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par Alain Lipietz | 1er juin 2000

Politis n°603
PROPRIÉTÉ ET RÉGULATION
Dans le débat actuel sur l’épargne salariale et les nouvelles régulations du capitalisme, une question semble étrangement absente : celle du pouvoir. Pour le monde des entreprises, cela s’appelle propriété.

Au XIXème siècle, le mouvement ouvrier en rêvait : " Appropriation des moyens de production… ". La première voie, explorée par les coopératives (les SCOP), consiste à s’emparer de la propriété du capital privé. Très vite, cette voie est marginalisée par le courant principal, qui se redivise dès la première moitié du XXème siècle.

D’un côté, la voie sociale-démocrate. On renonce au pouvoir dans l’entreprise, on se contente de règles tempérant l’exploitation capitaliste : législation sociale et conventions collectives. De cette stratégie naîtra, dans la seconde moitié du siècle, le " fordisme ", incarné par le syndicalisme américain de l’AFL-CIO et son correspondant en France, Force Ouvrière. La formule en est simple : dans l’entreprise, le pouvoir est le privilège du patronat. Vouloir s’y immiscer, c’est de la collaboration de classe. Les syndicats ne doivent se battre que sur le partage des bénéfices, et l’État doit garantir un partage équitable.

De l’autre côté, le rameau communiste prône l’appropriation par l’État du capital, et le contrôle de l’État par la Classe Ouvrière représentée par son Parti. Cette superposition du capitalisme et de l’étatisme engendre, là où le Parti est au pouvoir, le modèle soviétique, et là où il est dans l’opposition, une variante combattive du syndicalisme social-démocrate.
Ces deux stratégies s’écroulent à la fin du siècle. Le capitalisme bureaucratique d’État s’enlise dans sa crise et finit par s’auto-dissoudre en 1989. L’internationalisation du capital prive le syndicalisme social-démocrate et l’État Providence de leurs moyens de réguler le capitalisme. Triomphe du capitalisme tout court.

Pourtant, jamais le capitalisme n’a autant dépendu de l’argent mis à sa disposition par le salariat lui-même. " L’homme aux écus " de Marx, celui qui apporte son argent dans l’entreprise pour le faire fructifier, est dorénavant un être collectif : la multitude des cotisants pour les fonds salariaux, fonds de pensions et autres contrats d’Assurance vie. Mais cet être collectif n’a jamais eu voix au chapitre. Depuis la création de la Caisse d’Épargne par Louis-Philippe, le salariat a pris l’habitude de confier son argent sans demander aucun pouvoir en échange. L’actuel projet d’épargne salariale prolonge cette bonne habitude : l’entreprise pourrait ainsi payer le salarié… tout en gardant l’argent pour au moins 15 ans !

Mais les choses évoluent. Au " conclave " que j’ai suscité, avec le mouvement mutualiste, sur les retraites, comme lors d’un débat du 25 Avril, à l’invitation d’Alternatives Économiques, sur l’épargne salariale, le secrétaire de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou, met les pieds dans le plat : c’est sur l’ensemble de leurs placements que les salariés devraient exiger le contrôle de ce qu’on fait de leur argent. Et ce n’est pas un hasard si l’économie sociale (associations, coopératives et mutuelles) est à l’offensive sur ce terrain : elle représente des sociétés démocratiques où " une personne = une voix ", indépendamment du monde d’actions qu’elle possède.

Au colloque organisé par les Scop, L’actionnariat salarié : chiche !, la CGT se fait représenter par Alain de Bouard, président de l’association des salariés-actionnaires de Thomson-CSF, qui déclare : " Il n’y a pas besoin de susciter une épargne supplémentaire par le biais de l’actionnariat salarié. Par contre, ce peut être un moyen d’associer à l’épargne des droits et des pouvoirs qui ne sont pas exercés actuellement " (Les actes sont disponibles dans Participer, dossiers documentaires n°4, avril 2000). " Niet ! " lui répond G. Chérioux du RPR. Car le Capital a vu le piège (déjà révélé par le blocage de l’OPA de la BNP par 9% de salariés-actionnaires de la Société Générale). Ce retour de la CGT, à la suite de la CFDT, vers la voie de l’appropriation directe du capital par ses salariés, se heurte aussi bien sûr au " No ! " de FO.

Plus étonnante est la résistance d’une partie de la " gauche de la gauche ", celle qui refusait hier déjà la " cogestion à l’allemande ", c’est-à-dire la participation des salariés en tant que tels à la direction des entreprises. Refusant de prendre acte de la révolution du " gouvernement d’entreprise " (c’est-à-dire le grand retour des actionnaires, contre les managers, au pouvoir des entreprises), nostalgique de la régulation par l’État, cette gauche est pourtant devant un choix décisif. Ou reprendre la lutte pour le pouvoir des salariés par le biais de la propriété. Ou renoncer à " l’appropriation "… et donc se retrouver à la remorque de Force Ouvrière, et de son idéologue : le P.C.I. lambertiste. Souhaitons qu’elle sache se ressaisir !




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