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par Alain Lipietz | 8 février 2010

Le débat sur la burqa : ce que j’en pense actuellement
L’écoeurement qu’inspirent les surenchères de Sarkozy, Copé et de Besson sur le thème du « Plus proche du Front National que moi tu meurs » ne doit pas nous empêcher de discuter pour eux-mêmes les thèmes qui leurs servent de prétexte.

Comme disait Pierre Desproges, on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui… De même, on peut discuter de tout mais pas dans n’importe quel cadre. J’ai déjà dit d’ailleurs ce que je pensais sur l’identité nationale et du débat sur le foulard islamique. Je voudrais maintenant parler de la burqa et du niqab.

Mais auparavant un mot sur le foulard. Je suis très choqué, comme Eva Joly, par les condamnations, venues hélas de certaines féministes et même d’une candidate d’Europe-Écologie, contre la candidate musulmane du NPA Ilham Moussaïd qui porte un foulard. L’argument est toujours le même : on impose, de l’extérieur, à un signe (le foulard), une signification (la soumission aux hommes) que ne partage pas celle qui l’exprime, et on insulte la femme portant le signe en l’accusant de porter cette signification qu’elle récuse. Autrefois, le collectif féministe Rupture publiait des textes remarquables de féministes musulmanes. Quel recul ! Cet arbitraire dans la désignation du sens du signe « de l’extérieur » conduira-t-il demain à interdire la kippa comme signe de soumission à la femme ? C’est un grave manque de respect à une personne humaine, dans ce qu’elle a de plus cher : son engagement féministe et sa foi religieuse.

Et, par extension, on insulte ses camarades de lutte : puisqu’ils ne lui arrachent pas son foulard, c’est qu’ils soutiennent les mâles qui dans d’autres pays comme l’Iran (ou même ici) imposent ce foulard. Va-t-on éradiquer des listes pour les élection régionales celles qui vont à la messe pour manque de solidarité avec les Irlandaises privées du droit à l’avortement et complicité avec une religion qui instilla dans tout l’Europe le venin de l’antisémitisme ?

Les critiques du NPA montrent aussi qu’ils/elles n’ont, ou jamais mis les pieds hors de France, ou ne se sont aventurés hors de nos frontières qu’avec mépris inentamable pour les coutumes politiques des autres peuplades, telles que les Britanniques (cliquer ici pour le Forum social européen de Londres), ou celles que l’ont rencontre dans les Forums sociaux mondiaux (cliquer ici pour celui de Nairobi), les rassemblements altermondialistes contre l’OMC (cliquer ici pour celui de Hong-Kong), etc. Là, elles/ils réaliserait que l’on peut être musulmane, féministe et progressiste et ne pas avoir honte d’arborer les signes et rites de sa religion, y compris en public, y compris individuellement ou collectivement, conformément à l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme).

Le problème de la burqa ou du niqab sont nettement différents. Outre le signe dont on peut se demander (comme pour le foulard) s’il signifie soumission à l’homme ou respect pour Dieu, on ne peut pas négliger cette fois l’aspect « dispositif physique et ses conséquences sociales ». Porter un niqab ou une burqua est une considérable gène, un enferment pour la femme qui le porte. Si elle porte contre son gré, la maltraitance physique s’ajoute à l’humiliation, à la dignité bafouée. Mais c’est également, pour celle qui le porte volontairement, un moyen de voir sans être vue. Elle ne rompt pas seulement avec la « coutume locale » lorsqu’elle ne s’habille pas « à l’Occidentale » (mais en est-on déjà à prétendre interdire la djellaba dans les rues françaises ?) Elle masque surtout ce qui apparaît à Emmanuel Lévinas comme le point d’accès à l’altérité, à la générosité, à la responsabilité pour autrui : le visage. Paradoxalement, la burqa est l’équivalent des lunettes noires, occultant à l’interlocuteur le « miroir de l’âme » que sont les yeux… et que découvre le niqab ! Beaucoup de gens considèrent que c’est impoli de ne pas retirer ses lunettes noires pour vous parler.

Selon des évaluations invérifiables de sociologues, sur les quelques centaines de personnes portant la burqa en France, à peine la moitié y sont contraintes (le problème est tout différent, évidemment, dans les pays où la misogynie est quasiment religion d’Etat comme l’Iran ou l’Afghanistan). On estime que la majorité sont des converties qui assument pleinement leurs vêtements de façon presque provocatrice, les autres y en étant contraintes par un mari ou un père qui ne leur laissent que cette option pour pouvoir sortir de chez elles (où bien sûr elle ne portent pas de burqa).

La montée de la « burqa-volontaire » (c’est-à-dire de l’affichage provocateur de la différence islamique) est clairement le résultat en miroir du refus français. A partir 1997, j’ai été le parrain d’une femme malienne très belle, Dado, dont j’ai appris au bout d’un certain temps qu’elle avait refusé d’épouser son copain parce que « elle n’avait quand même pas quitté l’Afrique pour venir accepter en France un mariage arrangé pour des questions de papier ». Quiconque a milité ou a été l’avocat pour des sans-papières sait que des « ultra-françaises de principe » comme ça, il y en plein (j’en ai eu d’autres). Au bout d’années de combats infructueux, repoussée par une République qui trahissait des valeurs que elle assumait ombrageusement, Dado a épousé un sans-papier musulman et s’est voilée de la tête aux pieds. Et elle a fini par avoir ses papiers.

