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par Alain Lipietz | 13 avril 1999

Libération
Ce qu’il faut savoir quand on prêche l’intervention
Ce samedi 10 avril, place de la Sorbonne à Paris, sous les drapeaux du Comité Kosovo et des Verts, s’est retrouvé un arc inouï de sensibilités politiques. De Joël Roman (revue Esprit) à Christophe Aguiton d’AC ! ou Annick Coupé de SUD, en passant par Philippe Herzog de la liste du PCF, nous étions heureux de nous retrouver, mais aucune fièvre guerrière ne nous emportait.

Beaucoup d’entre nous avions jadis animé le mouvement contre la guerre du Golfe. Nous étions simplement celles et ceux qui, renonçant à la rhétorique du " Ah ! s’il n’y avait pas les bombes et l’OTAN ! ", ou au prétexte de ce que nous n’avons pas fait (les Kurdes ?) pour ne rien faire encore une fois, avons choisi l’essentiel : la défense de la vie, des droits personnels et collectifs du peuple kosovar, face au régime dictatorial et raciste de Milosevic. Et pour défendre ce peuple, nous sommes résignés à l’inéluctable : une intervention de " gendarmerie internationale ", c’est-à-dire au sol, pour défendre le droit des Kosovars à revenir vivre sur leur terre, alors que les bombardements à distance se sont révélés totalement inefficaces.

Cette position est terrible pour tout le monde et nous n’y sommes pas parvenus sans déchirements intérieurs. Pour les Verts, la cuti fut définitivement virée à Srebenica : ils avaient vécu comme une félonie l’abandon au génocide des réfugiés bosniaques, par les troupes de l’ONU sensées les protéger. Dès janvier 1999, avant Rambouillet, ils avaient appelé à une force de protection militaire garantissant les droits de tous les habitants du Kosovo.

Mais aujourd’hui ? Place de la Sorbonne, chacun, avec raison, renchérissait sur les conditions d’une " bonne " intervention. Ce qu’il faut savoir, c’est que la logique essentiellement dictée par Milosevic impliquera nécessairement des entorses à l’idéal.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’un cessez-le-feu inconditionnel signifierait la victoire des objectifs de guerre de Milosevic. Les conditions communes de Kofi Annan et de l’OTAN (le retour des réfugiés et la mise en place d’une protection militaire) impliquent la défaite des Serbes, et l’affrontement au sol.

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’intervention au sol signifie des risques de mort pour les soldats qui y participent (au mieux : Européens et sous mandat de l’ONU), et qu’il est donc absurde de demander simultanément l’arrêt des bombardements. Aucun chef de gouvernement, aucune famille n’acceptera de risquer la vie de " ses gars ", pour une cause éthiquement juste mais quand même lointaine, sans un maximum de précautions : avec une couverture aérienne, et avec le maximum d’alliés, donc avec les Américains.

Ce qu’il faut savoir, c’est que la guérilla kosovar, qui sera sur place leur alliée essentielle, n’est pas dirigée par les admirables non-violents de Rugova, mais par l’UCK.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les cibles les plus importantes des bombes ne seront pas les convois serbes au Kosovo, mais leur logistique en Serbie. Or il n’y a pas de bombardement propre, et nous devrons renoncer pour un temps à faire ce que nous aurions dû faire depuis 10 ans : gagner les c ?urs des civils serbes.

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’Europe n’aurait pu échapper à la direction américaine que si elle avait eu le courage de se faire elle-même, sans intégrer a priori l’U.E.O. à l’OTAN dans le traité de Maastricht, qu’il est trop tard ou trop tôt pour réparer cette erreur.

Ce qu’il faut savoir, c’est que le refus d’une partition du Kosovo n’effacera pas les blessures de la guerre et qu’une conférence balkanique, incluant la Russie, devra reconstruire les conditions d’une paix durable, garantissant les droits des minorités, au prix sans doute de quelques modifications de frontières.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les déportés souhaitent rester au plus près de leur pays, mais qu’ils ne sont pas les bienvenus chez les misérables voisins du Kosovo, et que l’Europe devra leur accorder massivement un asile provisoire. L’ " insurrection de la bonté " des 200 000 familles françaises qui se déclarent prêtes à les accueillir montre que notre peuple est, sur ce point, plus mûr que ses dirigeants.

Tout cela, nous le ruminions, place de la Sorbonne. Ce réalisme ne nous dispensera nullement de lutter farouchement pour délimiter politiquement les objectifs de l’intervention : les droits des Kosovar, la paix dans la région, la démocratie en Serbie. Contre la pure logique militaire. Mais en sachant que la guerre et l’éthique ne font pas bon ménage.




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