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Alain Lipietz et les Verts
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par Alain Lipietz | 6 novembre 2004 Commentaires sur le texte de Dominique Voynet « 2004-2014 : pour une nouvelle étape »
Ce texte avait frappé les esprits par son aspect de guerre interne, en quelque sorte revancharde (quoique, dans son cas, il n’y ait eu aucune revanche à prendre, contrairement à ce que Dominique a pu éprouver il y a deux ans) : la fameuse “chasse aux coucous”. On peut également rapprocher le texte de DV d’un texte de Michel Rocard réalisant la même opération à l’intérieur du PSU, quelques années plus tôt, mais là, vraiment, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans... Bref, le texte de Dominique nous propose rien moins qu’une rupture avec le tronc commun partagé par les Verts depuis leur création, préparatoire à un ralliement au moindre prix à une alliance “faible” et non autonome avec le PS. Cela dans une version moins provocatrice que son option d’il y a deux ans pour “le grand parti appelé - pourquoi pas - La Gauche”. Et naturellement, ce tournant passe par une élimination des scories autonomistes, “fondi” ou gauchistes au sein des Verts. Comme Domi se heurte à une sérieuse difficulté (ses contradicteurs au sein des Verts sont, eux aussi, pour une alliance avec la gauche... mais à un prix nettement plus élevé), il lui faut pour cela réécrire littéralement l’histoire des Verts, de ses amis et d’elle-même au cours des dernières années. Suivons la donc pas à pas. (je reprends la totalité du texte, aux formules introductives et conclusives près).
« Agir comme elle le fait » ne vise évidemment pas le fait de participer à un courant et de s’en assurer le porte-parolat médiatique : c’est la règle du genre politique. Apparemment il s’agit de son choix de quitter Dole, de refuser la place en or de tête de liste des Verts aux européennes dans sa région, de venir dans une grande ville parisienne, d’y négocier directement avec le PS un poste de sénatrice, bref de s’engager dans une “reconquête” des Verts à partir de Paris et de son rapport privilégié au PS.
Nous rencontrons ici un premier exemple de l’un des deux procédés rhétoriques constants du texte : ironiser sur les idées qui ont jusqu’ici guidé les Verts, sans se risquer à en critiquer ouvertement le contenu. L’expression “majorité culturelle” est empruntée à Gramsci. Elle exprime l’idée qu’avant de prétendre à la majorité politique, il faut conquérir les esprits, faire avancer dans l’opinion publique le contenu de ce que nous avons à dire sur les enjeux de société, pour, ensuite, prétendre à la majorité politique (éventuellement dans un système d’alliance) et y mettre en œuvre des politiques publiques conformes aux aspirations de cette majorité culturelle. Remettre en question la stratégie de “conquête de la majorité culturelle” signifie soit qu’on y renonce - faute de différence significative entre notre projet et celui de nos alliés - soit qu’elle est déjà acquise, ce qui est un peu optimiste...
Deuxième procédé rhétorique du texte : des « approximations » historiques qui n’ont l’air de rien, mais induisent une vision de l’histoire plus conforme à la thèse de l’auteure. En réalité, le succès des Verts aux européennes de 1989 n’est que la continuation du « raz-de-marée » vert aux municipales quelques mois plus tôt, obtenu en totale autonomie (même pas « contractuelle »). Il appartient à la même période que le raz-de-marée écolo (14%) des régionales de 1992, où une légère majorité des voix des écologistes est allée à Génération Ecologie, alors clairement marquée à gauche et participant au gouvernement Cresson, avec Mitterrand. Il s’agit, en travestissant l’histoire, de cacher les vrais débats : comment consolider une avancée culturelle par la mise en œuvre de politiques publiques - ce dont Marie-Christine Blandin nous donnera un remarquable exemple à la tête de la région Nord-Pas-de-Calais. Les Waechteriens refusaient les conditions de cette consolidation en refusant tout contrat avec la gauche.
