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par Alain Lipietz | 8 août 2001

Libération
Face à la crise du climat : une autre mondialisation est possible
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
Les savants penchés au chevet de la planète n’en doutent plus : les gaz produits par l’activité humaine, notamment dans la combustion des carburants fossiles, sont en train de bouleverser le climat. Dorénavant cet effet de serre est perceptible à l’expérience commune, par la multiplication des tragédies climatiques : tempêtes dans les zones tempérées, fonte des glaciers et montée des eaux, cyclones dévastateurs en zones tropicales ?

Premier plan d’urgence du genre humain pour enrayer cette crise qu’il a lui-même produite, le Protocole de Kyoto était resté en rade au sommet de la Haye en novembre 2000. George Bush avait fait savoir, dès le mois de mars 2001, que les États-Unis boycotteraient le Protocole. L’enjeu de la conférence de rattrapage qui vient de se dérouler à Bonn était de parvenir, sans eux, à rallier suffisamment de pays pour former un " pool " d’émetteurs cumulant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui permettrait l’entrée en vigueur du Protocole. Son résultat est extraordinaire. Le tandem formé par la Commissaire européenne à l’environnement, Margot Wallström, et le président du conseil européen de l’environnement, le Vert belge Olivier Deleuze, a réussi à mettre en déroute les États-Unis. L’approfondissement du dialogue entre l’Union européenne, les pays en développement, et les grandes organisations non gouvernementales d’environnement, a permis de construire un accord, qui a finalement fait éclater la coalition réunissant, autour des États-Unis, le Japon et le Canada. Au final, la résolution a été adoptée par consensus et la négociatrice américaine n’a pas osé s’y opposer formellement.

Le Protocole de Kyoto est donc sauvé des eaux. Certes, les Européens et les ONG ont dû lâcher du lest : les pays industrialisés auront le droit de planter des forêts dans les pays du Sud, et le carbone ainsi stocké dans les arbres sera compté en déduction de leurs émissions. Solution non viable à long terme (les arbres finissent par brûler ou pourrir !), voire non quantifiable, mais qui permet de gagner quelques décennies.

En revanche, un triple mécanisme de sanctions a été inscrit dans l’accord. En cas de dépassement de leurs émissions autorisées, les contrevenants seront d’office soumis à un plan d’action nationale de lutte contre l’effet de serre ; un pays qui n’aura pas respecté son engagement devra, pour chaque tonne produite en excès, rembourser une tonne, plus une pénalité de 30%, sur le quota alloué dans la période suivante ; enfin, ceux qui n’auront pas fait les efforts de dépollution nécessaires au cours de la première période seront passibles d’exclusion des mécanismes dit de " flexibilité ", notamment ceux qui permettent de faire réaliser dans un autre pays ses propres objectifs de réduction. Ce système de sanctions, par lequel les pays abandonnent volontairement une part de leur " souveraineté " au nom de la défense de la planète, doit être validé à Marrakech en octobre prochain. Par ailleurs, un fonds d’aide aux pays du tiers-monde est mis en place. Les cotisations de chaque pays y seront proportionnelles à ses émissions de gaz à effet de serre : une ébauche de taxe internationale sur les activités polluantes ?

Objectifs communs, système de sanctions, pollutaxe internationale pour financer l’aide aux plus démunis : on mesure le pas en avant qui vient d’être accompli par le genre humain, et dont les États-Unis se sont exclus ! Reste qu’il ne suffit pas de montrer du doigt le fumeur de cigares dans le compartiment non-fumeur. Les États-Unis ne sont pas dans le Protocole ? Cela veut dire que nous, " les autres ", avons à faire encore plus d’efforts domestiques de dépollution de l’atmosphère, et ce de façon convaincante, afin de réveiller l’opinion américaine face à un Bush qui, en ne signant pas l’accord, déclarerait la guerre à l’humanité. Cela implique par ailleurs de jeter les principes d’une équité environnementale géostratégique auxquels ni les États-Unis, ni les puissances émergentes comme la Chine et l’Inde ne pourraient se dérober.

