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par Alain Lipietz | 21 juin 2012

Le Nouvel Observateur
Jean-Jacques et nous (écologistes)
Entretien avec Jacques Drillon
Jean-Jacques Rousseau reste connu pour trois thèses : qu’un contrat fonde la société, que ce contrat est mauvais, et que la nature, elle, est bonne, alors que la société est mauvaise. En qui les écologistes peuvent-ils encore se reconnaître dans ces thèses ?

D’abord, Rousseau n’est pas libertaire, ni libéral : il pense qu’il faut un contrat pour que le fort ne mange pas le faible. Pour Marx, l’idée d’un contrat fondateur n’est qu’une « robinsonnade » : la société connait des transformations, mais à partir d’un toujours-déjà-donné. Je pense en effet que le capitalisme passe par des phases de stabilité reposant sur des conventions, et qu’il entre en crise périodiquement : il faut bien alors négocier de nouveaux « contrats » ! Le New Deal, « nouveau contrat », justement, c’était cela. Et actuellement nous sommes bien en train d’en négocier de nouveaux, qui concernent par exemple la délégation de souveraineté à l’échelle européenne, nos rapports avec l’Asie, et surtout avec la Nature, etc. Nous reprenons donc cette idée de deal, de Green Deal.

Ensuite, « ce contrat est mauvais ». La critique de Rousseau se cristallise sur le tremblement de terre de Lisbonne, où il polémique avec Voltaire, lequel incrimine le tragique inévitable de l’Histoire. Pour Rousseau, au contraire, si Lisbonne avait été construit de façon parasismique ou dans une zone non sismique, ou pas du tout (mais remplacée par des villages dispersés), l’accident aurait été peu grave. Ils ont tous deux raison, mais l’ingénieur que je suis, urbaniste et écologiste de surcroît, est du côté de Rousseau. Que l’Histoire est tragique (que les dieux ne sont pas gentils…) est incontestable, mais il fallait construire ailleurs Lisbonne, et… en notre temps Fukushima. On prétend qu’il ne s’agit pas d’un accident nucléaire, mais d’un tsunami – accident naturel ! Nous répondons que des tsunamis, il y en a toujours eu au Japon, et que celui-là n’aurait pas provoqué l’accident nucléaire si la centrale avait été construite ailleurs, ou pas du tout. Tepco a pris un risque, l’Etat ne l’a pas contrôlé, et ainsi de suite. Même dans le cas de Haïti, où le sort semble s’acharner contre la population, l’ampleur de la catastrophe aurait été contenue si Haïti n’avait pas été marqué par l’esclavage, la pauvreté, et les conditions dans lesquelles la France a vendu son indépendance à ce pays. Nous restons responsables des conséquences, mêmes disproportionnés, de nos actes individuels et collectifs (de nos « mauvais contrats »). D’où la justesse de la maxime du Vicaire savoyard : « Dieu ne m’a-t-il pas donné la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, et la liberté pour le choisir ? »

Enfin, je pense qu’il y a un côté polémique dans la violence de la troisième thèse : « Tout est bien sortant de la Nature, tout dégénère dans les mains de l’homme. » Rousseau sait bien qu’il n’y a pas eu de stade où l’homme était seul dans un monde naturellement bon, que le big bang de la culture à partir d’un état de nature n’existe pas : il le pose comme une hypothèse de travail, une expérience de pensée. Ce qu’il entendait au fond, c’est : la Nature est ce qu’elle est, et une grande part du malheur des hommes vient de leurs erreurs dans leur ambition de la tordre, pour la soumettre à une culture contestable. Rousseau est de son temps, et ne voit autour de lui qu’injustice et inégalités, que Nature déformée, refoulée. Donc il tend à remonter en-deçà de cet état-là, de cette situation-là, le féodalisme et l’absolutisme finissants. Il est peut-être vrai que l’habitus (social) est une seconde nature, c’est ce que prétend Marivaux, mais cela n’invalide pas la critique que fait Rousseau du féodalisme ou du mariage, des lois contre-nature, qui nient la libido, les pulsions des enfants, leur manière particulière de découvrir le monde.

Propos recueillis par Jacques Drillon




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