mercredi 4 décembre 2024

















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par Alain Lipietz | 4 décembre 2003

Politis, n°778
Une crise salutaire pour l’Europe
Le Conseil Ecofin, qui réunit les ministres des finances de l’Europe, a
décidé, la nuit du 24 au 25 novembre 2003, la non-application du
"pacte de croissance et de stabilité" attaché au traité d’Amsterdam
(1997).

Cette décision ne viole pas la lettre du traité, mais rend caducs
son protocole d’application et le « règlement du Conseil » qui en
précisaient les modalités. Rappelons-les : quand le déficit des
dépenses publiques d’un État européen dépasse 3% du Produit
intérieur brut, la Commission et le Conseil lui envoient une série
d’avertissements, puis une amende. C’est ce point que le Conseil a
décidé de ne pas appliquer à l’Allemagne et à la France.

Je m’en réjouis doublement : l’application du pacte aurait été une
stupidité pour l’Europe aujourd’hui, et il est clair désormais qu’il ne
peut plus être intégré à la Constitution.

Dès le Traité d’Amsterdam, j’avais pronostiqué que cette "idiotie"
serait abandonnée "à la première récession" [1]. Le pacte revient en effet
à aggraver la situation, comme les politiques des gouvernements de
droite lors de la crise des années 1930. En octobre 2002, le Président
de la Commission Romano Prodi déclare le pacte "stupide". En fait, il
est clair que ni Chirac ni Schröder ne sont décidés à l’appliquer, face à
la récession mondiale. Non tant chez Chirac par volonté de "sauver
l’emploi et les services publics" que de régaler ses grands électeurs
par des cadeaux fiscaux ! Quant à la présidence italienne du Conseil
européen, elle s’est entichée de l’idée de relancer l’économie par une
vaste "Initiative de croissance" à base de travaux publics.

Le 24 novembre après-midi, avant la réunion d’Ecofin, une rencontre
réunit la présidence de ce Conseil (l’Italien Giulio Tremonti), les
Commissaires Solbes Mira ("socialiste") et Bolkenstein (libéral), et
les coordinateurs de la Commission économique et monétaire du
Parlement. Représentant les Verts, je souligne que l’initiative de
croissance proposée par le Conseil est totalement contradictoire avec
le respect du pacte de stabilité, celui-ci obligeant en effet les
principaux pays européens à diminuer les dépenses publiques, y
compris celles que l’Accord de Kyoto rend indispensables si l’on veut
limiter l’effet de serre ! Le socialiste Robert Goebbels ajoute
ironiquement que ce pacte n’avait d’autre but que de défendre l’Euro.
Or celui-ci n’a jamais été aussi fort, depuis que le Pacte de stabilité est
enfoncé. Comme un instituteur agacé, coupant la parole de Tremonti,
Solbès Mira nous renvoie des réponses oiseuses qui auraient fait
recaler un étudiant de première année d’économie. Giulio Tremonti
laisse dire mais conclut sur sa volonté d’interpréter "intelligemment" le
pacte. Au matin, il est clair que l’interprétation "intelligente" consiste
à… oublier ce pacte stupide.

Or, ce pacte d’Amsterdam, comme le traité de Maastricht, se retrouve
tel quel dans la IIIe partie du projet de Constitution issu de la
Convention (y compris l’interdiction d’en modifier le protocole et les
règlements autrement qu’à l’unanimité : art. III- 76-13). Révoquer le
pacte, c’est donc déjà révoquer un des piliers de cette IIIe partie : la
politique budgétaire "stupide" qu’elle établit.

Côté monétaire, à peine nommé gouverneur de la Banque Centrale
Européenne, Monsieur Trichet menace de "punir" le Conseil par une
hausse des taux d’intérêt, hausse qu’aucun argument rationnel ne
justifie. Cette fois, ce sont les clauses du traité de Maastricht,
établissant l’irresponsabilité de la Banque Centrale devant toute
autorité politique, qui offrent à Trichet ce rôle de Père Fouettard. Or
ces clauses, tout aussi "stupides", sont également reprises par la IIIe
partie de la Constitution (art. III-80).

Finalement, cette crise majeure fait exploser les contradictions du
projet de Constitution, en révélant le caractère caduc des traités de
Maastricht et d’Amsterdam. En fait, c’est toute la IIIe partie du projet
qui doit être révisée, et d’urgence. Les Conventionnels, députés
européens et nationaux, en rédigeant la première partie de leur projet
de traité constitutionnel, avaient levé bien des blocages du traité de
Nice. Ils autorisaient (enfin !) l’Europe à "faire de la politique", tout
en précisant dans les premiers articles le caractère social, écologiste et
féministe de cette politique. Mais, faute de temps et de volonté , ils ont
laissé en l’état les traités antérieurs. La IIIe partie n’est qu’une
compilation de ces traités actuellement en vigueur (sauf les six
premiers articles qui résument l’esprit de la première partie), elle
conserve toutes les tares d’Amsterdam, Maastrich et de l’Acte Unique
qui a faussé la concurrence en généralisant la prime au « moins
disant ».social, fiscal et écologique. Elle est en totale contradiction
avec la première partie.

On voit le piège pour les forces progressistes : rejeter le travail de la
Convention, c’est donc en rester aux traités d’Amsterdam et
Maastricht, (c’est-à-dire à la IIIe partie) et, qui plus est, en rester au
traité de Nice, conformément aux vœux des 15 gouvernements de
droite qui clament "Nice ou la mort !"

Que faire alors ? Comment voter la première partie (qui nous libère de
Nice) sans voter la IIIe, en sachant que voter "Non" à l’ensemble du
texte, c’est en fait voter "Oui" à la seule IIIe partie ?

Comme les Verts européens le demandent depuis l’été 2003 : il faut
disjoindre cette IIIe partie, la réviser à la majorité qualifiée, grâce à
une nouvelle Convention à organiser le plus vite possible. Et là, par
quoi remplacer le "pacte stupide" ? Il est hors de portée aujourd’hui de
fondre les budgets nationaux dans un vaste budget européen qui
jouerait un rôle macroéconomique. On ne peut qu’en rester à une règle
de coordination sur les déficits nationaux, mais il faut faire l’inverse :
encourager les déficits en période de stagnation et interdire les déficits
en période de croissance. On se souviendra alors que, lorsqu’en 1999-
2000 la France commençait à se désendetter… c’est la droite qui hurla
contre "la cagnotte de Christian Sautter" !

Voir dans mon livre Refonder l’espérance (éd. La Découverte) l’histoire de six ans de lutte
contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam.




NOTES


[1Voir dans mon livre Refonder l’espérance (éd. La Découverte) l’histoire de six ans de lutte
contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam.

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