Ici le travestissement de l’histoire provoque un haut-le-coeur qu’il faut s’efforcer de prendre avec le sourire. En somme, l’actuelle majorité (DDV-PE) est accusée d’être composée de coucous venus faire leurs œufs dans le nid des Verts après avoir raté le coche de 1981 par antisocialisme primaire. Secondairement, il veut laisser entendre que Dominique était à cette époque le fer de lance de l’alliance à gauche. Rectifions pour les nouveaux adhérents (qui sont l’écrasante majorité). À cette époque, la plupart des dirigeants de l’actuel courant « Pôle Ecologiste » étaient des Ecologistes pur sucre et waechtériens. Quant aux animateurs de DDV, s’il est vrai que certains, tout en venant des groupes post-68ards (mais comme beaucoup de monde aujourd’hui à gauche), étaient tout à fait hostiles à l’idée de travailler avec le PS, d’autres avaient depuis le temps sauté le pas. Gilles Lemaire avait rallié le PS et le quittera plus tard, désespérant d’y trouver un moteur de la transformation sociale. Je faisais partie en 1981-1983 de la cellule économique de l’Elysée chapeautée par Attali, Hollande et Bianco. Je l’ai quittée sur de profonds désaccords, et mon livre de bilan - propositions (« L’audace ou l’enlisement », 1984) m’a valu d’être invité par les Verts, qui naissaient la même année, à prendre la tête de leur liste en Seine-Saint-Denis aux élections de 1986. D’autres de mes amis - tels Gérard Peurière - de l’appel « C’est l’heure » (initié par Pierre Radane) rejoignaient au même moment les Verts après avoir pensé un moment que c’était l’heure de travailler avec le PS. Quant à Dominique elle-même, je ne pus obtenir avant longtemps qu’elle affichât clairement une volonté d’alliance avec la gauche. Au début de sa campagne 1995, elle proclamait encore, lors d’une grande émission télévisée, n’être « ni chrétienne ni de gauche », et à l’issue de sa campagne refusait d’appeler clairement à voter Jospinau second tour. Quant à ses plus proches conseillers actuels, ils viennent des groupes les plus sectaires de l’extrême gauche (mais effectivement hostiles aux aspects libertaires, anti-productivistes et anti-étatistes de mai 68) : le trotskisme lambertiste et le PCRML. Ces travestissements de l’histoire ont toujours le même but : dévaloriser l’adversaire et laisser entendre un passé « éclairé » de l’auteure. Quant au second aspect, il importe peu (j’aimais bien les aspects gauchistes de la jeune Dominique, même s’ils m’agaçaient parfois). Quant au premier aspect, il sert à masquer que l’actuelle majorité des Verts a construit sa culture politique dans un rapport actif avec le PS, qui lui a permis de mesurer qu’on peut et on doit faire des choses avec l’incontournable PS... à condition d’avoir construit une force autonome passant ave lui des contrats précis.
Tiens, tiens. Assourdissante lacune : la réduction de la durée du travail est oubliée ! Cet axe stratégique, que les Verts ont été seuls à porter, disons de 1984 à 1997, était pourtant ce qui articulait le souci de l’environnement (le refus de la relance keynésienne par la consommation - si ce n’est très sélective et écologiquement soutenable), de la solidarité (faire reculer le chômage) et de la démocratie (la conquête du temps libre). Dominique n’en avait jamais été une porte-parole créative, mais l’avait acceptée. Ses conseillers d’aujourd’hui n’ont jamais pu cacher la réticence de leur culture envers cet axe stratégique. Or il est très probable que ce sera, comme en 1996-97, un point dur de la négociation avec le PS. La volonté de rupture affichée avec le productivisme de droite et de gauche, si elle tenait lieu d’affichage identitaire dynamisant, masquait en réalité assez mal la faiblesse théorique et doctrinale de l’apport d’un courant de pensée qui se voulait nouveau. En tout cas, cet apport n’était ni explicité, ni constitutif d’un patrimoine nettement formalisé, à l’exception de la production abondante et didactique de tel ou tel. Ce qui d’ailleurs n’a que peu changé. À nouveau, le procédé rhétorique n°1 du texte : traiter par l’ironie l’anti-productivisme, effectivement le fondement et pas seulement l’affichage de l’écologie politique. Dire que s’en réclamer ne dispense pas du travail d’élaboration est un truisme. Laisser entendre que les Verts se souciaient peu de ce travail d’élaboration est au mieux une autocritique dont il faut laisser à l’auteure la responsabilité, au pire une injustice. C’est faire peu de cas en effet de l’expertise accumulée dans les commissions et déjà dans la pratique des Verts. Ayant l’immodestie de me compter parmi les « tel ou tel », je peux témoigner que je n’aurais pas écrit « La société en sablier. Le partage du travail contre la déchirure sociale » sans l’extraordinaire atelier collectif à ciel ouvert que constituaient les Verts, avec les centaines de réunions auxquelles ils m’ont offert de participer sur ce sujet en une dizaine d’années. Cette expertise des Verts ne croîtra jamais assez vite, mais est déjà remarquable. Dominique devrait lire l’actuel programme des Verts adopté il y a un an.
