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> Marchés de permis d’émission : ne pas se tromper de cible ! (http://lipietz.net/?article205)
par Alain Lipietz | 15 avril 2000 Motion proposée au Conseil National Inter-Régional des Verts Marchés de permis d’émission : ne pas se tromper de cible !
Elle provoque des tragédies humaines monstrueuses dans les pays pauvres et tropicaux (Bengladesh, Vénézuéla, Mozambique) et des désastres économiques dans les pays riches et tempérés (tempêtes de décembre 99 en France). Elle sera à l"origine de très graves crises géopolitiques dès la première moitié du XXIe siècle (inondation d"un tiers du Bengladesh et de tous les deltas surpeuplés du tiers-monde, famines, migrations de masse, etc.). La cause essentielle de ce dérèglement se trouvant dans les pays développés (Europe et Amérique du Nord), c"est à eux qu"il revient d"agir les premiers, sans exonérer les pays en industrialisation rapide comme la Chine d"efforts immédiats. En France et en Europe, la lutte contre l"effet de serre doit orienter tous les choix de développement, notamment dans le domaine des transports. À titre d"objectif, on estime qu"une population d"humains parvenue au total de 10 milliards n"aurait droit d"émettre que 500 kg de carbone par an et par personne pour ne plus aggraver le climat. En France, nous en sommes à près de 2 000 kg, et nous devons en outre sortir du nucléaire ? Historique des négociations internationalesÀ la veille de la Conférence de Rio (1992), le World Ressources Institute des États-Unis (qui émettent 5 000 kg par personne contre 60 au Bengladesh) suggérait une réduction des émissions de chaque pays " en pourcentage ", ce qui revenait à geler, au détriment du Tiers Monde, le partage actuel de l"atmosphère. La mobilisation des ONG du Sud, autour du Center for Science and Environment de l"Indien Anil Agarwal, relayé par le Groupe des 77 et la CNUCED (représentant les pays en développement à l"ONU) a bloqué cette offensive, en proposant en revanche de fixer un quota de droits d"émission par pays sur une base égalitaire, les pays qui dépasseraient leur quota ayant le choix de payer une amende ou de racheter les quotas non utilisés de pays plus pauvres ou plus " propres ". Les ONG du Nord et les verts ont ralliés cette position à la Conférence Ya Wananchi (décembre 1991) Ce mécanisme de " quotas négociables" ou " marché de permis transférables " a le double avantage de rendre très coûteux les dépassements par rapport à ce qui est écologiquement " soutenable " (500 kg par personne), d"assurer un revenu compensatoire aux pays pauvres, et d"encourager ceux-ci à choisir des techniques propres même s"ils sont loin d"atteindre leurs quotas. C"est un schéma tenant compte de ces considérations qui a été adopté aux Conférences de Kyoto et de Buenos Aires. Les pays développés, dit de l"Annexe I, se sont fixé des quotas à atteindre en 2010, avec des échanges possibles au sein de l"Annexe I. D"autres " flexibilités " sont prévues, comme financer des économies de pollution hors de l"Annexe I. Les écologistes, tout en se réjouissant de cette première victoire, ont élevé deux graves objections :
Face à ce risque, l"Europe, à l"instigation notamment de la France et de sa ministre D. Voynet, tente d"imposer aux États-Unis une limite à l"utilisation du marché de permis, afin de les contraindre à un effort intérieur significatif. À noter que les États-Unis n"ont toujours pas ratifié l"accord de Kyoto. Le meilleur système serait sans doute qu"une Agence internationale, à la quelle participeraient les défenseurs de l"environnement, fixe un prix-plancher pour les échanges de quota, ce qui assurerait un revenu aux pays plus pauvres et plus " propres ", et amènerait les Américains à faire d"abord chez eux les efforts moins coûteux que le prix-plancher (sécher leur linge au soleil ?) Pendant ce temps, l"Europe se propose de " rentrer dans son quota " par divers moyens : des accords et des normes industrielles d"augmentation de l"efficacité énergétique, des grands réseaux de transports ferroviaires, et surtout l"institution d"une pollutaxe sur l"énergie. Quotas ou pollutaxes ?Les pollutaxes ont, par rapport à des quotas fixés et transférables, des avantages et des inconvénients :
Le système des pollutaxes doit donc être privilégié pour les petits pollueurs dispersés, qui font des économies " au détail ". Ainsi, une pollutaxe sur l"essence (on prévoit 0,35 francs par litre) incite le conducteur à parcourir la même distance pour le même prix, mais ? en levant le pied de l"accélérateur. Pour les pollueurs industriels, mieux vaut leur attribuer " en gros " un quota : ils pourront en racheter en cas d"augmentation de leur production, ou en revendre s"ils ont changé leur machine ou vu baisser leur production. Dans les deux cas, et si du moins les premiers quotas sont vendus aux enchères par l"État, les revenus de l"État peuvent être utilisés à diminuer d"autres taxes à la production, notamment celles pesant sur le travail, afin de faciliter la réduction du temps de travail avec maintien du salaire. C"est le " second dividende ". Le CNIR des Verts français a, par exemple, adopté cette position, qui fait consensus en Europe. Il n"est pas souhaitable de financer les transports en commun avec cette " cagnotte " : mieux vaut diminuer le budget " routes " et cesser d"augmenter indéfiniment l"offre totale de transports. Remarquons