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22 octobre 2001

Procès Georges LIPIETZ contre l’Etat et la SNCF
Requête et mémoire
lettre recommandée avec accusé de réception
Melun, le 22 octobre 2001

Tribunal administratif de TOULOUSE

Requête et Mémoire

POUR Monsieur Guidéon S.
Monsieur LIPIETZ Georges
ayant tous deux pour avocat la SELARL ACACCIA 19 rue des Mézereaux 77000 MELUN (Maître ROUQUETTE).
demandeurs,

CONTRE
L’Etat Français, Préfecture, 1 place St-Etienne, 31000 TOULOUSE et Ministère de la Défense Cité administrative BP 42 91902 TOULOUSE
La SNCF, Direction régionale, 9 rue Marengo, 31500 TOULOUSE
défendeurs

 faits

Monsieur Georges LIPIETZ ainsi qu’une partie de sa famille, Madame Stéphanie S. (sa mère), Monsieur Jacques S. (le second mari de sa mère) et Monsieur Guy S. (son demi-frère) ont été arrêtés à leur domicile provisoire, boulevard des Pyrénées, sur dénonciation le 8 mai 1944 au matin par la Gestapo de Pau. Ils ont été transférés au siège de la Gestapo de Pau. L’arrestation était évidemment due à leur origine juive bien que toutes les personnes arrêtées aient disposé de faux certificats de baptême (sauf Monsieur GEORGES LIPIETZ qui n’était pas circoncis).

Ils ont été transférés dans l’après-midi par le train régulier Pau-Toulouse en wagon de 3ème classe avec deux soldats (ou SS) allemands. Les billets ont été payés par les SS à la SNCF pour 6 personnes.

C’est alors que les services de l’Etat dans le département de la Haute-Garonne ont enfermé la famille du 8 mai 1944 au soir au 10 mai 1944 au matin dans des salles de prison spéciales gardées par des gardiens de prison de l’administration pénale française. Il est à souligner que non seulement l’Etat français a porté atteinte à leur liberté mais n’a rien fait pour les faire libérer alors que les services de la Préfecture disposaient de moyens pour discuter avec les nazis puisque les exposants disposaient de certificats de baptême, sauf Monsieur Georges LIPIETZ non circoncis et donc considéré par la législation comme demi-juif non déportable.

Le 10 mai 1944 au matin, ils ont été mis dans un fourgon à bestiaux ayant une petite ouverture protégée par des fils de fer barbelés et sont arrivés à Paris-Austerlitz dans la soirée du 11 mai 1944. Il leur a fallu environ 30 heures pour ce trajet alors que, même à cette époque, le trajet voyageur entre Toulouse et Paris était inférieur. C’est l’Etat nazi qui a payé le trajet à la SNCF.
Les wagons étaient préparés par la SNCF et tractés par la SNCF comme train de marchandise. La SNCF a transformé un wagon à bestiaux en prison roulante de 52 personnes. La chaleur dans le wagon était étouffante et la totalité des personnes s’y trouvant mourrait de soif. La porte n’a été ouverte qu’une seule fois à Limoges où la Croix-Rouge leur a donné à boire.
Le 11 mai 1944, ils ont été transportés de la gare d’Austerlitz à Drancy par des autobus de la RATP actuelle (toujours payés par les SS).

Du 11 mai 1944 au soir au 17 août 1944 au matin, la famille été enfermée dans le camp de Drancy. La Gestapo de Toulouse n’a pas transmis les faux papiers et la préfecture de Haute-Garonne n’a accompli aucune démarche auprès de la Gestapo à cette fin.

Ils ont été classés C 2 par le SS Aloïs BRUNNER (donc en attente) jusqu’au 13 ou 14 août 1944 puis B, donc déportables (mais non déportés). On sait que juste avant la libération du camp, seul un wagon de déportés a été rattaché au train de BRUNNER et des SS en fuite.

Pendant tout le séjour à Drancy, le camp a été gardé depuis des miradors par les gardes mobiles relevant de l’Etat français.

 procédures et compétence

Liaison du contentieux

Les exposants ont formé une demande préalable le 6 septembre 2001 (production A et B) refusée explicitement le 22 octobre 2001 par l’Etat (production C) et le 5 octobre 2001 par la SNCF (production D).

 compétence de la juridiction administrative

S’agissant de la compétence de la juridiction administrative, elle est évidente en ce qui concerne l’Etat, les faits commis par les fonctionnaires ayant manifestement un lien avec le service, seule condition pour que la juridiction administrative soit compétence.

S’agissant de la SNCF, dont la condamnation in solidum est demandé, le litige relève également de la compétence de la juridiction administrative. En effet, le contentieux des litiges extra-contractuel assurés par les personnes privées gérant un service public industriel et commercial (statut qu’avait la SNCF alors) ou par les EPIC (statut actuel) est administratif pour les litiges résultants de l’exercice de prérogatives de puissance publique, ce qui est manifestement le cas puisque la SNCF transportait contre leur volonté des personnes qui n’étaient pas ses clientes, dans le but de les incarcérer en raison de leur qualité de juif. Les victimes n’étaient pas des usagers du service public, le transport étant payé par les nazis.

La SNCF à l’époque concessionnaire d’un service public industriel et commercial n’agissait pas dans le cadre de ce service. Elle était mise par l’Etat français à disposition des nazis pour exercer une mission de transports des personnes à déporter, ce qui est manifestement un service public administratif, abominable certes mais administratif. Elle était en outre dotée de prérogatives de puissance publique l’autorisant à transporter des hommes comme s’il s’agissait d’animaux.

