablement l’écologie politique en France ? Dans un même temps : c’est un homme de gauche - il est au PSU (Parti Socialiste Unifié) - et c’est un immense agronome. C’est un spécialiste du Tiers Monde, il arpente la planète dans tous les sens depuis les années 50. C’est un savant qui fonde son engagement sur une autocritique : en 1950 il avait publié un livre, Les leçons de l’agriculture américaine, où il prônait l’agriculture intensive. Il fonde l’écologie sur un certain standard de sérieux. C’est un mondialiste, un pacifiste et un tiers-mondiste.

Tout cela nous sort un peu de l’écologie type Frapna : la campagne Dumont branche le militantisme environnementaliste sur la démarche des savants de Stockholm, il fait aussi la liaison avec la nouvelle gauche… Donc on a à peu près tout ce qui va donner l’écologie politique en France, Il ne nous manque plus qu’un point : l’urgence politique (car le discours de Dumont reste avant tout pédagogique). L’urgence politique va surgir avec la crise du pétrole, qui n’est pas du tout de la même nature que celle d’aujourd’hui. À la faveur de la guerre Israélo-arabe de 1973, les pays arabes exportateurs de pétrole décrètent un embargo sur la livraison de pétrole. Pénurie strictement politique (et non géologique : personne ne dit qu’il n’y a déjà plus assez de pétrole), qui leur permet de modifier le prix du pétrole et ses bénéficiaires. Mais on redécouvre que l’accès aux matières premières est quelque chose de sérieux, et surtout qu’elles sont épuisables.

En France, la réponse à ce défi, promue par l’Etat extrêmement centraliste et le régime hérité du Général de Gaulle, c’est le tout-nucléaire. Et du nucléaire de pointe, avec Superphénix. Et donc, en 1977, la guerre commence, avec cette terrible confrontation à Malville où les manifestants déplorent un mort et plusieurs blessés graves. L’affrontement violent aux policiers qui défendent le nucléaire va doucher durablement le mouvement anti-nucléaire : on ne sort pas du nucléaire par des manifs. Mais, dès lors, la question écologique devient une question politique, une question de pouvoir.

René Dumont avait fait campagne pour faire de la pédagogie écologiste. Il a eu quelques centaines de milliers de voix, il ne pensait pas vraiment qu’un jour il faudrait que les écologistes accèdent au pouvoir pour transformer la société française (et par exemple arrêter Superphénix). En 1977, l’affrontement à l’Etat pour le contraindre à des politiques publiques différentes, permettant un autre modèle de développement que ce modèle nucléarisé, pose la question du pouvoir.

Pour les militants associatifs se pose la question : « Qu’est ce qu’on fait après la campagne Dumont ? » L’élection présidentielle est attendue pour 1981, mais il y avait les municipales de 77, l’élection législative de 78… Et la leçon de Malville, c’est qu’il faut maintenant intervenir sur la scène politique pour changer les politiques publiques, et pas seulement faire de l’associatif environnemental, anti-nucléaire, pacifiste, tiers-mondiste, syndicaliste autogestionnaire. Il faut intervenir sur la scène politique, et pas seulement pour faire de la propagande, mais vraiment pour infléchir l’exercice du pouvoir.

Cette maturation aboutit à l’étape de « l’écologie biodégradable ». On ne crée pas un parti, on tient des assemblées générales d’écologistes la veille des élections, locales pour les élections municipales de 1977 ou législatives de 81, nationales pour l’élection présidentielle, afin de choisir les candidat-e-s. Les écologistes vont ainsi désigner Brice Lalonde (alors encore proche du PSU) comme candidat en 1981. Mais une fois les élections terminées, chacun retourne qui à son association, qui à son syndicat.

