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par Alain Lipietz | 28 février 2012

Sur le lien tactique entre le MES et le "traité budgétaire"

Sur le lien tactique entre le MES et le "traité budgétaire"

Les carottes sont cuites : le Sénat français aura ratifié le MES avec les seules voix de la minorité de droite, la gauche et les écologistes s’abstenant ou votant contre. La « bourde historique » étant consommée, on pourrait laisser tomber la discussion, si l’argumentation employée n’engageait pas les pronostics pour la suite. La grande question est en effet : « Quid de ce lien entre le MES, mécanisme de solidarité fédéraliste et plutôt progressiste, et à ce titre rejeté par les bastions du national-libéralisme, la Grande-Bretagne et la Tchéquie, et le « traité budgétaire » (le TSCG) récessionniste, rejeté par la gauche, les écologistes, et tous les économistes keynésiens ou régulationnistes ? »

Les arguments du nonisme au MES

Dans l’arc de l’opposition « de gauche » au MES, il y a d’abord les nationalistes, ceux qui ne veulent même aucun mécanisme de solidarité face aux dettes et refusent de voter la modification de l’article 136 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, autorisant les pays qui le désirent à mettre en œuvre entre eux une coordination renforcée dans ce domaine, sans préciser quel serait le mécanisme précis. Ce sont les noniste de toujours et (à ma grande honte) les parlementaires de EELV. Le Front de Gauche met les pieds dans le plat en annonçant son intention de soulever l’inconstitutionnalité du traité, parce qu’il pourrait obliger automatiquement la France à mettre de l’argent au pot si la crise d’un pays voisin exigeait notre solidarité, sans que le législatif français puisse s’y opposer. C’est exactement la définition du souverainisme nationaliste et anti-fédéraliste.

Il y a ensuite les éternels nonistes pro-européens comme Marie-Noëlle Lienemann qui n’accepteront jamais de compromis avec la sensibilité des autres pays européens (« on veut l’Europe, mais pas celle-là »). Pour eux, le grand argument c’est « le MES peut-être, mais pas un MES qui intègre la nécessité de ratifier le TSCG. » Remarquons toutefois que dans son interview dans Libération du 28 février, Marie-Noëlle annonce sa réticence à signer le recours du FdG au Conseil constitutionnel. Elle justifie cette réticence par la volonté de « ne pas diviser la gauche ». Comme elle n’hésite pas à voter contre les consignes de son propre parti, il faut comprendre : « Je ne voterai pas le MES, mais s’il est créé, je ne m’y opposerai pas ».

Il y a enfin la position du PS : « On est d’accord avec le MES mais pas avec le TSCG. Le lien avec le TSCG est seulement dans un « considérant » du MES, sans valeur juridique. Mais en s’abstenant, ce qui est sans conséquence puisque la droite votera pour, on envoie un signal à Merkel : on est trrrrrès fâché, et on ne ratifiera pas le TSCG en l’état ». Tel est l’argument de Pierre Moscovici, porte –parole de Hollande. Bon, si c’est une sorte d’annonce codée (comme au bridge, où « 2 trèfles ! » ne signifie pas spécialement que l’on souhaite atout trèfle, mais sert à communiquer une information à son partenaire), je veux bien, quoique je pense que le premier Sénat de gauche de la République Française ait mieux à faire qu’à voter comme au bridge sur une affaire aussi importante.

Le TSCG risque-t-il vraiment de conditionner le MES ?

Donc le PS, comme les responsables EELV de la réflexion sur la crise financière, est convaincu qu’on peut très bien voter pour le MES et contre le TCSG, ce que nient les « nonistes au MES » qui furent le plus souvent des Nonistes au TCE. L’argument des nonistes est que le considérant 5 du préambule du MES rappelle le gentleman agreement du 9 décemebre 2011, où les chefs de gouvernements ont convenu de ne pas faire jouer le MES au profit d’un pays endetté qui n’aurait pas ratifié le TSCG. Or la conditionnalité impliquée par le TSCG (l’équilibre budgétaire à moyen terme) est inacceptable, donc on ne vote pas le MES. Et à ceux qui objecte qu’un considérant n’a pas de valeur légale, que seuls sont valables les articles du traité, ils répondent que certes, mais qu’un pays contestataire, signataire du MES, pourra aller à la Cour de justice de Luxembourg pour plaider que cette conditionnalité –là était bien dans l’intention des pays ayant ratifié le MES, et refuser un prêt à un pays ayant ratifié le MES mais pas le TSCG.

Remarquons que cet argument suppose que le TSCG … soit en vigueur ! Or rien n’indique qu’il le sera un jour , en tout cas sous cette forme. Le TSCG n’entrera en vigueur que si « 12 Etats de la zone euro » sur 17 le ratifient (cf article 14). Qui va le ratifier ? Tous ceux qui pensent avoir un jour besoin du MES en leur faveur (essentiellement l’Espagne et l’Italie, et quelque pays d’Europe orientale) et tous ceux qui, prêts à prêter aux pays impécunieux « après mars 2013 » parce qu’ils savent que la faillite d’un État européen serait une catastrophe pour eux-mêmes (essentiellement l’Allemagne et les social-démocraties nordiques), souhaitent que les futurs emprunteurs s’engagent à réduire leur déficit . Notons que les trois pays actuels bénéficiaires du FESF (Grèce, Portugal , Irlande) ne sont pas strictement concernés. Est ce que ça fait 12 ? Je ne sais pas.

