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par Nasséra Dutour | 6 décembre 2007

Algérie : De la concorde civile à la Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale : Amnistie, amnésie, impunité
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Amnistie, amnésie, impunité
Amnistie, amnésie, impunité
Amnistie, amnésie, impunité

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Si les autorités imposent des lois d’amnistie, c’est pour oublier. Or, c’est le mal qu’on veut oublier en général. Si elles veulent effacer les mémoires, c’est forcément qu’elles se sont rendues coupables d’actes condamnables qui les couvrent de honte.

Ce qui me réconforte, c’est que nous, victimes, sommes toujours debout face à eux et déterminées à ce qu’ils disent la vérité.

Mon fils a été enlevé le 30 janvier 1997 par la police ; il avait 21 ans, et comme toute mère je dirais que mon fils était beau, il était beau avec de beaux yeux bleus, un bel homme quoi !. Il voulait vivre ! 10 ans après sa disparition, il reste toujours aussi beau.

Les questions sont d’abord est-ce que mon fils est vivant, est-ce qu’il est mort, est-ce qu’il souffre ? Oui sûrement qu’il souffre ! Ou s’il est mort, il ne souffre plus. Alors il vaut peut-être mieux qu’il soit mort … Oh non ! Je souhaite la mort de mon fils, je suis une mère indigne, je souhaite la mort à mon fils. Mais c’est pour qu’il ne souffre plus. Non je ne lui souhaite pas la mort, je voudrais qu’il me revienne, comme il était beau et souriant - est-ce qu’il l’est encore ?

Je voudrais pouvoir arrêter de me poser toutes ces questions. C’est ce qu’on appelle « faire son deuil ». Mais là il y a une autre complication, je ne veux pas faire le deuil de mon fils. Je veux qu’il me revienne vivant.

Aucune mère ne pense que son fils est mort, aucune. Je voudrais pouvoir répondre aux questions de ces mères. Je voudrais tellement savoir, quand vont-elles enfin savoir ? Je voudrais tellement soulager leur douleur parce que leur douleur c’est la mienne, leur colère c’est la mienne, leur révolte c’est la mienne. Et les écouter sans savoir quoi leur dire c’est insupportable.

Il est nécessaire de garder en mémoire tous les disparus d’Algérie, de préserver cette mémoire vivante, de ne pas les oublier. Pour cela, c’est au quotidien que je mène un combat pour mon fils et au nom de toutes les familles de disparu(e)s d’Algérie.

Je ne peux pas pardonner si on ne me demande pas pardon . Si on me construit un État de droit alors peut être pourrais-je pardonner.

Les deux premières amnisties

La tragédie des disparitions forcées en Algérie naît dans un contexte complexe : l’arrêt du processus électoral en 1992, à la veille de la victoire du Front islamique du Salut (FIS) aux premières élections législatives pluralistes depuis l’indépendance, le déclenchement d’une vague de violence sans précédent, la proclamation de l’état d’urgence et la promulgation de décrets conférant tout pouvoir aux agents de l’État dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

Ces pleins pouvoirs conférés aux agents de l’État qu’ils soient militaires, agents du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), policiers ou gendarmes conjugués à l’organisation anarchique des groupes d’auto-défense ont permis ces crimes contre l’humanité.

Les forces de sécurité de l’État ont procédé à des arrestations massives. Ils ont ratissé des quartiers et des villages entiers, de jour comme de nuit, arrêté des étudiants, des médecins, des historiens, des avocats, des ouvriers, des agriculteurs, et même des mères de famille. Parmi ces hommes et ces femmes, certains ont été libérés, d’autres jugés et emprisonnés mais des milliers d’entre eux n’ont jamais réapparu. Ils sont à ce jour disparus.

Notre association, le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA), a constitué plus de 8000 dossiers de personnes disparues après leur arrestation ou leur enlèvement par les forces de l’ordre mais leur nombre est vraisemblablement bien plus important car aujourd’hui encore beaucoup de familles n’ont pas déclaré la disparition de leur proche pour diverses raisons (la peur, l’isolement, le manque d’informations…).