Phrase d’une merveilleuse ambiguïté. L’auteure veut-elle dire que cette « mise à jour » de la Cfdt est un volet de ces « émergences syndicales » ou au contraire d’isolement par rapport à cette rénovation ? En bref, que pense-t-elle de l’évolution de la Cfdt ? de la Cgt , de la Fsu ? de Solidaire ?
Que la notion d’autonomie contractuelle n’ait pas été clarifiée avant l’AG du Mans (1996) est sans doute vrai. Depuis, nous sommes arrivés à une définition extrêmement précise que synthétise la motion quasi unanime adoptée lors de notre dernière AG (Nantes 2002). Cette répudiation de l’autonomie contractuelle, ironiquement traitée d’ « oxymore » (clair-obscur en français : cf. Corneille « cette obscure clarté qui tombe des étoiles... ») est significative de l’incapacité de l’auteure à en maîtriser la dialectique. Passée d’une position « autonomie sans contrat » (en 1995) à une position « contrat sans autonomie » (aujourd’hui), l’auteure se refuse à comprendre que, même en droit civil, pour passer un contrat, il faut être autonome et le rester. Nous voulons être des partenaires loyaux si le contrat est bon et respecté. Cela suppose d’être autonome pour en définir les termes acceptables, et de le rester pour réagir à ses éventuelles violations, de le rester toujours pour aller de l’avant vers notre projet, l’écologie politique et le développement soutenable et solidaire.
On ne sort jamais d’une maturation, sauf en tombant et en pourrissant. Nous n’en sommes pas là. Les Verts ont encore beaucoup à apprendre et à donner.
Mais nous avions dirigé une région, ce qu’aucun de nos amis européens n’avaient jamais fait. Cette approximation comme celles qui suivent servent à minorer l’expérience collective des Verts pour exalter l’exceptionnelle expérience ministérielle de l’auteure (« Si vous, qui en 1997 n’étiez rien, aviez vécu ce que j’ai vécu, vous sauriez... »).
Les Verts se sont en effet divisés, il y a deux ans, sur le bilan de cette expérience. La majorité de Nantes a relativement bien cerné les raisons de l’échec du 21 avril 2002. En refusant encore aujourd’hui de partager ce bilan, Domi s’expose à reproduire les mêmes erreurs en 2007.
En 1997, ceux qui sont aujourd’hui les Verts partaient encore divisés aux élections. Il faut rajouter à leur score celui de CES, le parti de Noël Mamère qui, contrairement au Parti Ecologiste d’Yves Pietrasanta et aux « groupes locaux », avait jusqu’ici refusé la fusion, bien que dans la négociation avec le PS les Verts aient fait réserver une circonscription pour lui (et pour Marchand, de l’AREV). Le total atteint 7%, ce qui est peu, mais bien mieux qu’en 94 et 95. Surtout, faute de proportionnelle, cela donnait un nombre d’élus dérisoire. L’abandon de fait de la revendication de proportionnelle, sous la pression de Dominique, reste une des plus graves fautes de cette expérience.
Point essentiel, formellement juste (c’est toute la question de la conquête de la majorité culturelle - voir plus haut), mais utilisé à contre emploi par Dominique, sans doute pour justifier à l’avance des négociations au rabais avec le PS sous prétexte que « la société n’est pas prête ». Tous les sondages montraient que dans les arbitrages défavorables rendus par Jospin au nom de l’équilibre, les Verts étaient plus proches de l’opinion publique (de l’opinion de gauche ou de l’opinion tout court) que l’arbitrage Jospin. (Voir mon livre bilan « Refonder l’espérance »). Quant à la volonté politique, elle s’exprime par le vote des citoyens qui choisissent un programme. Il est clair que ce programme peut être en avance ponctuellement sur la majorité culturelle (exemple : l’abolition de la peine de mort, et probablement le PACS au moment où ils sont votés par les députés). Mieux vaut pourtant s’en tenir à la juste maxime de « faire ce qu’on a dit ». Car la sanction n’est jamais loin : les élections suivantes.
