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par Alain Lipietz | 17 mai 2015

Mélenchon, Todd, Chevènement et les autres
Croyant sans doute faire un bon coup tactique ("le baiser qui tue"… mais qui ?), J.L. Mélenchon vient de commettre au mieux une terrible maladresse, au pire accentuer une terrifiante tendance lors de l’émission « Les 4 vérités » sur France 2 (voyez d’abord la video ici, ce n’est pas long)

Féliciter Philippot de nous avoir « débarrassés du vieux fasciste », reconnaitre que le fascisme n’est plus une référence idéologique du FN est une chose. Il faut en effet que la gauche procède à une sérieuse mise à jour de sa critique de l’extrême droite

De même (seconde partie du discours de Mélenchon), reconnaitre que désormais le programme du FN copie celui du Front de Gauche (protectionniste anti-européen au nom du "social") est une preuve de lucidité.

Mais limiter sa critique à une querelle de paternité me parait un peu maladroit… et parfaitement réversible ! « C’était nous les premiers à parler comme le FN » ?? Ah, bravo !

JL Mélenchon ne s’y serait pas pris autrement, s’il avait cherché à justifier la critique faite au Front de Gauche et à ses ancêtres d’avoir ouvert la voie au Marinisme, à Georges Marchais, dans ses discours des années 70 d’avoir inventé les slogans « Travaillons français ! » ou « Deux millions de chômeurs c’est deux millions d’immigrés en trop ». Ou la critique faite aux "anti-libéraux" de 2005 et au Front de Gauche de n’être que des nationalistes-corporatistes, crispés sur les privilèges de l’aristocratie salariée, et ne voyant d’autre stratégie de défense de l’emploi que se barricader dans la « préférence nationale ».

Mélenchon rejoint ici la sensibilité du bouquin de Emmanuel Todd Qui est Charlie ?, brûlot contre « l’autre gauche » (celle de Rocard et des nouveaux bastions socialistes de l’Ouest et de Rhone-Alpes, « catholique-zombie »). Le vote FN représenterait valablement la résistance des classes populaires au « catholicisme zombie » et à l’hystérie européiste des élites pro-inégalités , islamophobes et antisémites, dont la capitale serait… Grenoble !

On retrouve ici la vieille polémique des années 70-80, celle de la « première gauche » (Chevènement) contre la seconde (Rocard), qui renvoie à une très vieille opposition (déjà : Guesdes contre Jaurès au moment de l’affaire Dreyfus).

Comme si la « première gauche », celle des « régions égalitaires du grand bassin parisien et de la façade méditerranéenne » (selon Todd), comme si le PCF et la SFIO de Jules Guesdes, de Guy Mollet, etc, n’avait pas largement battu les cathos de gauche en matière d’islamophobie. Comme si les ministres issus de la SFIO, Pierre Mauroy (de Lille) et Gaston Defferre (de Marseille) n’avaient pas lancé l’assaut dès 1983 (bien avant Maastricht !) contre les ouvriers en lutte de Talbot-Poissy en les traitant de « chiites », inaugurant ainsi l’islamophobie d’État appelée à faire fureur…

Mais enfin ! à quel type d’alliance cette mansuétude à l’égard d’un FN dédiabolisé nous mène-t-elle ? Comme les communistes du KPD sous la République de Weimar en 1932, manifestant avec le NSDAP contre les "sociaux-traitres" ? Ceux qui s’y risqueront seront aspirés en moins de deux par les philippo-marinistes.

En réalité, ce rapprochement confirme le diagnostic de Polanyi en 1944 ( [?La grande transformation] ). Face à la grande crise du libéralisme des années Trente, la révolte anti-marché pouvait prendre 3 formes : fascisme, sociale démocratie ou stalinisme, avec des alliances « à 2 contre 1 » qui oscillent pendant toutes les années 1928-1941 (« cours gauche de la 3e période du Komintern », avec stal et fascistes contre sociaux démocrates jusqu’à la victoire d’Hitler, puis Fronts populaires communistes-socialistes de 33 à 39 contre les fascistes, puis pacte germano-soviétique de 39 à 41, puis « les Alliés contre l’Axe »).

Aujourd’hui, le pole social-démocrate disparaît, l’écologie et le New Deal Vert peinent à le remplacer, et un pole islamiste apparaît. Mais c’est toujours un peu la même histoire, comme je l’explique dans mon livre Green Deal

Avec cette différence, toutefois, que mon livre évoque, mais dont je n’avais pas senti alors l’importance : l’irruption d’une « crise religieuse », comme dit Todd avec raison. Voir sa fine analyse du va-et-vient de l’Ouest français, passé de droite à gauche des années 50 aux années 2000 (à mon avis : grâce surtout à Ouest-France et à l’Action catholique ! le catholicisme n’y était pas si zombie que ça) et qui aujourd’hui risque de rebasculer à droite, maintenant que , déchristianisé, il subit de plein fouet la crise du libéral-productivisme (cf mon article Gramsci et la Bretagne )

Je reviendrai plus tard en détails sur le livre de Todd (qui avec ses défauts, ses dérapages, fourmille d’idées intéressantes) et restons-en à JP Mélecnchon, entrainé dans les pires tentations de la « première gauche ». Au delà de son brûlot anti-boches, Le hareng de Bismark, que rejoint souvent Todd, son dérapage contre "Dany le dégénéré" doit être pris pour ce qu’il est : antisémite à l’ancienne (= pas pro-palestinien). Exactement comme l’attaque de Chevènement contre « ce représentant des élites apatrides de Francfort ".

Mélenchon, avec sa sympathie pour Philippot, vient d’enfiler les bottes de Chevènement, dans sa campagne présidentielle de 2002 reprenant le flambeau du "l’union des républicains des deux bords »… contre les Boches (sauf Oscar Lafontaine qui est Sarrois).

Au delà des cas individuels, il y a un problème de fond avec cette tendance. Elle représente, pour reprendre les catégories de Todd, ce que nous rejetons dans la vieille gauche républicaine ou communiste issue de la France "anthropologiquement égalitaire du bassin parisien et de la provence". Son autoritarisme, son centralisme, son mépris des régions périphériques, sa xénophobie, son nationalisme, sa « laïcité » plus proche de l’athéisme d’Etat, son sexisme (par crainte que les femmes ne votent comme leurs curés), tout cela au nom de "l’universalisme abstrait". Ce que Todd a bien compris (la version "universalisme abstraite" du nationalisme français), mais il n’en tire pas les conséquences.

C’est le vieux fond bonapartiste, boulangiste, guesdiste, lepeniste, marchaisien. L’idéologie spontanée des exploités, des opprimés, qui se tournent vers les césars et les tribuns, contre « les autres », concurrents sur la marché du travail, tant qu’ils n’ont pas mûri ce que jadis on appelait « conscience de classe ».




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