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> L’affaire Meyssan et la destruction de la raison (http://lipietz.net/?article605)
1er avril 2002 L’affaire Meyssan et la destruction de la raison
" Qui croit encore à la fable du suicide de Durn, Quai des Orfèvres ? Un criminel clamant son intention de se suicider, gardé dans une petite pièce par deux policiers, pourrait tranquillement aller ouvrir un velux au plafond, se hisser sur le toit et sauter dans le vide ? "Que Durn ait été " suicidé " comme Staviski est une évidence, mais dans quel but le gouvernement socialo-communiste aurait-il pu donner un tel ordre à sa police ? Mais, bien sûr, pour l’empêcher de parler. Pour l’empêcher de dire qui avait commandité l’assassinat de 2 élus d’opposition verts de Nanterre, et de 4 élus de l’opposition de droite. À l’heure où la majorité plurielle éclate, l’Union de la gauche PS-PC-PRG fait bloc autour de la maire stalinienne de Nanterre, qui trouve enfin l’occasion d’éliminer les gêneurs. " Certes, la pensée unique de la presse dominante nous sert une tout autre version : celle des élus de l’union de la gauche stalinisée nanterroise qui impute ce massacre au geste d’un fou. Mais qui n’a remarqué qu’ils étaient les seuls témoins du drame ? France 2, la télévision d’Etat socialo-communiste, nous a servi le témoignage de deux hommes qui auraient ceinturé le forcené et aurait héroïquement écopé de quelques balles. Beaux héros en vérité ! on les voit conformément installés en robe de chambre sur des chaises longues dans une soi-disant chambre de clinique aménagée pour la circonstance. Où sont les perfusions, les pansements que l’on attendrait ? Pire, on nous assure que des élus du PCF figureraient parmi les victimes. Cette fois, on nous montre… des photos d’identité des soi-disant victimes. Où sont les photos de leurs cadavres ? Selon des sources que nous nous réservons de divulguer plus tard, 2 des " victimes " seraient d’ores et déjà au chaud sur une plage de Cuba. La troisième, qui avait refusé de tremper dans cette incroyable imposture, a été, elle aussi, froidement exécutée par Durn, nouveau Ramon Mercader, selon les vieilles méthodes staliniennes. " Négationnisme et hyper criticismeBon, allez, le dégoût m’arrête dans la rédaction de cette fable dégueulasse. C’est pourtant exactement le procédé employé par Meyssan, et cet individu est en passe d’entrer dans la légende et de faire fortune sur le dos des malheureuses victimes du Front Islamique contre les Juifs et les Croisés. Le même procédé que celui de Faurisson niant l’existence des chambres à gaz. Mépris cynique du malheur des victimes, mises à mort une seconde fois, de la souffrance des survivants et de leurs familles, de leurs amants, de leurs amis. Sélection d’une poignée de photos et de témoignages, dans l’ignorance superbe de dizaines, voire de dizaines de milliers d’autres. Et surtout destruction de la raison (comme disait Lukacs) au nom d’une méthodologie " hypercritique ", et d’une idéologie faisant feu du pire bois. Quant à l’idéologie, c’est la même dans le cas des deux négationnistes, Faurisson et Meyssan : nier un crime d’inspiration anti-sémite, celui des nazis et celui du Front Islamique contre les Juifs et les Croisés, parce que ce crime sert objectivement les intérêts de l’ennemi proclamé : le sionisme et son allié américain. Et le succès public de cette entreprise effroyable repose sur la complicité d’un tout petit milieu, adepte de ce que Marx appelait " le socialisme des imbéciles " : anti-sémitisme hier, anti-américanisme aujourd’hui. Inutile de préciser qu’il se trouvera toujours des juifs (américains) pour cautionner, par haine du gouvernement israélien ou américain. Hier une certaine ultra-gauche (réunie autour de la librairie La Vieille Taupe et de Gaby Cohn-Bendit) , aujourd’hui une poignée d’ennemis de la mondialisation sous hégémonie US. Et, en un second cercle de lecteurs, la masse des révoltés d’un monde de mensonges officiels et d’horreurs commises au nom du " bon droit ", et qui sont avides de remises en causes. Avec raison. Soyons parfaitement clairs : il n’est nul besoin de nier l’existence des chambres à gaz et la réalité des crimes du 11 septembre pour s’indigner des crimes israéliens, de Deir-Yassin à Sharon, il n’est nul besoin de dédouaner Ben Laden pour critiquer tel ou tel aspect de l’intervention US en Afghanistan, il n’est nul besoin d’imputer à la CIA des complots monstrueux pour se révolter contre