Notons qu’il y eut 3 membres du gouvernement, et devinons celui qui est oublié.
Il en sera toujours ainsi, et il faut s’y adapter. Quelle que soit la précision des programmes, il faut « improviser » la réponse adaptée face aux lâchages incessants de la social-démocratie : avaler la couleuvre, taper du poing sur la table, mettre en scène une crise, etc. Le problème (dont nos amis allemands donnent des exemples autrement graves) est que tout s’est passé comme si le cabinet de la ministre s’arrogeait le monopole des arbitrages, en lieu et place du parti.
Judicieuse remarque qui a pu échapper à certains des acteurs ou spectateurs de l’époque...
Personne ne « prétend » qu’elle fut totalement négative. Le bilan a été tiré par les électeurs, le 21 avril, et nous pensons tous que la défaite n’était pas si méritée, qu’en tout cas, le personnage Jospin et le PS dans son entier y ont mis du leur, etc. Reste que la solution consistant à « changer de peuple » n’est pas satisfaisante pour des démocrates. Mieux vaut étudier sereinement « ce qui n’a pas collé » pour éviter le retour des erreurs.
On retrouve une « théorème » dont bénéficient aujourd’hui les Verts allemands, déjà vérifié en 89-93 en France : les Verts profitent du désamour de la social-démocratie quand elle s’use au pouvoir, mais celle ci peut les entraîner dans sa chute.
... mais de plus en plus anti-maastrichtiennes, quelques années avant Fabius... Rappelons que l’auteure, comme moi-même ou Marie Blandin, avions su voir dès 1992 les dangers de ce traité. Ce qui ne nous empêchait pas d’être pro-européens.
Nous revenons là sur le problème du caractère de plus en plus monarchiste du gouvernement des Verts dans la dernière période de la majorité plurielle, à l’origine du changement de majorité à l’AG de Nantes fin 2002. Cela dit, les tensions furent réelles, inévitables, légitimes. Le problème de les réduire ou de les réguler se posera et reposera toujours : pas d’illusion à avoir sur une solution miracle. Cela ne dépend pas tant des statuts que de la personnalité et de l’éthique des responsables.
Point important : y a-t-il eu simplement « sentiment de maltraitance » ou « réalité de la maltraitance » ? le PS avait -il vraiment accepté l’accord de 1997 ? ou les couleuvres qu’il nous a fait avaler étaient-elles justifiées ? Là encore, on voit bien la rhétorique de l’auteure : les Verts se plaignaient trop, et leurs dirigeants actuels ne sont pas capables d’assumer les nécessaires compromis que les « deux » ministres, eux, avaient su comprendre. Il faut heureusement mettre les choses au point : les Verts d’aujourd’hui n’envisagent pas de refuser les alliances qui permettraient la victoire. Ils partent résolument à la recherche d’alliés. Mais cette recherche ne se résume pas à des têtes à têtes avec les dirigeants socialistes. Nous voulons mettre dans le coup les forces sociales, pour un accord qui en vaille le coup. Car il ne suffit pas de gagner une élection. Le vrai test, c’est de gagner la suivante ! D’une façon générale, le 21 avril 2002 est l’autre « trou noir » de ce texte, avec le partage du travail.