Dans les deux cas, je ne peux qu’éprouver une opposition viscérale, soit contre cette oppression dans le cas des « burqa contraintes », soit contre cette provocation dans le cas des « burqa volontaires ». Le premier cas, celui des « contraintes », est l’argument explicite de celles et ceux qui veulent interdire la burqua pour « libérer ces femmes ». Mais les mêmes ne proposent rien contre les femmes qu’un homme empêche de sortir (avec ou sans burqua !).

Gageons que, du Front national à l’UMP, c’est le problème du second cas qui est visé : les musulmanes ultra prosélytes, qui arborent l’insigne d’une religion minoritaire pour parcourir nos rues tout en se retranchant. C’est bien le symbole de ce que, en réalité, attaquent l’UMP et le Front National : « l’invasion de notre France catholique par des gens pas comme nous ».

Mais justement… Quand on éprouve une opposition « viscérale » contre le comportement d’autrui, faut-il riposter par l’interdiction ? Car que cherche-t-on vraiment à interdire ?

* Cherche-t-on à interdire à un père ou à un mari de n’autoriser sa fille ou sa femme à sortir que retranchée au regard des autres ? Dans ce cas, c’est lui, et lui seul, qui doit être puni. Il existe déjà des lois contre la maltraitance domestique. Elles sont très difficiles à utiliser déjà par les femmes battues. Dans le cas de ces ultras-machos, cela doit être encore plus difficile à ces femmes, et cela demande une stratégie de soutien discret aux victimes, qui ne prend certainement pas la forme d’une interdiction de sortir en burqua… la seule option possible pour qu’elles aillent se confier en dehors de chez elles !

La burqua-oppression ne peut être combattue, comme le foulard-oppression, ou comme le mariage forcé, qu’en facilitant au maximum l’interaction entre la femme opprimée et le reste de la société, où des personnes féministes et laïques, amies ou assistantes sociales, pourront l’aider à s’en sortir. Interdire la burqua, c’est enfermer ces femmes-là à la maison, exactement comme les lycéennes à foulard, chassées des collèges et des lycées par la loi Sarkozy, se retrouvent aujourd’hui dans des écoles islamistes (la meilleure option étant encore les écoles catholiques qui ouvrent leurs portes aux filles à foulards).

* Soit il s’agit d’un acte de prosélytisme provocateur. Et la question de l’interdiction dans la rue peut à la rigueur se poser. Mais passe-t-on par la loi pour interdire les lunettes noires dans une conversation ? Passe-t-on par la loi contre les victimes consentantes pour interdire les signes d’une religion qu’on désapprouve au nom des valeurs de liberté religieuse ? Attention ! si c’est le cas on interdira demain la kipa, voire les papillotes ! Et si c’est en fait « le spectacle qui gêne », on interdira après-demain dans les lieux publics la djellaba, les handicaps physiques ou mentaux visibles…

* Dans les deux cas, on ne peut se targuer du féminisme ou de la liberté ou des droits de l’Homme lorsqu’on donne comme réponse à la burqa : « elles peuvent faire ça chez elles, pas dans les lieux publics ». On admet alors que l’oppression, ou l’auto-oppression des autres ne nous regarde pas, or le contraire est officiellement le motif de la loi !

Cette question du public et du domestique est importante. Je dis « du domestique » et non pas « du privé ». Le privé, c’est ce qui échappe au domaine de la loi. Le domestique, c’est ce qui est caché « à la maison ». On emploie communément un mot pour l’autre, mais confondre politiquement les deux est parfois très grave. Violer sa femme ou la battre « chez soi » a longtemps été jugé « une affaire privée », parce que derrière les murs du domestique : « Du moment que les voisins n’entendent pas ! » Or ce sont des crimes et délits relevant de la loi, de l’ordre public.

À l’inverse, le choix d’une religion est d’ordre privé (chacun est libre de choisir), c’est le principe même de la laïcité. Mais la pratique de cette religion « privée » peut, elle, être publique, c’est la définition même de la liberté religieuse selon la Déclaration Universelle : la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

C’est pourquoi la discussion sur le caractère « intrinsèquement religieux » d’un rite public n’est pas absurde. On ne peut pas interdire à un/e mystique catholique de se flageller dans son couvent, mais il me paraît normal de le lui interdire dans la rue, car cela n’est pas nécessaire à « la manifestation en public de ses convictions garanties par l’article 16 » et à l’inverse c’est exposer une image dégradante pour la dignité humaine et cela dévalorise la lutte contre la torture. On aurait pu admettre l’interdiction de la burqa au même titre que l’on exige une tenue « correcte » si l’on n’avait pas déjà persécuté le foulard (qui lui n’est jamais contesté quand il n’a pas de signification religieuse !). Mais il est trop tard : la loi anti-burqa n’apparaîtra plus que comme une piqûre de rappel islamophobe, alors même que peu de musulmans considèrent le voile intégral comme un rite intrinsèque.

On me dira : « Mais alors que proposez vous contre les porteuses volontaires que vous condamnez si fermement au plan philosophique ? » Eh bien… le débat, ce qui implique l’interaction. Et bien sûr l’interdiction, chaque fois que le dispositif physique implique une gêne sérieuse voire l’impossibilité d’accomplir une action. C’est très efficace dès lors que c’est ciblé et justifié : à l’aéroport d’Istanbul, aucune wahhabite n’hésite à dévoiler son visage à un policier pour passer la frontière !

Victor Hugo, dont la cible était une forme d’oppression ou d’auto-oppression beaucoup plus grave, les couvents de cloîtrées catholiques, traite de ce problème dans 50 pages des [Misérables]. Sa conclusion éclaire de façon extraordinaire les débats sur le voile et la burqua. Je vous le laisse méditer en cliquant ici.



À noter :

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