En tous cas la gauche française, majoritaire au Sénat, a les moyens de bloquer la ratification même si elle ne gagne pas les prochaines élections législatives, et annonce qu’elle le fera. Le PS ne pourra pas cette fois se réfugier à la buvette. Et on n’imagine pas que l’Allemagne, principal contributeur, aille prendre sur ses épaules les pays trop endettés sans faire partager le fardeau aux deux puissances suivantes, la France et la Grande Bretagne. Donc le TSCG ne sera pas ratifié en l’état . Tout le monde le savait dès le 9 décembre, et c’est pour cela qu’on a fait signer le MES avant le TSCG : la création du MES était une urgence anti-crise, le TSCG était avant tout rhétorique, un « engagement en l’air », puisque par définition ceux qui auront recours au MES ne respecteront pas le TCSG, même s’ils l’auront ratifié (s’ils le respectaient, ils n’auraient pas besoin du MES…)

Et si c’est le cas ?

Mais supposons que oui, 12 pays ratifient le TESC et 25 pays ratifient le MES. L’objection du recours possible à la Cour de Luxembourg est juste. En réponse au recours d’un Etat (par exemple la Finlande ) qui ne voudrait pas augmenter sa cotisation pour garantir par exemple un eurobond en faveur de la Hongrie , qui n’aurait pas ratifié le TSCG , la Cour de Justice pourra dire soit "le préambule ne fait pas partie du traité", soit " le préambule indiquait l’esprit du traité".

Je suis payé pour savoir que les voies des juges administratifs sont impénétrables, mais j’aurais tendance à parier que la Cour s’en tiendra à la jurisprudence dominante : ce qui n’est pas dans le traité n’est pas dans le traité, le considérant ne fait référence qu’à un gentleman agreement qui ne regarde que ceux qui l’ont signé.

En tout cas le préambule introduit une vraie incertitude, qui va par exemple pousser l’Italie à ratifier le TCSG, mais il est bien sûr exclu qu’elle arrive à respecter sa règle d’équilibre budgétaire draconienne avant … 2020, et encore. Elle va serrer les fesses mais ne respectera pas le TCSG, s’il est jamais ratifié. On peut parler d’effet "rhétorique" du lien entre le MES et le TSCG, dirigé contre l’alea moral, le risque dénoncé même par Stiglitz. Comme dans toutes les assurances mutualistes, le MES est accompagné de clauses « on paiera vos pots cassés, mais si vous faites attention ! »

Et que se passera-t-il si la Finlande gagne son recours ? Elle ne cotisera pas pour la Hongrie, et il faudra s’en passer. Cela n’empêchera pas ceux qui auront voté pour le prêt de passer outre, mais il ne pourront pas obtenir l’engagement de la Finlande et on s’acheminera vers un type de prêts garantis seulement par ceux qui l’auront voté.

Plaçons nous maintenant du point de vue de la Hongrie. Elle est nationaliste et n’a pas ratifié le TSCG, mais elle est endettée et a ratifié le MES. N’aura-t-elle pas droit à un soutien ? Bien sûr que si, exactement comme la Grèce, le Portugal et l’Irlande, aidés depuis bien avant la création du MES. Et je souhaite à son égard une rigoureuse conditionnalité démocratique. Les Etats sont des monstres froids qui interviennent au nom de l’intérêt bien compris. Ils sont intervenus pour sauver la Grèce, parce qu’ils pensaient qua sa faillite déstabiliserait l’Europe. Si la question se reproduit, ils voleront à nouveau au secours du pays suivant, à travers le MES ou en dehors, comme pour la Grèce. Le MES n’est qu’un moyen de faire très rapidement les prêts qu’on a bricolé péniblement pour la Grèce, sans se faire autant suer, et, si la Finlande cherche encore à casser les pieds, on passera outre.

Faut-il que le Conseil constitutionnel se prononce ?

Car la grande différence avec ce qui se passe depuis trois ans est le caractère automatique des contributions supplémentaires au MES (s’il en a besoin un jour). Les eurobonds émis par le MES devront en effet être remboursés, par l’emprunteur final (la Grece…) au MES et par le MES au préteur en dernière instance (la Chine, ou la BCE si la BCE a souscrit ou racheté les eurobonds du MES). Pour garantir qu’il remboursera même si la Grèce ne rembourse pas, le MES a besoin de fonds propres et de garanties, et il est probable qu’il faudra des rallonges par rapport au 500 milliards de la mise initiale. Le traité MES stipule un droit d’appel de fonds sans tergiversation (du MES à ses membres) : c’est le principe mutualiste. Et c’est ce que qu’attaque le FdG devant le conseil constitutionnel.

Eh bien, le FdG a raison. Certes, depuis longtemps, l’Europe peut décider de prélever son impôt à travers la TVA française et voter à la majorité des directives qui s’imposent à la France, donc à son budget, même si le gouvernement français a voté contre. Et c’est bien ce que refusent le FdG et tous les souverainistes, mais la question est tranchée depuis longtemps par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel : la loi française cède le pas à la loi européenne.

Sauf que voilà : les traités MES et TSCG ne sont pas des traités ni des lois européennes. Ce sont des « coopérations renforcée », et encore, en marge de la procédure normale des coopérations renforcées. On ne l’a pas assez souligné le 9 décembre 2011 : c’est la première initiative européenne depuis de Gaulle pour se débarrasser du boulet ultra libéral et atlantiste que représente la Grande-Bretagne : « Cette fois, y en a marre, on avance sans vous ». Mais du coup, le MES et le TCSG ne sont que des rameaux greffés sur le corpus législatif européen, et il serait bon que le Conseil constitutionnel français dise si, oui on non, ces coopérations renforcées sans la Grande Bretagne ont le droit d’être « fédéralisées », c’est à dire décidé à la majorité du sous ensemble européen concerné, sans nécessiter au coup par coup un vote préalable de l’Assemblée nationale française.

En tout cas, le FdG, par la nature même de son recours, souligne le caractère fédéraliste et non « intergouvernementaliste » du MES.



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