Nous retrouvons ici la thématique introduite l’été dernier par Marie-Hélène Aubert contre les arrachages d’OGM en plein champs (Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la continuité entre le texte de Dominique Voynet et la « petite musique » développée depuis 2 ans par l’une des branches de l’ex-courant « Rénover maintenant »). Pour la majorité des Verts issue de l’AG refondatrice de Nantes, les actions « de témoignage » menées en liaison avec les mouvements sociaux ont d’abord un contenu (dans ce cas la prévention de la dissémination des gènes). La résistante civile est la forme naturelle de lutte contre les erreurs irréversibles du productivisme... même quand nous ne sommes pas au pouvoir ! La résistance au productivisme pour sauver la planète ne se met pas en veilleuse pendant les années où les Verts sont dans l’opposition. Elles ont par ailleurs une forme : en effet la liaison avec des forces différentes de nous (ici une jonction entre écolos, Confédération Paysanne, pacifistes de la Communauté de l’Arche, etc.) qui a elle même un double effet. Certes, notre renforcement dans le rapport de force avec « l’ordre établi ». Mais surtout la construction de la fameuse « majorité culturelle », dans un partenariat où chacun (parti, associations, syndicats) apprend de l’autre et se transforme lui-même. On peut appeler ça avec mépris « gagner des parts de marché ». Et en effet nous espérons bien qu’il y aura des retombées électorales. Et alors ? On nous disait, l’été 2003, que les Verts n’étaient plus qu’à 3% et ne pouvaient espérer que 1 ou 2 députés européens. La suite a montré que la « part de marché » des Verts s’était miraculeusement reconstituée. Qui s’en plaindra ?
Hélas ! toute lutte débouchera toujours sur des compromis entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, et il faudra encore lutter dans 1000 ans, dix mille ans ! Le problème de l’auteure, c’est que, suivant la pente de la direction Cfdt, elle prétend anticiper les compromis possibles, sans même songer à déplacer au préalable les rapports de force dans la société. Or, comment le faire sans les mouvements sociaux ? S’imagine-elle que l’alliance consommateurs-écolos-paysans, cette « majorité culturelle contre la mal-bouffe », qui a refusé, en France puis en Europe, malgré l’OMC, le veau aux hormones il y a 20 ans et maintenant les Ogm, s’est construite toute seule ?
La majorité n’est jamais un fait, mais une conquête, c’est ce que toutes les approximations historiques de l’auteure visent à cacher. La nouveauté de l’écologie politique ne trouve pas une opinion publique déjà faite, anti-productiviste, etc. Au contraire. Nous sommes partis petits. Nous avons progressé dans l’opinion. Pas assez vite pour faire face aux dégâts du productivisme. Mais si nous nous en étions tenus, et nous en tenions demain, au « fait » de la majorité telle qu’elle est, nous n’aurions plus qu’à retourner danser en attendant que le Titanic se jette sur l’iceberg. L’auteure confond en fait deux choses : le combat permanent des écologistes, y compris comme minorité prophétique dont René Dumont nous a donné l’exemple, et le respect absolu de la démocratie (et donc de la majorité telle qu’elle est construite à un moment donné) pour mener des politiques publiques. Faire programme, c’est donc affirmer un projet qui certes peut rester longtemps minoritaire, mais aussi, selon les axes de ce projet, proposer les compromis qui peuvent devenir majoritaires électoralement, à un moment donné de la conquête de la majorité culturelle, pour déjà « faire quelque chose pour la planète » et donner envie d’aller plus loin...
Tout cela, notons le bien, sans conquête de la majorité culturelle et sans liaison avec les mouvements sociaux, dans le respect du « fait majoritaire ». Nous attendons avec curiosité LA solution miracle de l’auteure. Patience !
Ah. L’Europe, comme solution miracle. Problème : le Parti Vert Européen aura à se poser exactement les mêmes questions. Nous en faisons l’expérience tous les jours au Parlement européen. Quant à l’affichage des priorités , nous en aurons un exemple dans un instant. Un mot sur l’expression « front uni ». C’est le mot chinois, dialecte vieux-mao, pour « autonomie contractuelle ». Quel conseiller a bien pu souffler ça à l’auteure ? Mais ici ça devient un nom de « dispositif partenarial d’urgence ». Tiens.
