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par Alain Lipietz | 1er septembre 2010

lemonde.fr
Pour Alain Lipietz, la SNCF a "un problème de vérité" sur son rôle dans la déportation

Le PDG de la SNCF, Guillaume Pepy, a déclaré dimanche 29 août sur Europe 1 qu’il mettrait à la disposition des Américains les archives de la SNCF, ouvertes en 1996 pour le rapport de l’historien Christian Bachelier sur le sujet. Est-ce une avancée pour les familles de victimes ?

Si la SNCF se contente de dire "voilà les archives, vous n’avez qu’à y aller", pas vraiment... C’est un peu comme dire "voilà la botte de foin, trouvez le bon brin de paille" ! En 1996, le rapport Bachelier s’est essentiellement basé sur les comptes-rendus des conseils d’administration de l’entreprise, qui mettaient déjà en avant la responsabilité de la SNCF. Les Etats-Unis ont été le principal refuge des juifs déportés, et ils ont obtenu beaucoup d’informations par des menaces de boycott (2) : sur les biens spoliés, sur les comptes des juifs déportés dans les banques suisses...

Aujourd’hui, il y a une pièce que nous cherchons toujours, c’est la "convention de l’espèce", qui régissait les activités de transferts de déportés effectués par la compagnie pour le compte de Vichy et qu’évoque la facture mise au jour lors du procès Schaechter (2).

La SNCF a toujours rejeté les accusations qui la décrivaient comme partiellement responsable du transport des déportés, affirmant avoir agi sous la contrainte des occupants...

C’est incroyable que la SNCF continue de dire qu’elle était liée par la convention de l’armistice de 1940 ! Celle-ci exigeait de l’Etat français la mise à disposition de ses moyens ferroviaires, mais il s’agissait à l’époque de combattre les Anglais. La déportation n’a été décidée que plus tard. Il y a donc un problème de vérité.

Ensuite, il y a la question de la justice. La justice peut dire "la SNCF doit assumer normalement ce qui s’est passé", c’est-à-dire par des réparations, symboliques et matérielles, individuelles et collectives. Une réparation collective, ça veut dire par exemple des excuses.

A ce sujet, Guillaume Pepy a renvoyé au discours de Jacques Chirac entérinant la responsabilité de l’Etat français. Pourquoi la SNCF ne veut-elle pas formuler d’excuses ?

Elle craint avant tout des retombées négatives sur sa réputation. En termes de réparations matérielles, le jugement de Toulouse établissait à 5 000 euros le montant des indemnités dues par la SNCF aux déportés survivants. Vu leur nombre aujourd’hui, la SNCF pourrait régler la question pour quelques millions d’euros. Ces montants ne représentent pas grand-chose pour elle. Mais une réputation, par contre, cela n’a pas de prix... Et la SNCF a bâti sa légende sur des œuvres comme le film de René Clément La Bataille du rail, qui retrace la résistance des cheminots pendant la seconde guerre mondiale. Cheminots qui étaient justement réprimés par la direction de l’époque ! (3)

Certains ont souligné l’ironie de voir la SNCF pointée du doigt, alors que ses concurrents probables sur ce projet sont allemands, japonais ou encore italiens...

Les industriels allemands ont, eux, fait un travail de mémoire beaucoup plus important. La première chose qu’on attend aujourd’hui, c’est que la SNCF dise : "La direction de l’époque n’a rien fait pour empêcher ces déportations, elle a sa responsabilité dans ces conditions de transports atroces..." Du côté français, la gendarmerie, par exemple, a engagé un vrai travail de réflexion sur son passé, en imaginant notamment comment réagirait l’institution aujourd’hui si un régime autoritaire se mettait en place. Voilà à quoi sert le devoir de mémoire : à examiner les erreurs passées pour ne pas les reproduire.

Propos recueillis par Marion Solletty

Notes de Alain Lipietz

1 En 2003, Kurt Werner Schaechter, fils de déportés, a trouvé dans les archives départementales de Toulouse, une facture du 12 août 1944 adressée par la SNCF au préfet de la Haute-Garonne. Celle-ci réclame la somme de 210 385 francs en paiement des transports exécutés pendant le premier trimestre 1944, en application d’une mystérieuse « convention de l’espèce » régissant le transport des déportés. A cette date, et Toulouse et Paris sont libérés mais les FFI (qui ont déjà exécuté le chef de la gare de Toulouse pour ses crimes) paieront la facture rubis sur l’ongle .

Voir la facture « tamponnée » par la République, ici

2 J’ai rectifié certaines imprécisions de la transcription de lemonde.fr

3 Voir ici l’analyse de Bachelier sur le « making » de la Sncf « entreprise résistante ».




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