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par Alain Lipietz | 6 avril 2000

Participer-Dossiers documentaires, n°4
Les Verts et l’actionnariat salarié
Forum de la Confédération Générale des Scop " L’actionnariat salarié, chiche ! "
À titre individuel, je dirais que l’actionnariat salarié appartient à la culture des Verts. En effet, les enquêtes sociologiques portant sur les Verts montrent que les entrepreneurs Verts choisissent souvent une forme coopérative, alors que les salariés Verts sont des épargnants soucieux de contrôler une épargne active, dans des fonds éthiques, des Cigales, etc. Cela dit, cette solidarité sentimentale ne signifie pas forcément que les Verts soient compétents dans ce domaine !

Pas forcément compétent, je ne serai pas non plus démagogue, et, au risque de vous décevoir, je dois rappeler qu’il n’est pas nécessaire d’être sociétaire pour avoir son mot à dire dans l’entreprise, et que l’actionnariat ne devrait pas être la seule voie permettant au salarié de participer à la discussion et à l’orientation de la conduite de l’entreprise. Inversement, le fait d’être propriétaire, et même entièrement propriétaire de l’entreprise, n’est pas en soi la garantie que l’entreprise ait un comportement social, solidaire et écologiquement responsable. L’actionnariat salarié n’est donc ni nécessaire, ni suffisant.

Cela dit, l’évolution du capitalisme, qui succède à une longue période de gouvernement " technocratique " des entreprises, oblige à réexaminer le problème de la propriété juridique du capital. La situation actuelle est véritablement celle de la dictature du capital financier dans la propriété de l’entreprise : depuis la révolution des années 80, la " corporate governance " ou gouvernement d’actionnaires, ce sont les actionnaires qui ont le moins de liens affectifs et traditionnels avec l’entreprise qui tendent à dominer l’ensemble des entreprises mondiales. Dans ce contexte, la question de la propriété juridique de l’entreprise redevient très importante, notamment vis-à-vis de ceux qui ont intérêt à ce que l’entreprise survive, ait une politique sociale, de l’emploi, du partage de ses bénéfices et de respect pour son territoire, c’est-à-dire d’abord celui des salariés.
Ainsi se pose la question de l’actionnariat salarié, et non pas de " l’épargne salariale " en général. Car la question fondamentale est celle du pouvoir que confère cette épargne. À mon sens, toute épargne salariale placée dans l’entreprise doit être associée à la propriété juridique et engendrer au minimum un pouvoir de contrôle. Comme le disait Monsieur Plagnol, la SCOP, telle que vous la connaissez, doit donc bien être l’avenir du capitalisme, avec :

- Le pouvoir majoritaire aux travailleurs ;
- Le principe un homme (ou femme) égale une voix ;
- Et le principe d’indivisibilité des réserves.

Si nous n’avons pas réfléchi à l’ensemble des problèmes de l’épargne salariale, nous avons, en revanche, plus spécifiquement abordé la question de l’épargne placée en retraite complémentaire. Il se peut que dès la semaine prochaine cette question connaisse un tournant majeur. En effet, le Parlement européen doit voter le " rapport Kuckelkorn ", sur la question du marché des retraites complémentaires, qui serait totalement libéré, et les amendements apportés par la droite sont tels qu’ils effacent toutes différences entre l’épargne-retraite et l’épargne longue [1]. Pourtant, ce sont deux épargnes bien différentes. L’épargne retraite implique des caractéristiques dites biométriques, c’est-à-dire avec des garanties face à la durée de survie, une réversion pour le conjoint survivant, et une garantie-dépendance. Bien que nous soyons pour une défense farouche de la retraite par répartition, nous ne pouvons ignorer la demande sociale d’une retraite sur-complémentaire par capitalisation, telle qu’elle est actuellement pratiquée par la majorité des ménages sous la forme d’assurance-vie. Or, dans le cas de l’assurance-vie, tout le pouvoir découlant du placement des fonds revient à l’assureur, et non pas à l’assuré. Nous revendiquons alors qu’elle prenne la forme de fonds donnant du pouvoir aux salariés cotisants. Suivant ainsi les principes fondateurs des SCOP, ces fonds d’actionnaires pourraient êtres gérés par exemple par une mutuelle, fondée sur des critères de régionalisation et des critères de placements sociaux ou éthiques (qui incluent l’environnement) [2].