 Au plan domestique

La responsabilisation des usagers, la popularisation de meilleures pratiques, les accords d’autolimitation des constructeurs, seront les plus sûrs moyens de transformer la prise de conscience en pratiques responsables, selon un naissant " civisme planétaire ". Mais pas d’angélisme : ce civisme devra être renforcé par des limites réglementaires, des taxes et des primes incitatives. Il dépend de nous que l’accord de Bonn ne soit pas un leurre, n’en déplaise à MM. Chirac et Lepeltier, opportunément convertis à une soudaine sensibilité écologique, eux qui, hier encore, prônaient le tout automobile et construisaient à Paris et ailleurs des autoroutes urbaines, telle la voie sur berge Georges Pompidou. Ce sont les mêmes qui, lorsque les intérêts industriels d’EDF sont en jeu, n’hésitent pas à inclure les centrales nucléaires dans les mécanismes de développement dit " propres " prévus par le Protocole de Kyoto, et prônent leur construction dans les pays africains quand ceux-ci disposent d’une énergie solaire potentiellement gratuite et illimitée.

En tout état de cause, l’épuisement à terme des ressources fossiles et fissiles, leur impact négatif sur l’environnement ainsi que notre volonté de paix et de justice climatique imposent une deuxième révolution énergétique. Il ne s’agit plus, pour l’humanité, d’apprendre à extraire de plus en plus d’énergie de son environnement, mais au contraire de se faire de plus en plus " légère " : consommer de moins en moins pour le même effet utile. Cela implique une recherche généralisée de l’efficacité énergétique, notamment dans le domaine du logement et des transports (ferroutage, transports en commun), et un recours massif aux énergies renouvelables. Seule la combinaison de ces deux démarches est en mesure de relever le défi d’ici la période fatidique 2008-2012. Cet immense chantier sera à mes yeux la grande ambition du prochain quinquennat, en France, et plus largement en Europe. Sur ma proposition, le Parlement européen a confié le pilotage financier de ce chantier à la Banque européenne d’investissement, orientation reprise par le conseil de Göteborg.

 Géostratégiquement

Il faut qu’à terme tous les pays soient engagés dans le processus de limitation des émissions (réservé, à Kyoto, aux seuls pays industrialisés), mais ce n’est possible que si les mêmes droits sont garantis à tous. Concrètement, pour une population de 9 milliards d’habitants à la fin du siècle, ce droit serait de l’ordre de 600 kg de carbone émis par personne et par an (1800 kg, actuellement, en France ? et 60 kg au Bangladesh !). Tant que ce compromis mondial ne sera pas établi, l’Inde et la Chine ne s’engageront pas en confiance dans le processus ; tant qu’ils ne le feront pas, les Etats Unis en tireront prétexte pour ne rien faire.

Pour aller dans ce sens, j’ai fait adopter par la conférence commune des Parlements européen et latino-américain, en Avril dernier à Santiago, l’affirmation " avec solennité que tous les être humains jouissent des mêmes droits sur l’atmosphère, patrimoine commun et vital de l’humanité ; cela signifie que l’accord de Kyoto doit être considéré comme un premier pas en commun vers une répartition équitable des quotas d’émission des gaz à effet de serre ".

C’est donc une mondialisation porteuse de promesses, bâtie sur une ébauche de confiance entre nord et sud de la planète, qui émerge pas à pas de ces négociations autour du changement climatique. Et c’est bien cela que réclamaient les manifestants de Gênes, qui sont les mêmes que ceux de Bonn. Cette mondialisation-là, les négociateurs du G8 ne la comprennent toujours pas. Depuis leur camp retranché, ils prônent une mondialisation agressive, une mondialisation curieusement sans monde, dévastatrice de toute forme de diversité et déséquilibrant les fragiles horloges de notre environnement planétaire.

C’est donc à tort que les manifestants de Gênes, de Bonn ou de Seattle sont dits " antimondialisation ". Eux veulent une mondialisation politique face à la toute puissance économique des firmes multinationales, une politique au service de tout le genre humain. À l’inverse, le " souverainisme ", qui refuse l’établissement de règles politiques internationales, apparaît du côté des Etats-Unis, désormais isolés sur la scène diplomatique. Le souverainisme fait le jeu des multinationales, qui, dans la négociation de Seattle et à l’Organisation mondiale du commerce, se voulaient et se veulent encore seules émettrices de règles, servant leur seul profit, à l’encontre des " biens collectifs planétaires ", humains et écologiques. La défense de ce bien commun est désormais assurée par une citoyenneté mondiale en émergence.




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