Cela commence à évoluer lorsque les Grünen allemands se constituent en parti et remportent leurs premiers succès. Les Grünen, comme les Italiens et les « Jeunesses communistes » de l’Est, sont surtout branchés sur la lutte contre les euromissiles et les SS20. Ce fut une grande crise politico-diplomatique en Europe, due au déploiement de ces fusées tactiques capables de porter des missiles nucléaires : la bombe atomique cessait d’être « de dissuasion » mais pouvait devenir une arme du champ de bataille. La mobilisation contre les euromissiles devint, en Allemagne, un ferment de la création du parti Vert : elle joua le rôle du nucléaire en France.

Les Verts Allemands se présentent aux élections européennes de 1979 et ont des élus : pour la première fois des Verts entrent dans les institutions. Et comme, en Allemagne, il y a aussi la proportionnelle aux législatives, les Grûnen occupent des places à tous les niveaux territoriaux et nous incitent à nous constituer en parti à vocation électorale. Car ils viennent nous aider : Dany Cohn-bendit, qui passe nous voir régulièrement, Frieder Wolf et quelques autres parlant bien le français, seront les accoucheurs de l’écologie politique française.

Dans tout ce qui grenouillait en France à l’époque de l’écologie biodégradable, il y avait déjà plusieurs regroupements, les Amis de la terre, le Mouvement d’écologie politique, le Parti écologiste (déjà !)… Et finalement, en 1984, sous la pression des amis allemands et sous la pression de ceux qui étaient les plus « partidaristes », on se dit « Allez, on crée un parti ».

Ce parti est d’abord minuscule. Pour vous donner une idée : en 1986, il a 3 adhérents dans toute la Seine-St-Denis, et les Verts doivent constituer 2 listes (il y avait cette année-là la proportionnelle par listes départementales aux législatives comme aux régionales) et donc le parti Verts recrute des… « ouvertures » pour faire ses listes. J’étais un intellectuel indépendant : je suis recruté tête de liste aux législatives. Je resterai un coopérateur avant la lettre jusqu’en 2008.

Vous voyez donc que l’ouverture, c’est pas d’hier, dans le parti Vert ! A l’époque, c’était 17 non-Verts pour 3 Verts sur les listes départementales, aux municipales c’était parfois 45 non-Verts pour 3 Verts. Le parti Verts est créé, mais il est totalement incapable de stabiliser un ensemble de militants, même pas ceux qui sont prêts à faire une campagne électorale avec lui, à figurer sur ses listes !. C’est donc un problème qui se pose dés le début : le parti Vert apparaît tout de suite comme le parti de ceux qui n’aiment pas les partis. C’est très embêtant pour recruter ! Premier problème sur lequel je reviendrai plus loin.

Second problème : le rapport avec la « vieille gauche ». Nous sommes au début des années 80. On a une relation conflictuelle avec Mitterrand et le gouvernement socialo-communiste, toujours sur la question du nucléaire. Le mouvement écologiste biodégradable était redevable à l’élection de Mitterrand de quelques réels succès (d’ailleurs explicitement négociés entre les deux tours) : la réduction du temps de travail avec surtout la retraite à 60 ans, l’abandon de 2 sites importants de centrales nucléaires, dont Plogoff, l’abandon du camp du Larzac… Mais l’Affaire du Rainbow Warrior accélère la prise de distance. Par ailleurs le PS ne se considérait pas du tout redevable aux voix des écologistes pour son propre succès électoral…

À la fin des années 80, surtout sous la première cohabitation (Chirac est Premier ministre de 86 à 88), le besoin se fait donc sentir de définir quelle est notre relation à cette gauche socialiste, qui a été capable de capter une bonne partie du « gauchisme culturel » post-68ard, cette petite bourgeoisie salariée qu’on n’appelle pas encore les « bobos », vaguement écologistes dans l’âme, mais qui s’est ralliée aux socialistes. Et petit à petit, un mouvement de réflexion dans toute une série de revues et colloques définit progressivement « qu’est ce que c’est, être écologiste », par delà le fait qu’on aime protéger la nature, on est solidaire du Tiers-monde, on est féministe, on est pour plus de responsabilité dans le travail et plus de temps libre, etc… Ces contenus, on les connaît, mais qu’est ce qui fait que tout ça colle ensemble ? Et la réflexion de ces années-là débouche sur un ensemble de valeurs articulées en une trilogie : autonomie, solidarité et responsabilité, régulée par la démocratie participative.