Les témoignages recueillis par le CFDA sont unanimes pour dire que les familles, dans la majorité des cas, connaissaient le lieu de l’arrestation et l’auteur de l’enlèvement de leurs proches. Elles ont suivi leurs traces pendant des jours, voire des semaines. Puis les services de l’Etat ont nié leur arrestation. Elles ont cherché leurs disparu(e)s dans les commissariats, les gendarmeries, les différentes casernes militaires, les hôpitaux et les morgues. Des plaintes ont été déposées auprès de toutes les institutions judiciaires et administratives algériennes. Le soutien de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) et de quelques avocats connus pour leur engagement pour les droits de l’homme a permis au CFDA d’utiliser les outils nécessaires à l’épuisement de toutes les voies de recours sur le plan judiciaire. La justice, quant à elle, a refusé de prendre ce dossier en main et de jouer pleinement son rôle à l’égard du crime de disparition forcée.

Les autorités se sont ensuite employées à poser une chape de plomb sur les responsabilités, en organisant trois amnisties successives : « la loi de la Rahma » dès 1995 puis la loi dite « de la concorde civile et de paix » en 1999 et dernièrement la Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale.

A chaque amnistie correspond l’amnésie. Le droit des victimes est bafoué, la mémoire des victimes est effacée et cette vérité que toutes les familles ont tant besoin de connaître est occultée. Face à cette injustice permanente, les familles ont maintenu leur détermination et ont continué à s’organiser.

La Concorde civile : deuxième amnistie, première amnésie

Après « la loi de la Rahma », la loi de la « clémence » qui aurait amnistié quelque 5000 membres de groupes armés repentis, alors que le conflit civil battait toujours son plein, les autorités ont fait adopter en 1999 une loi dite de la Concorde civile amnistiant encore une fois les personnes qui déposeraient les armes et qui se rendraient aux autorités. Cette mesure concernait uniquement en théorie les personnes n’ayant pas les mains entachées par le sang des victimes, n’ayant pas commis de viols, de massacres et d’attentats à l’explosif dans des lieux publics. En pratique, les conditions prescrites par la loi d’amnistie ont été rapidement mises de côté pour ouvrir l’amnistie à de grands seigneurs de guerre tristement célèbres à l’origine de l’organisation des maquis et des principales factions armées.

A cette amnistie explicite s’ajoute l’amnistie implicite des agents de l’Etat. En effet, le silence fait sur les exactions des forces armées a marqué le début de la « gestion post-conflit » des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité par les autorités. Durant toute la campagne menée en faveur de la Concorde civile, les mères de disparu(e)s ont tenté vainement d’interpeller le Président de la République. Lors du dernier meeting organisé à la salle Harcha d’Alger, le 15 septembre 1999, des familles ont réussi à entrer et ont essayé de se faire entendre. Pour seule réponse, elles n’ont reçu que la phrase empreinte de mépris lancée par Abdelaziz Bouteflika : « les disparus ne sont pas dans mes poches […] vous me faîtes honte dans le monde comme des pleureuses avec vos photos ».

Après cette période de négation totale, les autorités, grâce à la détermination des familles, ont semblé vouloir accomplir un pas vers la reconnaissance du phénomène des disparitions forcées. En 2003 une Commission ad hoc a été instituée par le Président de la République avec pour objectifs d’identifier tous les cas de disparitions, de faire entreprendre des recherches par les autorités compétentes et d’informer les familles des résultats de ces enquêtes. Dix-huit mois plus tard, Farouk Ksentini, Président de la CNCPPDH [1] et du mécanisme ad hoc a reconnu 6146 cas de disparitions du fait d’« agents isolés de l’État ». L’État est d’après lui responsable mais pas coupable. A la suite de cette période de reconnaissance partielle du crime de disparition forcée, période qui a suscité l’espoir, un revirement a été opéré et l’amnistie et l’amnésie ont été de nouveau choisies comme mode de règlement du « dossier ».

La Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale : amnistie des responsables et réconciliation en trompe l’oeil

En effet, le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika lors de son discours à la nation prononcé fin 2004, affichait publiquement sa détermination à mettre un terme aux « années noires » par des mesures d’amnistie. Comme pour la Concorde civile, le président déclarait que les personnes ayant du sang sur les mains ne seraient pas amnistiées, mais il enjoignait également les familles de disparu(e)s à se « sacrifier au nom de la réconciliation nationale » !

En août 2005, le Président invitait « toutes les Algériennes et tous les Algériens, à se prononcer en toute liberté sur un projet de Charte pour la paix et réconciliation nationale ». Durant toute sa campagne, il a également exigé le pardon, les victimes devant pardonner et tourner la page pour reconstruire l’Algérie. Pardonner ? A qui et quoi ? Il est impossible de pardonner sans que personne ne soit venu demander pardon, il est impossible de pardonner sans savoir à qui et pourquoi on doit pardonner.