Hormis les caractères " biométriques " des pensions, ce qui est vrai pour l’épargne-retraite l’est également pour toute épargne salariale. Vous le voyez, nous sommes finalement assez proches. Certaines de vos propositions méritent cependant encore un peu de réflexion.

- La garantie publique ne doit pas concerner toutes les formes d’épargne.
- L’abondement défiscalisé ne doit pas compromettre la retraite par répartition. S’il y a abondement de l’entrepreneur aux fonds salariaux, il doit cotiser aux retraites normale et complémentaire, par répartition. Cet abondement constitue en effet une part salariale, même si elle est bloquée dans un fonds de copropriété.

En revanche, nous sommes totalement d’accord sur la régionalisation et la mutualisation en direction des PME. Les entreprises de plus de 50 salariés représentent 3 % seulement des entreprises européennes. Sans mutualisation donc, on laisse de côté l’immense majorité du salariat. Aussi, nous pensons qu’il n’y a pas de meilleur " noyau dur " pour la propriété des entreprises d’un territoire qu’une forme de propriété sociétaire selon le principe "un homme/femme = une voix", avec indivisibilité des réserves.

Enfin, rappelons que le pouvoir conféré par la propriété juridique n’est pas l’essentiel. Ce que nous visons dans cette " solidarité sentimentale " dont je parlais en introduction, entre le mouvement écologiste et le mouvement coopératif, c’est la capacité de prendre solidairement en main ses propres affaires et de gérer, de contrôler son travail et sa vie, de comprendre sa vie et la façon dont est organisée la production.

Réponse à la question de la salle sur l’actuel contexte boursier

Dans ce contexte de surévaluation des actifs boursiers dans le monde, la signification même de l’actionnariat se pose. N’importe quel fonds, actuellement, peut acheter des actions à une valeur qui risque de s’effondrer d’un facteur deux dans les six mois qui viennent.

C’est un problème qui dépasse infiniment celui de l’actionnariat salarié, et que nous étudions dans 1e cadre du Conseil d’analyse économique du Premier Ministre. Nous avons de très sérieuses craintes sur 1a pérennité de la bulle boursière actuelle.

La propriété du capital par les salariés, qui passerait par l’achat du capital aux cours d’aujourd’hui, serait extrêmement dangereuse, d’autant plus que, bien que déjà surévalué, le capital financier exige un taux de rémunération exorbitant. C’est un problème de partage de la valeur ajoutée qui se pose, et qui va sûrement déboucher sur une crise. L’investissement massif de l’épargne salariale dans le capital des entreprises devra attendre l’apurement de cette crise, qu’il contribuera d’ailleurs à résoudre.

Dans mon rapport à Madame Aubry, je préconise l’ouverture de financements sous forme de Codevi pour l’économie sociale et solidaire, et notamment pour votre projet de société coopérative d’intérêt collectif. Ce Codevi pourrait devenir une forme de financement très intéressante pour les coopératives sociales. Déjà, nous avons obtenu, lors de la réforme des caisses d’épargne, qu’elles aient pour obligation de placer une partie de leurs excédents dans le financement des initiatives locales de développement durable, notamment les coopératives sociales.




NOTES


[1C’est effectivement ce qui s’est passé, malgré l’opposition de la gauche et des Verts(retour au texte)

[2Voir sur ce point le colloque que j’ai organisé avec le mouvement mutualiste, revue GEMA-Débats, Avril 2000 (retour au texte)

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