Vous voyez qu’autonomie ressemble un peu à liberté, solidarité ressemble à égalité, responsabilité ressemble à fraternité. C’est un retravail sur tous les idéaux républicains et socialistes issus de la Révolution et du mouvement ouvrier du 19ème et 20ème siècle. C’est un socle de valeurs pour le 21ème siècle. « Autonomie » est un terme un peu philosophique, kantien : ce n’est pas la liberté de faire n’importe quoi, c’est être capable de maîtriser ce qu’on fait, voir le bout de ses actes. « Solidarité », ce n’est pas l’égalité des chances au départ, ce n’est pas non plus le nivellement à l’arrivée, c’est que la communauté, à tout moment, doit veiller à ne laisser personne abandonné au bord du chemin. Et « Responsabilité », ce n’est pas seulement veiller sur mon frère, c’est penser dans chacun de mes actes aux conséquences que ça peut avoir sur la vie à l’autre bout de la planète, sur la vie dans les générations futures… C’est la valeur de fraternité poussée à l’extrême, car elle inclut tout l’écosystème, pour aujourd’hui et pour demain.

Cette notion de responsabilité est la plus caractéristique de l’écologie politique, mais elle ne nous dispense pas de penser quel est notre rapport aux mouvements de transformation sociale du temps passé : le libéralisme politique et les républicains du 18ème/19ème siècle, les socialistes du 19ème/20ème siècle, et leurs héritiers : les vieilles gauches - le parti radical, le parti socialiste, le parti communiste. Qu’est ce qu’on fait avec eux ?

Du fait que ces partis sont au pouvoir au long des années 80, ça ne se passe pas très bien, je l’ai dit. Les socialistes sont super-productivistes, et de plus en plus libéraux économiquement. Libéral, le PCF ne l’est pas, mais, pour lui, pas question de toucher au nucléaire : pratiquement, Edf est son gagne-pain. Il faudra donc attendre son affaiblissement définitif pour arrêter Superphénix… une décennie plus tard (ou plutôt le fermer, car le monstre hoquette de panne en panne)

Bref, il est délicat pour les Verts de s’afficher avec la vieille gauche. Et donc, ce qui triomphe d’abord, c’est « Ni droite, ni gauche, l’écologie n’est pas à marier », le grand mot d’ordre du leader de l’époque, Antoine Waechter. Un positionnement qui va aboutir à un succès relatif, surtout avec la chute du mur de Berlin, le Sommet de la Terre de Rio, et l’échec de la deuxième présidence Mitterrand. Aux élections municiipales de 1988 et européennes de 89, les Verts font une percée incroyable (11%). Mitterrand, pour casser l’écologie indépendante, lance dans les pattes de Verts un parti concurrent, dirigé par son ministre Brice Lalonde. Aux régionales de 1992 cette tactique semble d’abord réussir : le vote écologiste est exactement coupé en deux moitiés… mais le total atteint un niveau qui ne sera plus atteint qu’aux européennes 2009 (en Ile de France : 18% aux régionales 1992, 20% aux européennes 2009, 16% aux régionales 2010).

Surtout, aussitôt élus, Verts et GE se constituent en groupes communs. Lalonde rompt avec le PS, l’autonomie absolue semble la voie royale pour progresser au fur et à mesure que le PS décline. Las ! Arrivent les législatives de 1993, Le « pôle écologique fort » (alliance Verts/GE) progresse nettement, mais n’obtient aucun élu. 3 ou 4 candidats parviennent au second tour, dont Dominique Voynet qui va être battue à 49%. On a réussi à exister de façon autonome et forte… et on mesure, en 1993, à la première élection non proportionnelle, que cela ne sert presque à rien.

