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16 décembre 1999

ÉPARGNE SALARIALE ET RETRAITES : UNE SOLUTION MUTUALISTE
Le point de vue de la CGT
Colloque
Je ne souhaite pas entrer dans un certain nombre de débats techniques, qui ont pourtant leur importance, mais je m’efforcerai de les situer par rapport à des enjeux politiques plus généraux et compréhensibles par la société, par les salariés.

Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT

Ce point du vue là, la priorité de la CGT est, bien entendu, la consolidation du système par répartition. J’y reviendrai tout à l’heure. Cela dit, cette priorité ne doit pas nous conduire à ignorer ce qui se passe sur des terrains contigus. On ne peut pas dire : on va régler le problème du financement et de l’organisation de la répartition et que l’on verra ensuite les autres, étant donné les interactions importantes entre les différents questions.

Ces débats mettent à jour des problèmes souvent enfouis. Cela ne fait que je deux ans que je m’occupe directement du dossier de la retraite. Je suis absolument impressionné par le questionnement qui remonte de ce débat. La manière dont la relation entre générations, qui a été évoquée tout à l’heure, est à mon avis ultra simplifiée, comme s’il s’agissait d’un face à face entre générations alors que le contrat inter-générationnel est un contrat de générations successives : on ne donne pas à la génération de laquelle on a reçu. On doit donc se situer dans une dynamique. Ce n’est pas un problème comptable d’égalité entre ce qui est reçu et donné comme le présentent parfois les Américains. Cela touche aux rapports entre l’individu et le collectif. Je dirais même, au problème de la cohésion nationale, puisque ces systèmes de retraites sont peut-être aujourd’hui, alors qu’évolue une série de cadres, un des éléments d’identification nationale, l’une des formes de pérennité non étatique et non ethnique de la Nation.

Ces questions révèlent aussi toutes les inégalités actuelles et à venir, inégalités que l’on avait enfouies quelquefois dans l’inconscient social. Le débat est entièrement centré sur la question des régimes spéciaux et du régime général, mais personne ne se pose la question des autres inégalités d’aujourd’hui entre hommes et femmes, entre secteurs professionnels. Ces inégalités sont beaucoup plus fortes que celles qu’on évoque tous les jours, mais on n’en parle pas. Par contre, elles sont vécues par le salarié du textile face au salarié de Elf ou de Total qui est loin d’accéder aux mêmes droits en matière de protection sociale. Il s’agit donc de forts conflits d’intérêts qui secouent les repères traditionnels des organisations et de l’action collective. Je crois qu’il faut bien mesurer ce problème. C’est une difficulté, mais c’est un défi qu’il faut affronter.

Enfin, troisième élément, on est aujourd’hui face à une évolution du risque. Il ne faut pas laisser ce débat là à aux assurances ni à Denis Kessler. La retraite n’est plus vécue, heureusement, par le salarié comme un risque, mais comme quelque chose qui dans plus de 90 % des cas va advenir ! Auparavant, le mineur pensait à son salaire d’activité et avait toujours opté pour un taux de remplacement de la retraite très bas, parce qu’il savait qu’il avait une espérance de vie très courte. Aujourd’hui, l’optique change complètement. Mais le biais du débat, c’est finalement d’essayer de présenter les solutions libérales comme les plus à même de répondre à cette évolution du risque. Alors qu’il s’agit de moins en moins de risques, type aléas classiques face auxquels l’assurance répondait, et de plus en plus des besoins qui naissent de l’organisation sociale et d’objectifs que l’on se donne. A partir de là, les gestions socialisées sont plus à même de répondre finalement à ces nouveaux risques que le retour à des formes assurantielles.

Telles sont les trois remarques générales que je voulais développer.

 Je voudrais revenir sur deux points : l’un de méthode et l’autre de fond

- Dans la méthode, on a intérêt à ne pas confondre les problèmes, les objectifs et les moyens qui sont divers. Le débat sur la retraite est largement obscurci par toute une série de dimensions qui peuvent lui être reliées mais que l’on a intérêt à nettement séparer. Y compris parce qu’il y a des imbrications mais qui ne sont pas forcement celles auxquelles on pense. Le problème aujourd’hui serait de faire contrepoids aux fonds américains qui possèdent 40 % du CAC 40, de résoudre les problèmes de retraites, de donner des pouvoirs aux salariés. L’abondance d’objectifs est le signe d’un problème. Il n’y a jamais d’outil miracle permettant de répondre à une telle multiplicité d’objectifs.

