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par Alain Lipietz | 24 février 2012

, Le Monde
Mécanisme européen de stabilité : la bourde historique de la gauche.

Mécanisme européen de stabilité : la bourde historique de la gauche.

Les élus de la gauche française et des écologistes s’apprêtent à commettre une bourde historique : s’opposer ou s’abstenir lors du vote sur la ratification du traité créant un outil de solidarité à l’égard des pays de la zone euro qui ne peuvent plus emprunter, le Mécanisme Européen de Stabilité.

Depuis 2010, Verts et socialistes, au parlement européen, se sont battus pour l’existence d’un tel mécanisme. Cette solidarité n’est pas qu’une question de générosité, mais d’intérêt bien compris. La faillite d’un État européen entrainerait la faillite de nos banques, qui détiennent nos économies, notre salaire du mois, et, si les déposants sont remboursés, ce sera avec nos impôts. Au delà, la création du MES est un premier pas vers une Europe fédérale avec son propre Trésor public et un budget conséquent.

La non-existence du MES est une aberration que nous avons dénoncé dès le traité de Maastricht, qui gravait dans le marbre le refus de la solidarité : l’Union européenne n’avait pas le droit de secourir ses membres en difficulté ! Depuis trois ans, on a donc bricolé au secours de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal, en réduisant peu à peu l’hostilité des « populismes de riches » de l’Europe du Nord, qui n’avaient que mépris pour ces pays « incapables de gérer leur budget ». Nous avons certes dénoncé les fautes des classes dirigeants de ces pays. Mais nous n’avons jamais ignoré que les responsabilité étaient partagées par toute l’Europe : de Siemens corrompant les responsables grecs pour surfacturer les Jeux Olympiques, à la France refusant à ce même pays l’annulation de ses commandes d’armement…

Après trois ans de dures négociations avec les gouvernements les plus « égoïstes », nous avons un mécanisme, certes imparfait puisque fruit de compromis, mais qui se tient : un fonds solidaire, empruntant à la place des pays ayant perdu tout crédit auprès des marchés internationaux, avec la garantie de l’ensemble de l’Europe. Mais, au moment du vote, les démagogues refusent la création du MES, mobilisant l’émotion créée par les plans d’austérité démentiels imposés à la Grèce en l’absence du MES. « Oui, disent-ils, nous sommes solidaires des Grecs, nous voulons un MES, mais pas celui-là ». Donc, comme ce MES réel est le résultat du compromis : pas de MES du tout, et que chaque pays se débrouille…

Que reproche-t-on au MES ? Il y aurait une bonne raison : son couplage avec un autre traité, à venir : le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union (TSCG), qui institurait la « règle d’or » dictée par Mme Merkel. Ce couplage a été « convenu » par la déclaration des gouvernements du 9 décembre 2011 et n’a pas plus de valeur légale. Nous sommes contre le TSCG, nous l’avons combattu, et d’ici qu’il soit ratifié, de l’eau coulera sous les ponts. Mais ce couplage ne figure pas dans les articles du traité MES : la déclaration du 9 décembre est seulement évoquée dans ses « considérants » ! Une fois le MES ratifié, une fois le TSCG rejeté, le MES existera et il faudra renégocier le TSCG. On ne peut rejeter le MES que s’il est lui-même un mauvais mécanisme de solidarité.

Certains critiquent le MES comme une nouvelle technocratie, irresponsable devant les instances politiques. Eh bien non, pas cette fois ! Les gouverneurs du MES seront les ministres des finances des pays membres, les administrateurs seront nommés par eux et « révocables à tout moment » : la direction du MES est strictement politique.