Compétence du tribunal administratif de Toulouse
Sur le plan territorial, l’article R 312-14 du Code de justice administrative dispose que le tribunal administratif compétent est celui du fait générateur du dommage lorsque la responsabilité découle d’agissements administratifs relevant de la responsabilité extra-contractuelle. En application de théorie de la causalité adéquate, le fait générateur du dommage a été commis à Toulouse par les services de l’Etat qui ont gardé la famille et rien fait pour les faire libérer alors qu’ils avaient des moyens de le faire. C’est donc bien le tribunal administratif de Toulouse qui est compétent même si d’autres fautes de l’Etat commises ailleurs ont prolongé et accentué les dommages.

 discussion

La faute

Il est incontestable que les faits commis par les fonctionnaires de l’Etat français, tant à Toulouse qu’à DRANCY, ainsi que par la SNCF sont sur le plan pénal constitutifs de l’infraction de complicité de crime contre l’humanité. Cette complicité de l’Etat français et de la SNCF est bien établie tant par les travaux d’historiens que par un certain nombre de procès.
S’il n’est pas certain que toute infraction pénale est une faute administrative, cela ne faut aucune doute de la plus grave infraction criminelle.

L’absence de prescription

L’Etat français ne saurait invoquer aucune prescription. L’imprescriptibilité de l’action pénale pour crime contre l’humanité entraîne l’imprescriptibilité des actions en réparation. Dans une affaire récente (CE Ass 6 avril 2001, Pelletier et autres, RFDA mai-juin 2001 p 712, concl. Austry), le commissaire du gouvernement a expliqué pourquoi il est impossible d’appliquer la prescription trentenaire ou la prescription quadriennale du droit administratif lorsqu’on demande devant le juge administratif la réparation du préjudice causé par un tel crime. La jurisprudence de la Cour de Cassation est d’ailleurs identique.

La non pertinence du forfait à pension

Il semble que l’Etat dans sa lettre du 25 septembre 2001 entende opposer le forfait à pension.

En premier lieu, la SNCF ne saurait invoquer un tel moyen.
En deuxième lieu, ainsi que l’écrit le ministère de la défense lui-même, le forfait à pension indemnise les infirmités résultant de maladies contractées au cours de l’internement. Or, ce que demandent les exposants est une indemnisation pour la privation de liberté, le pretium doloris pendant le transport et l’internement etc, et non les préjudices physiques qui sont seuls indemnisés par le forfait à pension.

En troisième lieu, à supposer que la lettre de l’Etat du 25 septembre 2001 signifie qu’il entend opposer le forfait à pension, les exposants soutiennent qu’en tant qu’il serait opposable à des personnes qui n’avaient pas de lien volontaire avec le service, le forfait à pension est contraire tant à l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’Homme qu’à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme. En effet, si l’on peut concevoir que des fonctionnaires travaillant volontairement pour l’Etat renoncent à une indemnisation intégrale en contrepartie d’une indemnisation certaine, un tel mécanisme viole le droit au respect de ses biens tout comme le droit au procès équitable quand il est opposé à une personne qui n’a jamais accepté la situation génératrice du dommage régi par le forfait à pension.

Sur le préjudice

Le préjudice des exposants est évident. Outre la privation de liberté, les conditions effroyables de transport et de détention, chaque membre de la famille a vécu dans la crainte permanente de la déportation, avec le spectacle des départs en déportation, la vision effroyable des gardes mobiles de l’Etat français pointant leurs mousquetons sur des petits enfants raflés puis déportés le 31 juillet 1944. Toutes les personnes souffrent de troubles psychiques graves et les personnes vivant encore en souffriront jusqu’à leur décès.

Les exposants demandent 50000 euros chacun pour leur propre préjudice, et 50000 euros par personne dont ils ont reçu le patrimoine, soit respectivement 250 000 euros et 150 000 euros.

Sur la solidarité

En l’espèce, il est complètement impossible de diviser le préjudice en tant qu’il serait imputable à l’Etat ou à la SNCF. Il s’agit de fautes communes inséparables qui génèrent un préjudice indivisible. La situation est en tous points comparable aux cas de responsabilité in solidum sur le fondement délictuel admis par la jurisprudence du conseil d’Etat, notamment à propos de l’affaire du SIDA.

Sur les preuves

S’agissant des preuves, les demandeurs possèdent outre la carte d’interné politique, des copies de documents, (dont les originaux se trouvent au centre de documentation juive de Paris : CDJC) notamment la liste des personnes transférées Toulouse à Drancy que la Gestapo avait oublié à la prison de Toulouse, et la liste des personnes arrivées à Drancy.

Conclusions

Par tous ces moyens et tous autres à produire, déduire, ou suppléer, au besoin même d’office, il est conclu :
- à la condamnation in solidum de l’Etat et de la SNCF à payer 150 000 euros à Monsieur Georges LIPIETZ
- à la condamnation in solidum de l’Etat et de la SNCF à payer 250 000 euros à Monsieur Guidéon S.

Pour ACACCIA., l’un deux

 Productions

Décision attaquée

A Demande préalable à la préfecture de Haute-Garonne (6 septembre 2001)
B Demande préalable à la SNCF de Haute-Garonne (6 septembre 2001)
C Refus de l’Etat par le ministère de la défense du 1er octobre 2001
D Refus de la SNCF du 5 octobre 2001

Autres productions

_1 Pièces de Monsieur Guidéon S.
2 Pièces de Monsieur Georges LIPIETZ
3 Pièces de Madame Stéphanie S.
4 Pièces de Jacques S. (le second mari de sa mère)
5 Liste établie par la GESTAPO de Toulouse
6 Copie de la liste à l’arrive au camp de Drany (liste du 11 mai 1944)
7 Dossier de presse.




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