La question me paraîtrait surtout concerner l’épargne existante et sa gestion. L’épargne existe en France et pourquoi ne va-t-elle pas aujourd’hui dans les entreprises et dans le développement ? Pourquoi exporte-t-on bon an mal an 150 milliards d’épargne au titre de la dette publique américaine qui s’en sert après pour développer son économie et pour racheter chez nous des entreprises, donc des droits à profits ? Finalement, je pense qu’il y a là un problème à aborder en tant que tel et ça, ça interpelle les assurances. Monsieur Bébéar dit " Je maîtrise directement ou indirectement 13 000 milliards d’actifs", alors, pourquoi ne sont-ils pas dans Elf, dans Total, dans Alcatel ? C’est un débat important. Peut-être y a-t-il des raisons qui expliquent cette position mais on doit poser la question et s’organiser. Sinon, on a une confusion des objectifs qui s’additionnent et qui entretiennent la confusion des débats.

- Même chose à propos de fonds entre répartition et capitalisation. Je l’aborde sans doute en économiste. Mais j’ai entendu parler tout à l’heure de "transfert", de "revenu dans le temps". Un économiste sait très bien qu’il n’y a pas de techniques de transfert de revenu dans le temps. Ce sont toujours les actifs d’une génération, que l’on soit en répartition ou en capitalisation, qui payent pour les retraités de la génération précédente. En revanche, il y a des droits que l’on peut transférer et la base d’acquisition des droits n’est pas neutre. C’est quand même la création de richesse qui est essentielle. L’évolution démographique est un réel problème que nous ne nions pas. Nous ne sommes pas de ceux qui disent : "il n’y a pas de problème démographique, les systèmes actuels peuvent faire face automatiquement aux besoins de financement". Ce serait irresponsable. Mais face à l’évolution démographique, je pense que le problème de la répartition paraît plus à même, avec plus de souplesse, de résoudre les problèmes démographiques qui sont devant nous. Ce que je constate, c’est d’abord les difficultés des systèmes par capitalisation là où ils existent, y compris aux États-Unis. Chaque année il y a de moins en moins de salariés qui sont couverts par le système par capitalisation. En Angleterre il y a 60 % des salariés du privé qui n’ont pas de couverture d’entreprise et une grande partie d’entre eux ne sont assurés que de 3000 francs par mois et encore parce que Tony Blair a relevé très substantiellement le premier niveau de retraite. Aujourd’hui, les salariés et les syndicalistes britanniques sont en train de se battre pour reconstituer un véritable deuxième niveau de retraite qui couvre l’ensemble de la population. D’où ce débat sur "obligatoire ou pas obligatoire" qui est sans doute une question essentielle dans la discussion. Dernier argument : le choix capitalisation ou répartition comme réponse aux besoins à la retraite. C’est aussi un choix sur le type de développement économique que l’on souhaite. Si le taux de développement de la création de richesse - et je pense qu’il faut bien débattre du contenu de ce qu’est le développement, c’est pour cela que je n’emploie pas le mot croissance - est supérieur au taux d’intérêt réel, la répartition offre un rendement supérieur à celui de la capitalisation sur le long terme.

Je pense qu’il faut rappeler que la retraite n’est plus un "salaire différé", ce qu’il a été dans la conception des assurances sociales des années trente que certains syndicalistes portent encore aujourd’hui. C’est justement parce que la retraite n’est plus le même risque qu’hier, qu’elle est devenue une rémunération socialisée qui mêle des droits essentiellement fondés sur le travail à du "non contributif", c’est-à-dire la prise en compte, qu’il faudra d’ailleurs élargir, d’une série de situations sociales qui jusqu’à présent ne sont pas intégrées dans le travail et dans le calcul des droits à la retraite.

Quant à la gestion de l’épargne des salariés, c’est pour nous une préoccupation. Cela fait une bonne quinzaine d’années que l’on s’évertue à la poser, avec peu de succès jusqu’à présent. Nous disons qu’il y a aujourd’hui un problème de régulation de l’épargne dans une société salariée à 90 %. Nous ne souffrons pas d’une insuffisance d’épargne mais plutôt d’un trop d’épargne puisqu’il y a un excèdent des comptes extérieurs de la France et que nous plaçons de l’argent à l’étranger. C’est donc qu’il y a de la sous-consommation aujourd’hui. On peut l’expliquer : les gens exclus, une insuffisance d’augmentation des salaires et des pouvoirs d’achat Tout cela s’analyse, mais le problème n’est pas d’accumuler une épargne supplémentaire, il est plutôt de s’interroger sur ce que font les institutions gérant l’épargne de 90 % des actifs aujourd’hui.