D’autres critiquent la pondération des décisions et des obligations : proportionnelle à la part d’un pays dans le produit intérieur de la zone euro. Ils auraient sans doute préféré proportionnel à la population ? Il est légitime que les fonds structurels transférés chaque année de l’Union à l’un de ses membres soit votés par le parlement. Mais ici nous parlons d’autre chose : les garanties que les pays d’Europe peuvent apporter à un préteur (par exemple chinois) au profit d’un des leurs. Et la solidarité exigée doit bien être proportionnée à la capacité réelle de chacun à se porter au secours du voisin.

La différence est-elle si grande, d’ailleurs ? Au conseil du MES, l’Allemagne pèsera 9,6 fois plus que la Grèce, alors que sa population n’est que 7,5 fois plus grande. Mais au parlement européen, l’Allemagne ne pèse que 4,5 fois la Grèce, et les écarts entre circonscriptions législatives françaises sont bien plus considérables !

D’autres critiquent l’obligation de solidarité : pour bénéficier de la solidarité du MES, il faut s’engager à apporter sa part à la tontine et la rallonger « sous 7 jours » s’il faut augmenter la mise au profit du voisin. Encore heureux ! C’est le principe même de la mutuelle.

D’autres enfin critiquent l’article 12 : pour bénéficier du prêt mutualisé, il faut accepter une conditionnalité qui sera négociée au cas par cas. Et c’est là que se lève l’image tragique de la Grèce. Mais soyons lucides : le problème n’est pas que, lorsque vous empruntez à la place de votre voisin, vous lui demandiez de prendre des dispositions afin de pouvoir vous rembourser. Car si vous ne le faites pas, c’est vous même qui ne pourrez pas emprunter ! Le vrai problème est le type de « plan d’assainissement » proposé. Et ça, ce n’est pas dans le traité, c’est un objet de lutte… au cas par cas. Comme la grande majorité du peuple grec, qui tient à la solidarité de la zone euro, qui accuse ses propres élites d’avoir ruiné le pays, mais qui est hostile au plan monstrueux que leur impose la « troïka », nous sommes pour une conditionnalité, mais pas celle imposée à la Grèce, et qui n’est pas dans le traité MES.

Prenons un exemple : un accident climatique, ou encore un réacteur nucléaire qui explose en France. Selon l’IRSN, le coût pourrait être de 1000 milliards d’euro. Il sera inutile de s’égosiller que « cette dette est illégitime parce que l’EDF nous a imposé le tout-nucléaire sans demander notre avis ». Il faudra trouver ces 1000 milliards, en sus du surendettement français existant. Et seul le MES acceptera de les prêter, en les empruntant à la Chine ou à l’Arabie saoudite. La Chine demandera évidemment aux membres du MES d’apporter leur garantie pour 1000 milliards nouveaux. Le traité dit que l’Allemagne devra s’engager pour 271 milliards et la Grèce pour « seulement » 28 milliards. Est-ce vraiment injuste ? Le traité dit que « des conditions d’ajustement structurel pourront être imposées en contrepartie de cette aide ». Il est probable que les voisins de la France demanderont que la France arrête ses autres réacteurs, comme le Japon l’a fait après Fukushima. Est-ce déraisonnable ?

Bien sur, le MES ne règlera pas les problèmes de fond d’une Europe trop peu solidaire, trop peu écologiste, ni des pays où la fraude fiscale est le sport préféré des riches. Il intimidera du moins la spéculation, et évitera à la Grèce ou à l’Irlande l’horreur économique subie par l’Argentine de 2002 à 2005.

Les progressistes français, majoritaires au Sénat, ont le sort du MES entre leur mains. Laisseront-ils à la droite l’honneur de le voter, en se réfugiant à la buvette ? Ou suivront-ils le glorieux exemple de leur anciens de 1975 qui, en dépit de la droite majoritaire, votèrent la loi Veil et le droit (imparfait) à l’avortement ?

Ce texte, signé par Dany Cohn-Bendit et JP Besset, députés européens, Alain Lipietz, Yann Moulier-Boutang et Shahin Vallée, économistes, est paru en version légèrement raccourcie dans Le Monde du 25 février.

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