Oui, oui, oui... sauf que le choix de l’auteure est décisif : même si on vient « à l’Ecologie politique par d’autres voies que l’Ecologie » (?), celle-ci ne sera jamais, selon elle, qu’un « élément thématique sectoriel parmi d’autres ». Ces autres éléments, à combiner à l’écologie politique mais qui lui sont étrangers (la solidarité ? la démocratie ?), seront donc la spécialité « thématique et sectorielle » d’autres partis. A moins que tous ces partis ne fusionnent dans un grand parti généraliste que l’on pourrait par exemple appeler « La Gauche » ? Soyons sérieux. Le choix des Verts, depuis l’origine (Dumont, etc.) est en effet la première branche de l’alternative. Eh oui, l’écologie politique est à la fois une approche (intellectuelle, éthique, etc.) et une politique inspirée par cette approche qui revisite, recolore, tout l’héritage progressiste de l’humanité (« Nous sommes des nains perchés sur des épaules de géants », disait l’autre) à la lumière des urgences nouvelles (dont Yves Cochet souligne la nouveauté dramatique). Or les forces de la « vieille gauche » n’en continuent pas moins d’exister, ce qui nous oblige à nous poser la question du rapport avec elles. D’où la thématique de l’autonomie contractuelle, etc. Mais évidemment, si l’écologie politique ne représente plus qu’une thématique sectorielle...
Nous avons ici le premier exemple de ce que l’auteure entend par « hiérarchiser ». Laissons de côté le paragraphe un peu amorphe sur les « valeurs contemporaines » et méditons le paragraphe sur le recrutement. Enfin on parle de « discrimination positive », on fait des choix rigoureux. Pas en faveur des minorités issues du passé colonial de la France, mais « des composantes ouvrières et populaires, de la jeunesse et des groupes issus de l’immigration, des intellectuels prolétarisés, des artistes, des artisans, des acteurs du monde rural et des très nombreux entrepreneurs critiques ». Question : qui mettra-t-on en numéro deux de la hiérarchie, ceux qui ne mériteront pas une discrimination positive ? Apparemment les ni-ouvriers-ni-populaires-ni-acteurs-du-monde-rural-ni-entrepreneurs qui sans être des intellectuels prolétarisés ne sont pas vraiment des intellectuels ni des artistes. Qui, alors ? De bons candidats à notre moindre intérêt seraient les travailleurs de la santé et de l’éducation, de la fonction publique, et les acteurs du lien social en milieu urbain (animateurs du tiers secteur, etc). C’est vrai qu’on en a déjà beaucoup trop... On peut en effet s’agacer de la surreprésentation en nos rangs des fonctions médiatrices du corps social, de celles et ceux qui soignent les corps, les âmes et les liens interpersonnels. Mais je me demande si leur profession ne nourrit pas justement un tel rapport avec l’écologie politique qu’ils en deviennent légitimement les « hussards verts », comme les instituteurs furent les « hussards noirs » de la République radicale-socialiste. Dominique Voynet - ex de la fonction publique hospitalière - a raison de ne pas vouloir s’en tenir à cette « base sociale ». Mais, quitte à hiérarchiser, il ne me paraît pas de bonne politique de s’abstraire de notre base sociale naturelle.
Ici rien à dire. Voici une proposition concrète qui nous ferait franchir une nouvelle étape. Si nous ne l’avions répétée dans toutes les AG des étapes antérieures. Un art simple et tout d’exécution...
Attention. L’expérience du 21 avril ne peut encore une fois être rayée d’un trait de plume. Il peut être dangereux, et pas forcément productif, de « plumer la volaille socialiste ». Si nous voulons gagner ensemble, le plus important est de gagner ceux que le PS n’a pas, même s’il est utile de lui piquer quelques uns de ses électeurs (« le concurrencer électoralement »). Où trouver des électeurs sans faire « plonger » le PS derrière le Front National, c’est la seule question que nous posent non seulement les politologues, mais tous les électeurs/trices de bon sens. La réponse est « ailleurs », c’est-à-dire chez les « désabusés » et les « désespérés » du vote socialiste. Ils sont essentiellement dans l’abstention, ou à gauche du PS, ou à droite du PS. Ce que vise sans doute la phrase suivante :
On le voit, l’auteure ne songe pas à « concurrencer » le PCF, mais à s’allier à un PCF rénové. On en déduit, par continuité de la phrase, qu’elle envisage d’en faire autant avec l’UDF devenue anti-Sarkozyste. Elle devrait lire de plus près les votes des UDF au Parlement européen : contrant mon rapport sur la politique de la Banque Centrale Européenne, ils ont sans broncher attribué la sclérose de l’Europe à l’insuffisance de la durée hebdomadaire du travail. Il est vrai que celle-ci n’a rien d’identitaire pour l’auteure, mais quand même.. En tout cas, les grands absents de son analyse sont les électeurs qui oscillent entre les votes protestataires d’extrême-gauche et l’abstention. Soit deux fois plus que les électeurs Verts, si l’on en croit la dernière élection présidentielle...