En conclusion, j’aurais sur la question de l’orientation de cette épargne, quatre problèmes à souligner. Aujourd’hui, il y 100 milliards de francs collectés par le livret A qui ne sont pas utilisés faute d’opportunité d’emploi. Ils sont placés. On parlait tout à l’heure de financer la SNCF, la sécurité des transports publics. L’élargissement des critères d’emploi des fonds du livret A me paraît une priorité aujourd’hui dans la gestion de l’épargne.

Je ne veux pas me limiter à cela. Je pense que l’on peut envisager des formes collectives d’épargne que je ne confonds pas avec le fameux débat sur le troisième pilier où dans la conception FMI, OCDE c’est une épargne individuelle que l’on se constitue.

 Je mets quatre conditions à l’institutionnalisation d’une épargne collective salariale

La première, c’est qu’elle ne doit pas se substituer au salaire. Je ne redéveloppe pas les éléments qui ont été rappelés tout à l’heure y compris la critique justifiée des stock options, qui sont le substitut à des rémunérations de cadres dans un certain nombre d’entreprise. Je pense que l’épargne salariale gérée collectivement ne doit pas se substituer au salaire et qu’elle doit venir remplacer d’autres formes d’épargne.

La deuxième, c’est qu’il faut une garantie pour le système. C’est pour cela que je suis réticent à l’égard d’un développement non encadré strictement de l’actionnariat salarié. Je pense qu’il y a un très grand risque aujourd’hui à généraliser cette forme d’épargne. Le salarié a son emploi, son salaire et son épargne dans la même entreprise ! Si l’entreprise marche bien tant mieux : mais si un jour ça marche moins bien, le salarié perd son emploi, son salaire et perd donc aussi une bonne partie sinon la totalité de son épargne. Je suis donc pour des formes d’épargne plus mutualistes qui répartissent le risque.

Troisième condition, il faut d’autres critères que le rendement patrimonial. Il s’agit toujours de l’épargne de salariés. Il faut donc garder à l’esprit ce qui relie le salarié à l’activité économique, c’est-à-dire son emploi. Ce n’est pas le rendement de son épargne. Mais ne sous-estimons pas la difficulté à faire émerger des critères autres que les critères financiers. Le danger est de voir le salarié substituer une stratégie patrimoniale à sa stratégie de salarié. C’est ce qui se passe clairement aujourd’hui dans certaines entreprises américaines, au grand dam d’ailleurs des gestionnaires des entreprises.

Enfin, quatrième condition, je pense qu’il faut aller vers des formes collectives obligatoires. Je me méfie comme de la peste d’un système qui serait facultatif parce qu’il ouvrirait là très directement la voie à la déstabilisation des systèmes collectifs par répartition. Je vois quelques débats aujourd’hui dans les entreprises au sein des catégories particulièrement favorisées de salariés qui disent : "Mais pourquoi notre propre système de retraite est-il diffèrent de celui des autres salariés ? " . Il faut réfléchir aux formes d’une "nouvelle prévoyance collective". C’est un terme que nous aimons bien, il vient de l’histoire, il y a sans doute besoin de le retravailler aujourd’hui mais il ne serait pas centré exclusivement sur les besoins de retraite. La première motivation d’épargne chez les salariés n’est pas la retraite, c’est la recherche d’une précaution par rapport à la perte d’emploi. Là aussi il y a un biais dans le débat, mais la montée du taux d’épargne me semble directement liée à cela.

Il y a donc un besoin global de prévoyance. A l’intérieur, il y a la place pour la mutualité. Non pas en raison d’un statut historique, mais parce qu’elle serait capable aujourd’hui d’apporter une originalité dans la promotion du développement d’une Économie sociale face à la gestion d’entreprise qui segmente le salariat et qui segmente la société. Je vous appelle par conséquent à un dialogue social digne de ce nom sur ces questions qui me paraissent stratégiques.


Voir le plan du colloque.




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