les diktats de l’OMC. En fait : le livre de Meyssan est le pire coup porté à la pensée critique depuis des années, comme les crimes de Ben Laden ont fait reculer de 50 ans la cause des Palestiniens. Mais le plus grave est encore la portée générale de ce " crime contre la raison ", contre le matérialisme et la pensée critique. Depuis la Renaissance (et depuis quelque sages de l’antiquité, comme Empédocle : " il faut croire en tes yeux, non en mes paroles "), l’esprit humain a cherché à s’affranchir du dogmatisme et des vérités révélées (ou ossifiées , comme l’est devenue la doctrine d’Arsistote, cet authentique matérialiste enrôlé par la scolastique catholique) au nom du libre examen. Ce libre examen repose sur deux postulats. – La réalité existe, elle est connaissable par nos sens (c’est l’aspect matérialiste)
Mais très vite il est apparu que nos sens nous trompent, que la communication n’est pas facile, que la systématisation rationnelle est hasardeuse. Il a donc fallu préciser des règles de critique de nos sens, de la raison , de l’intersubjectivité. Depuis le XVIIè siècle, les plus grand philosophes (Descartes, Kant, Husserl, Habermas, etc) ont cherché à normer l’usage des sens et de la raison et les tempérer par l’exigence du doute : c’est l’aspect critique. L’écologie politique, que nous pourrions traduire du grec comme " débat dans la cité à propos du sens de notre rapport à notre domaine ", s’inscrit mot à mot dans ce matérialisme rationaliste critique. Or il est arrivé ceci : on a démontré en mathématique, et montré en philosophie des sciences, qu’aucun doute ne pouvait être définitivement réduit, aucune intersubjectivité établie avec certitude. Il suffisait dès lors de pousser le rationalisme jusqu’aux conséquences extrêmes de sa propre honnêteté pour réduire à néant tout l’effort de recherche de vérité. Cet hyper criticisme est initié par l’évêque Berkeley dès les Temps Modernes, et parachevé aujourd’hui au nom de la spécificité culturelle de la rationalité. " Tu dis çà au nom de ton expérience et de tes paradigmes, moi je dis le contraire au nom de mon expérience et de mes paradigmes ". Cet hypercriticisme fut en substance, dans Le Monde et dans Le Nouvel Observateur, la réponse de Chomsky , imprudemment fourvoyé dans la défense de Faurisson, à ceux qui s’indignaient : " Sa thèse est aussi soutenable qu’une autre. Si au pays de Voltaire vous refusez de le comprendre, c’est que vous n’avez pas réglé votre culpabilité collaborationniste ". Car, bien sûr, l’hypercriticisme offre en plus une seconde ligne de défense : " Je n’ai pas dit que mon hypothèse est vraie, je dis qu’elle est rationnellement défendable." Cette ligne de défense est parfois même le but fondamental de l’argumentation négationniste : " Si même aujourd’hui on ne peut prouver l’existence des chambres à gaz, alors vous pensez bien qu’on ne pouvait imaginer çà pendant l’Occupation ". La raison ainsi détruite par l’hyper criticisme, toutes les interprétations se valent. Et comme il faut bien croire quelque chose… restent les gourous ou les religions que l’on se choisit. Et c’est ainsi que, maniant les armes que leur avaient offertes le rationalisme critique, les fondamentalistes chrétiens ont pu faire rétablir l’enseignement de la Genèse, au même titre que la théorie de l’évolution, dans les établissements scolaires de certains Etats américains. Retour à la case départ. Aujourd’hui, entre les feux croisés du dogmatisme et de l’hypercriticisme, le rationalisme critique a dû se résigner à une doctrine de la " vérité négociée " (avec l’expérience du réel, la logique, l’intersubjectivité) : on ne peut parvenir, et encore que de manière relative à une pratique, qu’à un consensus de bonne foi au sein d’une " communauté épistémique ". " Bien sûr, je ne peux te prouver qu’il y a effectivement des voitures qui passent sur une route devant nous, mais si tu fais attention comme moi pour traverser, admets qu’il y a bien quelque chose, là, qui ressemble à ce que je dis… ". Autrement dit : " si, selon tes critères, les témoins du crash du vol 77 sur le Pentagone sont sans doute des menteurs, et les victimes des escrocs qui se cachent, alors selon les mêmes critères il faut admettre l’hypothèse que la Shoah est sans doute une imposture montée par les Juifs pour percevoir des indemnités " Les dégats collatérauxRidiculiser jusqu’à l’odieux, comme l’a fait Meyssan, la réflexion à propos de la vérité officielle sur le 11 septembre, a évidemment