L’hiver pourtant fut rude. Sans-papiers trahis, chômeurs reçus du bout des doigts : la "majorité plurielle" décevait, sans être vraiment désavouée. Un "sursis" que mesurait assez exactement le résultat des régionales. Mais pouvait-elle faire mieux, quand l’aile la plus radicale de cette majorité y est très minoritaire (Les Verts), la majorité elle-même pas très majoritaire, encerclée dans une Europe hostile, obligée de composer avec les pouvoirs économiques et une opinion publique à moitié acquise à la droite ou à l’extrême droite ? Ce qui caractérise la "culture du désespoir", c’est qu’à cette question elle répond "Non" a priori, et se délecte avec morosité de tous les manquements, de toutes les timidités : "On vous l’avait bien dit ?" Et le gouvernement semblait lui donner raison, en donnant plus de gages à ses adversaires qu’à son propre camp. Bref, tout était toujours déjà foutu : "La France cassée", titrait Le Monde Diplomatique de février, et cassée dès la capitulation de Jospin à Amsterdam ? Trois semaines après son élection !

Eh bien, c’est en train de changer. L’idée se fait jour : on peut gagner, on va se battre, avec le gouvernement quand il fait du bon boulot, sans lui quand il piétine. Val, l’éditorialiste de Charlie Hebdo, salue les premiers succès : l’A.M.I. au tapis, Sandrine Le Chevalier aussi. Pas de beaucoup ? Mais, comme le souligne Ras l’Front, le FN perd son élu et 2000 voix ? Surtout Le Monde Diplomatique de mai (excellent) titre son dossier central : "Un autre monde est possible". Bernard Cassen y propose un décalogue progressiste. Et Serge Halimi saisit bien le problème : ça ne sert à rien de se désoler de ce qui ne va pas, si on ne propose rien de positif. Le FN, lui, progresse, parce qu’il propose quelque chose (la préférence nationale). C’est imbécile, odieux, mais c’est une proposition.

Bref, retour à la politique. Autour de Pierre Bourdieu, ou des associations comme le DAL, le GISTI, Act Up, AC !, etc., se regroupent celles et ceux qui n’attendent pas grand-chose de ce gouvernement ou sont directement mobilisés contre sa politique scandaleuse de l’immigration. Alain Touraine lui-même, qui se réclame du social-mondialisme, relève la complémentarité positive entre cette contestation externe et les avancées du gouvernement. Quant aux Verts, ils sont à la fois dehors, avec les chômeurs et les sans-papiers, et dedans, où ils engrangent demi-succès après demi-succès sur les thèmes qu’ils labourent depuis quinze ans : désacralisation du nucléaire, parité, non-cumul des mandats, écotaxes, et surtout, surtout, les 35 heures. C’est là que le printemps est éclatant : CGT et CFDT ne chipotent pas les détails d’une loi-cadre enfin acquise, on retrousse les manches, on négocie, on se bat, on y va !

Un dispositif politique à trois pôles se met en place : une pression externe, un aiguillon interne, et un "centre" gouvernemental qui enregistre les rapports de force. Beaucoup va donc se jouer sur la cohérence des exigences des deux premiers pôles vis-à-vis du troisième : que les succès des uns ne soient pas considérés comme des reculs pour les autres. Le rôle d’un journal comme Politis pourrait être de poser clairement les enjeux. En voici quelques-uns.

 L’Europe

Se bat-on pour y imposer des règles communes, sociales, écologiques, fiscales, et un contrôle démocratique sur la gestion monétaire de cette immense espace presque autocentré, ou se bat-on pour re-nationaliser la politique économique ? Je propose la première voie.

 La mondialisation

Se bat-on contre toute règle internationale pour le commerce et des mouvements de capitaux, ou pour "un A.M.I. véritable" (comme dit B. Cassen), imposant des règles à tous les investissements, au-delà de la lutte nécessaire (que conduit l’ATTAC) contre les seuls mouvements spéculatifs ? Je propose la seconde voie.

 La dette publique

Elle nous coûte 1 milliard par jour ouvré, 5 000 francs par an et par personne, enfants compris. Si nous n’engageons pas aujourd’hui le désendettement (ce qui implique moins de 2 % de déficit par an), un adolescent d’aujourd’hui, qui touchera en 2005 sa première paye, paiera des impôts pour régler nos dettes des années 90. Faut-il continuer à laisser filer ? Ou faut-il sabrer dans les dépenses publiques inutiles et prélever de nouveaux impôts sur la richesse pour financer les dépenses sociales (hausse des minima sociaux, etc.) ? Je propose la seconde voie.

 Le Tiers Secteur

Les emplois-jeunes servent souvent à recréer une "sous-fonction publique". Faut-il les recentrer dans un vrai tiers-secteur à vocation sociale et environnementale, ou les rejeter comme nouvelle forme de flexibilité ? Je propose la première voie.

Et cetera ?