Dans les textes d’application de cette Charte entrés en vigueur le 28 février 2006, les familles de disparu(e)s se voient proposer une indemnisation conditionnée par l’établissement d’un jugement de décès délivré par un tribunal, décès dont les circonstances ne sont jamais établies.

De surcroît, la vérité ne peut plus être demandée et le droit à la justice est annihilé. En effet, l’article 45 de l’ordonnance 06-01 portant application de la Charte dispose qu’ « aucune poursuite ne peut être engagée à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République […] Toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente ». Outre l’amnistie des membres de groupes armés, les dispositions de l’ordonnance prévoient donc de facto celle des agents de l’Etat et rendent tout recours impossible, inutile et inefficace pour les familles. Aucune enquête ne sera menée pour élucider le sort des disparus, il faut désormais les oublier conformément au « diktat » du Président algérien.

Le paroxysme de la violation des droits fondamentaux est atteint enfin par les dispositions de l’article 46 de l’ordonnance précitée dont le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a récemment demandé l’abrogation. Cet article dispose qu’« est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans […] quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour […] nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ».

C’est ainsi que la machine politique a réglé le dossier. Les autorités algériennes ont continué à utiliser les méthodes de la période de la guerre froide en faisant de l’amnistie la seule solution apportée aux victimes. Entre la Concorde civile et la Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale, les crimes se sont poursuivis impunément. Aujourd’hui, il n’y a ni réparation, ni justice, juste l’amnistie et l’amnésie.

La nécessité impérieuse de faire la lumière : vers l’établissement d’une Commission vérité

Devant la gravité des crimes commis durant la dernière décennie et l’obstination des autorités algériennes à organiser des amnisties, le CFDA a estimé que seul un processus de justice transitionnelle permettrait à toutes les victimes d’exercer leurs droits à la vérité et à la réparation, de consolider la paix et de construire un véritable État de droit. La réconciliation ne peut se décréter par des lois édictées par le « Prince ». Elle est le fruit d’un processus de dialogue entre les différentes parties.

A cet effet, le CFDA a forgé un partenariat entre les associations de victimes des agents de l’État et celles de victimes du terrorisme. Longtemps divisées, elles se sont unies contre la Charte et sa réconciliation imposée et ont organisé conjointement un séminaire qui devait se tenir à Alger en février 2007. Ce séminaire intitulé « Pour la Vérité, la Paix et la Conciliation » revêtait une importance particulière. Il s’agissait du premier évènement commun aux associations de familles de disparu(e)s et aux associations de victimes du terrorisme. Ce séminaire avait pour objectif principal de mener une réflexion au sein de la société civile et d’ouvrir un dialogue constructif avec l’État algérien.

Ce séminaire a cependant été interdit par les autorités. Le motif invoqué pour justifier cette interdiction était l’article 46 de l’ordonnance 06-01 de mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ce au lendemain même de la signature par l’Algérie de la Convention internationale contre les disparitions forcées. En dépit de cette interdiction, le débat qui s’est ouvert autour de l’établissement d’une Commission Vérité a le mérite de susciter une prise de conscience au sein de la société algérienne.

« Fermer nos yeux devant ce qui s’est passé et l’ignorer comme s’il ne s’était rien passé prolongerait indéfiniment une source durable de douleur, de division, de haine et de violence au cœur de notre société. Seul l’éclaircissement de la vérité et de la recherche de justice créent le climat moral indispensable à la réconciliation et à la paix ». (Patricio Alwyn, ex-président chilien) [2].

Cette phrase résume à elle seule les aspirations des victimes. En effet, les familles de disparu(e)s expriment sans cesse ce besoin de comprendre pourquoi, de savoir comment et pour quelle raison leur proche a disparu « je veux savoir ce qui est arrivé à mon fils, c’est la priorité, qu’on me donne des réponses et qu’on m’explique pourquoi… S’ils sont vivants, qu’ils nous les rendent, s’ils sont morts, qu’ils nous donnent les corps ». C’est à cette vérité essentielle qu’aspirent les familles et elles n’y renonceront jamais. Elles ont aussi besoin de justice. Une forme de justice qui permettrait aux victimes de pouvoir affronter l’avenir en ayant été légitimement entendues et défendues.




NOTES


[1Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’Homme.

[2Cité in Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.46.
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