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par Alain Lipietz | 25 février 1999

Politis
Sang contaminé et responsabilité écologique
Le procès du " sang contaminé " méritait mieux. Mieux que le débat abstrait " procès politique/procès pénal ". Car, si faute il y a, elle est à la fois politique et pénale : il y a des politiques criminelles. Encore faut-il préciser : " en quoi ? ".

Je ne sais si le " double procès " permettra d’établir la vérité. Il est reproché aux responsables de l’industrie du sang d’avoir sciemment inoculé le virus du SIDA en 1985. Les médico-industriels ont été condamnés pour cela dès 1992. En avaient-ils reçu l’ordre ou l’autorisation politique pour des raisons financières ou industrielles ? " Les ministres savaient-ils ? " Si oui, ils sont coupables. Si non, la culpabilité ne monte pas au dessus de leurs conseillers qui savaient. Le Président Mitterrand, personne n’a jamais pensé qu’il aurait dû savoir. Fabius et Dufoix ? peut-être. Le secrétaire d’État à la Santé, Edmond Hervé ? Il est inconcevable qu’il n’ait pas su. Mais hélas, en France, ce n’est pas inimaginable. Marie-Christine Blandin, jeune présidente Verte de région, en 1992, avait eu la lucidité de le dire au Forum RTL-Le Monde  : " À la tête d’une administration, ça peut arriver à n’importe qui ? "

Mais le vrai débat politique commence au-delà : celui de la responsabilité. Seule Giorgina Dufoix eut le courage de s’avouer " responsable " : elle aurait dû savoir. Car la première question est bien là : même non-coupable, on peut être condamnable pour irresponsabilité. Car enfin, si Edmond Hervé ne savait pas, qui aurait dû savoir ? Le ministre du Logement ?

Edmond Hervé nous a expliqué qu’un secrétaire d’État à la Santé peut faire la semaine de 4 jours, et consacrer ses longs week-end à gouverner la ville de Rennes. Moi, je pensais naïvement que le ministère de la santé de 60 millions de personnes était une tâche terrible : je n’en dormirais pas. Lui avait encore du temps pour Rennes ! Cette incroyable irresponsabilité du cumul, qui peut, politiquement, la juger ? En France, ce sont le Rennais qui élisent Hervé, pas les malades.

Mais inversement ? Supposez qu’Hervé ait plaidé coupable : " Je savais. Mais je n’avais pas le temps. Ni l’argent. C’était une toute petite épidémie : quelques centaines de morts par an. L’alcool en tue 60 000. Le tabac , 30 000. Je n’ai interdit ni le tabac, ni l’alcool. La grippe a tué cette année-là bien plus que le SIDA. Je n’ai pas rendu le vaccin anti-grippal obligatoire. Jugez-moi pour ça. " Il aurait élevé le débat à sa vraie hauteur, celui de la responsabilité politique.

Les médecins et les ministres n’avaient pas forcément le devoir de dépister le SIDA dès avril 85 et de chauffer le sang. Mais ils avaient la responsabilité de porter le débat devant les transfusés et les hémophiles. D’ailleurs, ils invoquent maintenant l’argument probabiliste : " Nous pensions que 10 % des contaminés contracteraient le SIDA. Inutile d’affoler les autres ? " Ah, l’argument probabiliste ! La contamination, on l’a su plus tard, entraînerait le SIDA Presque à coup sûr. Mais les patients eux-mêmes étaient-ils prêts à l’entendre ?

Cette responsabilité politique terrible, les écologistes sont bien obligés de l’assumer. Par exemple, dans mon rapport sur la fiscalité de l’environnement, au Conseil d’Analyse Économique, j’ai évoqué la possibilité d’interdire les véhicules légers au diesel, mais, sûr de l’impossibilité politique de l’obtenir, j’ai proposé la hausse de la fiscalité du diesel. Christian Pierret l’a minorée, Jospin l’a arbitrée ? Responsables ? Coupables des cancers à venir ?

Allons plus loin. Le nucléaire est dangereux. Les Verts sont pour sortir du nucléaire. Le mieux serait tout de suite. Politiquement impensable. Alors ils ont esquissé un compromis : " Laissons mourir les centrales actuelles de leur belle mort, et n’en construisons pas d’autres. En attendant, diversifions, économisons l’énergie. " Un récent sondage montre que 70 % des Français acceptent cette stratégie, qui donc devient possible. Les Verts espèrent qu’aucune centrale française ne sautera. Et si l’une saute en 2005, qui sera responsable ? Les Verts ? Pierret ? Jospin ? Les Français qui répondent Non à la sortie immédiate du nucléaire ?

Le risque zéro n’existe pas. L’éminente responsabilité du politique est de présenter les risques, les choix, de proposer une solution acceptable de risque minimal. Cela suppose de traiter les citoyens en adultes.




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