Les écologistes commencent à comprendre que, sans alliance, l’écologie politique ne peut pas participer à des exécutifs nationaux. Certains (Lalonde, Lepage) rejoignent la droite, mais la plupart louchent vers la gauche. Car, par la grâce du scrutin proportionnel, les écologistes commencent à peser sur les exécutifs régionaux. Et Marie Blandin, en alliance avec la vielle gauche (elle-même déchirée par la crise de la Fédération de l’Education Nationale), et avec la bienveillance de Borloo, obtient la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais. La plus vieille, la plus délabrée des régions industrielles de France échoit à une Verte ! Les Verts français commencent à acquérir, pour la première fois, une petite expérience de « qu’est ce que c’est, conduire une politique publique ».

Au Conseil Régional du Nord-Pas de Calais, les écologistes ont conclu cette alliance avec la Gauche après avoir été élus. Mais peut–on passer un accord avant, pour les élections nationales ? Le débat fait rage jusqu’en 1995, où Dominique Voynet est élue candidate à la présidence de la République, mais se déclare à sa première grande émission : « ni de gauche, ni chrétienne » et ne va même pas oser, au deuxième tour, appeler à voter pour Jospin ! On mesure ici la très grande difficulté psychologique à assumer alors l’ombre d’une alliance à gauche, la difficulté de franchir ce passage, de dire qu’on est une gauche… mais différente, progressiste… mais au sens du XXIè siècle.

Finalement, cette alliance est passée en 1997. Les Verts, plusieurs fragments de GE et des groupes locaux ou de la « gauche de la gauche » fusionnent à cette occasion, et arrivent donc au gouvernement ! Il n’est pas exagéré de dire que c’est nous qui imposons à la majorité plurielle les 35 heures, l’arrêt du Superphénix, l’arrêt du canal Rhin/Rhône, le PACS, la parité…

Mais à partir de 2000 et du remplacement de DSK par Fabius, l’expérience s’enlise. Et les législatives de 2002 voient un peu l’inverse de ce qui s’est passé en 92, quand nous étions tout à fait autonomes : la baisse du PS entraînait alors la hausse des écologistes, par vases communicants. Mais en 2002, aux législatives, une fois Jospin battu, Les Verts perdent aussi et ne profitent pas du tout de la défaite du PS.

Cela provoque une nouvelle crise dans les Verts, une rectification : « Il faut être plus indépendant vis-à-vis du PS »… Les oscillations de l’écologie politique sur les alliances reprennent. L’accord proposé par le PS en 2002 est rejeté, en revanche la moitié des régions partent en alliance dès le premier tour en 2005, Mais, en 2007, l’accord législatif proposé par le PS à nouveau n’est pas bon, et le Cnir des Verts vote : « L’écologie politique n’a plus d’allié privilégié » !

La question des alliances n’est jamais facile à gérer, mais c’est évidemment plus facile quand on devient plus fort. Le succès aux européennes 2009, en pleine autonomie, nous met en position tout à fait confortable. La conclusion qu’en tire Dany Cohn-Bendit, à la grande fête de Saint-Ouen : « Il est évident qu’aux Régionales on partira en autonome au premier tour et qu’au second tour on négociera un accord avec la gauche. C’est aussi évident que le soleil se lève le matin et se couche le soir. La seule question est si ce sera le soleil d’Austerlitz ou la retraite sous la pluie, et cela se joue au premier tour. » Formule qui règle pour un temps ce problème : le rapport de l’écologie politique aux « autres gauches ».

Mais revenons pour finir au premier problème de notre histoire : nous sommes le parti de ceux qui n’aiment pas les partis, et c’est la malédiction de l’écologie politique.