qu"un quota sévèrement limité représente un coût pour l"industriel (il doit changer de technique, investir), qui peut être supérieur à la pollutaxe induisant le même résultat : dans ce cas il peut être défendable de distribuer les quotas gratuitement (comme le CSA pour les ondes radio). Le débat européenActuellement, l"Europe ne bute plus que sur le veto de l"Espagne pour mettre en ?uvre sa pollutaxe. Rappelons en effet qu"actuellement, la fiscalité relève de l"unanimité des pays membres. Les présidences française et belge (juin 2000 - juin 2001) auront deux façons de contourner l"obstacle : que la prochaine réforme des traités (préparée par l"actuelle Conférence Inter-Gouvernementale) adopte le système " majorité qualifiée-codécision " en matière de pollutaxe, ou à défaut que les autres pays établissent sans l"Espagne une " coordination renforcée ". Mais de toute façon l"Europe restera un temps isolée dans sa position " responsable ", car bien sûr les USA ne s"orientent pas dans ce sens. Les pays européens résolus à faire leur devoir contre l"effet de serre, en appliquant tout de suite une pollutaxe, risquent donc de voir leurs industries grosses consommatrices d"énergie se délocaliser, avec suppression d"emploi et chômage à la clé. Face au chantage de ces industries (elles sont en nombre limité : raffinerie, acier, aluminium, papier, verre, ciment ?), il a été question un moment de les dispenser carrément du principe pollueur-payeur. Le Premier ministre français, devançant de quelques semaines la Commission Européenne, a arbitré, en janvier 2000, en faveur d"un système de quotas transférables expérimental, limité à ces industries. Ce choix n"était pas le seul possible. On aurait pu, par exemple, leur appliquer la pollutaxe générale, mais la " déduire" aux frontières de l"Europe (comme pour la TVA), ou leur offrir une compensation incitative à l"emploi. Il est regrettable en tout cas que le ministère de l"Environnement ait été mis devant le fait accompli. Mais il faut également mesurer les avantages de ce choix, qui est aussi celui de la Mission Interministérielle Effet de Serre :
Quotas ou pollutaxes rencontrent de toute façon la vive résistance des industriels et de l"agriculture productiviste, qui n"osent plus prétendre que l"effet de serre ou la pollution de l"eau n"existent pas, mais affirment qu"ils sauront être responsables tout seuls. C"est possible ? mais il est prudent de les y inciter fortement ! Si pollutaxes et quotas les obligent à faire ce qu"ils auraient fait et si les taxes prélevées servent à en diminuer d"autres, où est le problème ? On n"en est que plus agacé de les voir rejoints, dans l"hostilité au principe polleur-payeur, par l"extrême-gauche productiviste et certains verts, qui détournent pour l"occasion le slogan " Le monde n"est pas une marchandise. " Ce slogan a été forgé dans les luttes populaires contre les tentatives des multinationales pour rendre marchand ce qui ne l"était pas et ne devra jamais l"être : les semences agricoles, la connaissance du vivant, le corps humain, etc. Il est scandaleux de le détourner pour dispenser les multinationales de la Marchandise (en premier lieu : les producteurs de carburant) de payer pour les dégâts qu"ils infligent à la Nature depuis la révolution industrielle, jusqu"ici librement et gratuitement ! Ceux qui achètent de l"essence et paient donc déjà une pollutaxe (qui est un droit de polluer au détail) se plaignent-ils de la " marchandisation de leur vie " ? L"écologie s"est dressée contre de tels abus. Elle ne doit pas capituler face à la première manifestation de la FNSEA contre la Taxe Générale sur les Activités Polluantes, ou aux premières tentatives d"intimidation verbale. Elle doit apprendre à argumenter, pour le principe " pollueur-payeur ", et à en négocier les applications pour éviter les effets pervers. L"effet pervers principal de toute mesure anti-pollution (qu"il s"agisse de règlements interdisant à certaines voitures de circuler certains jours, ou du principe pollueur-payeur) est qu"elle frappe les couches sociales qui ont pu accéder à un certain style de consommation que leur offrait le modèle productiviste parce que la pollution était libre et gratuite. 80 % de la population mondiale pollue peu ou très peu, et subit de plein fouet les conséquences locales ou globales de la pollution des autres. Mais le salarié précaire en France, qui prend sa vieille diesel pour rejoindre un emploi (lui-même parfois dangereux pour sa santé), et qui ne dispose pas d"alternative de transport, percevra toute mesure contre sa voiture ou contre son emploi polluant comme une attaque. Des solutions existent : chèques transports individuels payés par l"employeur (comme la carte orange), développement des transports collectifs, etc. La réponse patronale (et parfois syndicale) du modèle productiviste était " Laissez-les donc polluer ". La réponse des écologistes, c"est : " L"injustice sociale doit être attaquée pour elle-même, et pas au détriment de la santé et de la justice environnementale. Imposons des emplois solides, par la loi et par la réduction de la durée du travail, partageons les richesses et ? luttons tous ensemble contre la pollution ! " MOTIONLe CNIR des Verts, réuni les 15-16 avril 2000, conscient de l"extrême gravité de la menace climatique, premier défi écologique du XXIè siècle,
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