Voici donc ce que l’auteure propose aux mouvements sociaux et oppose à la « convergence solidaire » : des colloques. L’actuelle majorité des Verts a su en effet attirer les syndicats, mutuelles, associations, dans ses « 3 heures pour l’écologie » et autres « Conventions ». Mais cela ne serait pas allé bien loin si ces partenaires ne nous avaient par retrouvés à leur côté sur le terrain des luttes et des mobilisations.
Ce paragraphe plonge le lecteur dans la plus grande perplexité. On se réjouit certes que l’auteure ait remarqué que les Verts ne sont pas « à 3% ». Mais le tableau qu’elle dresse est d’une approximation déroutante, au point qu’on n’y perçoit même plus d’intention maligne (si ce n’est de faire miroiter l’inutilité de la proportionnelle). « Parti de second tour », ça veut dire parti qui arrive au second tour en devançant ses alliés au premier, de façon à devenir par ses propres moyens le candidat de toute la gauche au second tour. Il ne s’agit donc pas des « circonscriptions réservées » ou de municipalités remportées par alliance dès le premier tour (Saumur, Bègles). Bon. Cela arrive en effet dans un certain type de grandes villes aux cantonales : Grenoble, Lille... Mais aux municipales ? cela ne s’est produit, justement, que dans la France rurale profonde... ou dans les banlieues ouvrières (Ile-Saint-Denis, Les Mureaux). Il s’est toujours agi du résultat d’un long travail d’un individu ou d’équipes associatives. J’avoue donc ne pas voir où mène cette analyse fausse et ce que vise le « volontarisme » de la conclusion :
La proportionnelle n’est pas une charité. C’est une nécessité pour revivifier la démocratie, en permettant à chaque voix de compter, en rapprochant le corps élu de l’opinion des électeurs.
De ce charabia technocratique digne d’un consultant en ressources humaines dessiné par Plantu, résulte une impression : les Verts sont pas des bons, c’est pour ça qu’ils n’ont pas eu beaucoup de ministres, et ils sont toujours pas des bons, même si quelques maniaques ont pu accéder à l’excellence dans leur hobby inutile (par exemple le repérage des facteurs environnementaux de telle ou telle maladie). La conclusion coule de source : pour occuper nos postes de ministres de dans deux ans, et leur cabinet, il faut recruter des bons :
On remarquera que ce n’est pas les mêmes « cibles » que les discriminés positivement du paragraphe « évoqué ci-dessus ». A moins de considérer les cadres de la haute fonction publique et du « monde de l’économie » comme des intellectuels ou des artistes ? Ou qu’il y a deux filières de recrutement, une pour les adhérents et une pour les dirigeants ?
Je dois dire que, depuis quelques paragraphes, la rédaction de ce texte prend un tour de plus technocratique qui décourage même la critique. Dominique a raison : les questions de fonctionnement ne sont que les conséquences des lignes politiques. Si on choisit la sienne, alors oui, le parti vert sera une organisation qui « gratifiera les parcours personnels de manière rééquilibrée ». On a envie d’ajouter « polytransversale et multidisciplinaire ».
Il y aurait ainsi, par exemple, une sorte de défouloir politique du parti désigné à la proportionnelle des courants, et par ailleurs des responsables opérationnels échappant à la médiocrité qu’il faudrait recruter par des « procédures spécifiques » pour éviter l’influence des parrains clientèlistes, pardon, des courants. Nous avons connu d’ailleurs une ébauche de cette double hiérarchie (la proportionnaliste - le CE- et la méritocratique - le cabinet de la Secrétaire nationale) rue Mélingue vers 2002.
Les textes concurrents ainsi habillés pour l’hiver, le texte de Dominique conclut par les bons vœux d’usage. Nous la remercions pour le décryptage ainsi offert du texte de son courant, Rassembler, et nous vous donnons RenDez Vous à l’Assemblée fédérale décentralisée ! Sur le Web : Les Verts, 2004/2014 : Pour une nouvelle étape, par Dominique Voynet |
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