pour effet, je l’ai dit, de renforcer le discours américain " Vous ne nous faites pas confiance ? vous êtes sans doute de ceux qui niez les attentats du 11 septembre ? ". Mais la destruction de la raison a encore d’autres effets collatéraux. D’abord contre ceux qui s’attellent honnêtement au doute critique, et posaient par exemple la question " qui tue qui en Algérie ? " dès 1993 (aujourd’hui, la réponse dominante s’est quasiment inversée). Le Réseau Voltaire, bien sûr, dont tous les travaux et tous les collaborateurs sont ainsi discrédités. Et on peut arroser large : ainsi, Gérard Dupuy, en conclusion d’un excellent edito contre Meyssan, trouve le moyen de pousser le bouchon… jusqu’aux Verts et à l’ensemble de leur argumentation, sous prétexte qu’ils ont participé à la création du Réseau Voltaire : " Que les Verts aient partie liée avec ce genre d’officine laisse rêveur quant au sérieux de la "documentation" qu’ils prétendent y trouver et sur laquelle ils travaillent. " ( Libération, samedi 30 mars ) J’imagine en effet mon prochain débat avec un représentant du complexe industrialo-nucléaire : " Vous dites que le nuage de Tchernobyl a arrosé la France ? vous avez lu çà dans le Réseau Voltaire ? et vous pensez sans doute que c’est ce nuage qui a détruit le Pentagone ? " Pourtant, Dupuy reconnaît lui même qu’en l’occurrence le Réseau Voltaire n’était qu’une " monade Meyssan ". Et Meyssan, que l’on sache, est membre de la direction du Parti des Radicaux de Gauche, parti du ministre de la Recherche… Mais, plus largement, c’est la recherche de la vérité selon les canons du rationalisme critique qui est aujourd’hui remise en cause en France. On en a eu un témoignage stupéfiant récemment, lors du débat qui a suivi, sur France 3, le film de Rotman sur la torture en Algérie. Tout le monde, dans la " communauté épistémique " française intéressée par la recherche de la vérité sur " les évènements ", admet depuis longtemps la réalité des faits (sans compter les victimes des viols et des tortures). Pourtant, le général Schmidt (ex-lieutenant en Algérie), qui avait bien étudié les méthodes de la contre-information, s’est montré un virtuose de la méthode Meyssan. " Vous nous montrez 4 ou 5 photos ? vous citez 20 témoins en tout et pour tout ? Le general Ausaresses est gâteux. Trois autres je les connais, ce sont des menteurs et des traitres. Les 16 autres je les récuserai, yeux dans les yeux, dès qu’ils me seront présentés ". Ainsi, 40 ans de témoignages des bourreaux et des victimes étaient récusés. Tous les anciens appelés, dont la grande majorité n’a évidemment assisté ni à un viol, ni à un séance de torture, étaient ainsi rassurés dans leur confort. Mais pire encore, à front renversé : l’ébauche d’une pensée critique dérangeante (mais pas hypercritique !) était du même coup envoyée aux oubliettes. Je fais allusion à l’accusation du représentant des harkis, qui clamait que le scandaleux abandon de 150000 harkis à une mort atroce était la conséquence d’une clause secrète des accords d’Evian. Quand le doute (dorénavant celui de Schmidt) est scandaleux, comment examiner sereinement un doute légitime ? Pourtant l’hypothèse de ce fils de harki, non prouvée, et si énorme soit elle, est belle est bien " légitime selon les critères du libre examen ". L’abandon des harkis est de toute façon une énormité, l’hypothèse d’un accord de ce genre a des précédents (la livraison à Hitler des opposants allemands par Vichy comme par Staline), elle offre une explication rationnelle à un mystère. On ferait sans doute remarquer qu’il ne faut pas introduire des hypothèses peu vraisemblables quand des explications plus simples suffisent (" critère d’Okham "). Moi-même je pensais jusqu’ici que la raison suffisante était : l’indifférence en haut lieu, plus la bureaucratie militaire (" Vous avez 50 camions pour vous replier de Tlemcen - Et nos harkis mon général ? - Pas prévus. Laissez sur place "). J’avoue qu’à la réflexion cette hypothèse " simple " n’est pas moins énorme que celle du représentant des harkis. Pour moi, et jusqu’à des démentis et ou des confirmations que les harkis demandent aujourd’hui à la justice française, elle a la même valeur que l’hypothèse d’une participation de la Sécurité Militaire algérienne aux crimes imputés aux islamistes en avait en 1993. Mais pour le moment ce débat est clos. " Encore une légende urbaine. Théorie du complot. Du Meyssan ". |
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