Première étape : l’age de l’écologie associative et scientifique, pas d’intervention du tout sur la scène politique. Deuxième étape, l’écologie biodégradable. Troisième étape : formation d’un parti minuscule qui est obligé d’avoir une politique de large ouverture, faute d’adhérents. Quatrième étape : le regroupement de 1992, la formation d’un parti assez classique de 8000 / 10 000 adhérents, avec batailles de courants pour se répartir les places éligibles, à la consternation de nos millions d’électeurs.

Je pense qu’il était nécessaire de sortir de la phase de l’écologie biodégradable. On a pu assurer progressivement des candidatures un peu partout, puis coordonner et contrôler nos élus, mais il faut reconnaître qu’il y a un ratio déraisonnable entre les adhérents et les votants. Il est assez ennuyeux qu’un parti de 10 000 personnes soit chargé de représenter 2 millions /
2.5 millions de citoyens en France. Le problème, c’est le fait que les écologistes politisés n’adhèrent pas au parti de l’écologie politique. Pourquoi ?

En France, c’est un problème général. Il y a une désadéquation croissante, qui se précipite de 1968 à aujourd’hui, entre la représentation politique et les citoyens engagés. Cela confirme une tradition française plus ancienne qui, s’agissant du mouvement socialiste, s’était cristallisé dans la Charte d’Amiens de 1906. Selon cette charte, il y a les syndicats, les associations et les mutuelles, et puis il a des partis socialistes, et l’on ne doit pas tout mélanger. Bien entendu, cela ne gêne personne que l’on adhère individuellement à la fois aux uns et aux autres. Et le syndicalisme proclame que son action a un but politique (la transformation de la société) Mais officiellement il n’y a pas de rapport entre partis et syndicats. Le même schéma s’applique en l’écologie politique : si vous êtes responsable à France Nature Environnement, à Greenpeace, aux Amis de la Terre ou à la Fondation Nicolas Hulot, vous ne devez pas intervenir sur la scène politique.

En résumé, il y avait une tradition française, accélérée par le discrédit du politique entre 1968 et aujourd’hui, et aggravée, dans le cas de l’écologie, par l’idéologie de l’autonomie : « chacun se prend en main, à son niveau ».

2009, coup de génie : on va proposer, de façon ponctuelle, à des associatifs ou des syndicalistes ou des professionnels engagés, de participer à des opérations politiques avec nous, sans participer de façon permanente à la vie du parti. C’est l’expérience des élections européennes qui « fonctionne » triomphalement. Et encore, ce que je considère le grand succès, c’est que des associatifs qui n’avaient pas été invités à figurer sur nos listes ont milité aussi pour elles. Sans engager leurs associations en en tant que telles, des militants associatifs sont largement venus participer à cette campagne. Même chose aux régionales.

Il fallait trouver une solution pour formaliser et stabiliser ce lien « flou » (au sens de la théorie des ensembles flous). Ce fut le concept de coopérative et l’image de la pollinisation. Les militants de l’écologie politique, adhérant ou non à un parti, sont semblables aux abeilles, ils butinent le pollen des fleurs, en font leur miel tout en fécondant les fleurs, dans un va-et-vient entre leur ruche et la société civile. On voit bien qu’il y a une dualité entre l’essaim et la ruche : l’essaim comme communauté d’abeilles qui butinent (vers la ruche) et qui pollinisent (dans la société). Mais un essaim sans ruche se disperse et meurt. D’où cette idée de dualité entre un parti qui fournit l’ossature, les alvéoles… et la coopérative comme essaim d’activistes sociaux.

Nous ne savons pas encore si ça va marcher, et à quelles conditions pratiques. Nous avons adopté lors de notre congrès de fondation à Lyon cette structure double, avec son conseil fédéral, ses agoras… Des dizaines de milliers de coopérateurs potentiels, abeilles butineuses, attendent les initiatives des abeilles bâtisseuses. Mais j’ose espérer que ce modèle apportera un début de solution à ce problème récurrent qu’on est le parti de ceux qui n’aiment pas les partis.




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