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par Cédric Paulin | 12 juin 2008

Aspects économiques de la prise en compte de l’environnement dans les programmes d’armement
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Il s’agit de croiser deux types de disciplines, deux types d’objet : l’environnement et l’armement, et donc retrouver les problématiques essentielles à ces deux objets, pour réussir à les croiser. Bien entendu, c’est l’économie de l’environnement, le droit de l’environnement qui sont de nature à faire évoluer l’économie de l’armement, davantage que l’inverse.

Il s’agit de croiser deux types de disciplines, deux types d’objet : l’environnement et l’armement, et donc retrouver les problématiques essentielles à ces deux objets, pour réussir à les croiser. Bien entendu, c’est l’économie de l’environnement, le droit de l’environnement qui sont de nature à faire évoluer l’économie de l’armement, davantage que l’inverse.
Juste comme rappel bibliographique, je souligne que les deux pôles les mieux et les plus anciennement outillés pour cette réflexion sont les Etats-Unis avec une étude datant de mai 1998, et la Suède avec des études d’une équipe de la Swedish Defence Research Agency (FOI) depuis 2004. Les deux pays ont d’ailleurs collaboré en 1999 pour coécrire un handbook sur la prise en compte de l’environnement dans les programmes d’armement. Ce sont chez eux que vous trouverez des méthodologies les plus abouties pour intégrer l’environnement dans l’armement.
Cela étant, l’implémentation de l’environnement dans les programmes d’armement ne pourra se faire qu’en comprenant bien les spécificités de la défense. C’est un premier point que je voudrais rapidement rappeler ici.

 Les spécificités de la défense et de l’armement

L’armement est l’outil matériel de la Défense. Première contrainte en matière de Défense : la contraction des budgets pour ce qui concerne les pays européens ; or, il n’est jamais évident d’intégrer des spécifications supplémentaires dans des programmes d’armement si elles conduisent à des surcoûts. Mais aussi une opportunité : le budget d’investissement, d’acquisition de la Défense est le premier dans l’ordre des budgets d’investissement de l’Etat, donc il existe un fort effet de levier possible si ce budget d’investissement verdissait un peu.

Deuxième contrainte pour prendre en compte l’environnement : la défense et l’armement sont conçus pour détruire s’il le faut, et en tout cas contraindre et compliquer la vie des adversaires, dans les limites juridiques du jus in bellum. Donc, un armement se mesure toujours à l’aune du gain opérationnel, de son efficacité opérationnelle : vous aurez du mal à faire accepter une perte d’efficacité opérationnelle pour un gain environnemental. L’arbitrage ne peut pas se situer dans cette alternative.

Cela nous amène à une dernière caractéristique de base de l’armement : ces spécificités d’usage et d’utilisation, qui d’une certaine manière reprennent les contraintes précédentes. Il s’agit surtout de les présenter dans un autre contexte, je dirais à trois instants, à trois temps différents :

1. A t moins 5/10 ans, lors de la conception : concevoir un armement est plus long qu’une machine à laver. Comment intégrer des contraintes environnementales qui ne sont pas encore exprimées scientifiquement, socialement et juridiquement ?

2. A t0, lors de l’utilisation : il existe des conditions d’emploi particulières : atmosphériques, en temps extrême, etc., qui font que certains matériaux, notamment de jointure, de soudure, etc., sont difficilement remplaçable. Difficilement, mais pas de manière impossible. Le tout est de trouver des conditions financières acceptables.

3. A T plus 1 ans/40 ans : durée de vie très longue d’un matériel, qui pose le problème des obsolescences et du démantèlement. Comment gérer des contraintes environnementales non anticipées et surtout non connues ?
Ces trois temps en réalité reposent sur une réflexion bien connue dans la défense, celle de la gestion du cycle de vie, et du point de vue budgétaire et financier, celle du coût de possession. Vous trouvez là, selon moi, les portes d’entrée pour la prise en compte de l’environnement dans les opérations d’armement.

 La gestion en cycle de vie et le coût de possession

La gestion en cycle de vie correspond aux phases d’un armement : composants et ressources naturelles, production (en distinguant probablement entre la production des sous-systèmes et l’assemblage final), l’acquisition, l’utilisation avec maintenance, et enfin démilitarisation/démantèlement. Notez que ce n’est pas suffisamment pour aller jusqu’aux coûts : pour y arriver, il faut ajouter la R&D, qui ne puise pas dans les ressources naturelles, mais ont un coût certain.

Donc, il vous faut une décomposition chronologique de la vie d’un armement afin d’en mesurer 1. l’impact environnemental, et 2. les possibilités de réduire cet impact ou de mieux internaliser les coûts. Il faut avoir une approche par la structure des coûts, qui conduise ainsi à une voie analytique.

Si la gestion en cycle de vie n’est pas nouvelle, elle n’est pas, il est vrai, appliquée de manière systématique. Ainsi, si la problématique de la prise en compte de l’environnement pouvait faire avancer la question, et la systématiser, du coût de possession, cela serait déjà une très bonne chose. C’est un réflexe à avoir.

Ensuite, il faut évaluer le coût de ces phases, d’abord en soi et puis selon les impacts et coûts environnementaux, puis enfin selon les moyens optimaux d’y remédier. Quelques exemples :

Pour un navire de surface, 40 % du coût global de possession correspond à la phase de R&D, de production et d’acquisition, tandis que 60 % correspond à la phase d’utilisation, de maintenance et de démilitarisation. Pour des hélicoptères, ce sera 20 % pour l’acquisition, et 80 % pour l’utilisation/démilitarisation. Ça, ce sont des ordres de grandeur à préciser dans le cadre de la gestion du cycle de vie et des coûts de possession.

Ensuite, pour les coûts environnementaux : principalement lors de la phase d’utilisation (carburant, peinture, transport, etc.). En %, pour un avion de combat, c’est entre 1 et 2 % en coûts environnementaux, sécurité et santé professionnelles lors de la phase d’utilisation, maintenance et démantèlement. Autre exemple intéressant, à l’intérieur même de la phase de production pour le Joint Strike Fighter (JSF) : 2 % des matières dangereuses utilisées lors de la production le sont précisément lors de l’assemblage final, c’est-à-dire pour l’industriel maître d’œuvre Lockheed Martin. Les 98 autres pourcentages sont portés par des sous-traitants, fournisseurs et sous-systémiers. Ce n’est selon moi pas assez souligné : les normes environnementales, les contraintes environnementales pour les industriels de la Défense seront en très grande partie portées par les fournisseurs, les sous-systémiers, ceux que l’on évoque moins par rapport aux grands maîtres d’œuvre classique, qui se sont concentrés sur la phase à haute valeur ajoutée, à savoir l’assemblage final. Dans la réflexion sur qui porte les coûts ou surcoûts environnementaux, il est très important de connaitre parfaitement la structure de l’industrie d’armement.

Je vous ai cité quelques exemples, il y en aurait quelques autres sur d’autres matériels et sur d’autres phases, mais vraiment pas beaucoup et rarement comparables. Ça veut dire quoi et ça entraîne quoi ?

 Perspectives futures

1. Impossible de dire pour le moment : l’environnement dans un programme d’armement c’est tant d’euros ou tant en pourcentage. On peut toutefois poursuivre les comparaisons de cas dont on dispose, et on devrait faire du vrai retour d’expérience en matière d’armement et d’environnement.

2. Chaque programme d’armement sera spécifique quant à l’intégration de l’environnement : s’agit-il d’un bien civil militarisé, d’un bien acheté sur étagère et un peu adapté, d’un bien spécifiquement développé pour les armées, comme exemplaire unique ou comme consommables, etc. ?

3. ça implique des évolutions de modèles de comptabilité et de gestion budgétaire, pour permettre l’intégration, et si possible l’internalisation, de certains coûts environnementaux. Et la Défense ne part pas de rien, car « cycle de vie » et « temps long » elle connait, probablement davantage que d’autres secteurs industriels.

4. ça implique de commencer le plus tôt possible à envisager la protection de l’environnement, le devenir d’un système ou d’un composant dans un programme. C’est l’éco-conception en matière d’armement évidemment, mais plus que ça : c’est se poser la question « ça fait quoi pour l’environnement le système d’arme auquel je pense, qu’il faudra produire, utiliser et démanteler ? ». Quelles seront les pénalités éventuelles, les surcoûts de mise en conformité possible selon l’évolution de la réglementation environnementale, et pourquoi pas les impossibilités d’utilisation de ce système à moyen/long terme ? L’éco-conception doit intégrer tout cela, et le fait déjà en ce qui concerne ceux qui en ont la charge à la DGA.

5. ça implique un partenariat et un échange d’information entre industriels eux-mêmes et entre industriels et Etat-client, pour savoir qui porte les surcoûts. Comme toujours, les cas connus d’analyse de la prise en compte de l’environnement dans certains systèmes d’armes montrent tous que la première difficulté est l’absence d’échange de l’information pertinente.




Sur le Web : Fondation pour la recherche stratégique

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