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> Les timidités du rapport Charpin (http://lipietz.net/?article248)
par Alain Lipietz | 6 avril 1999 Le Monde Les timidités du rapport Charpin
La raison en est simple : les retraites sont toujours payées sur une part du produit national de la même année, en fonction de droits acquis 20, 30 ou 40 ans auparavant. Quelle est alors la plus sûre des garanties que ces droits seront respectés ? Un accord intergénérationnel, qui ajuste périodiquement et explicitement cotisations et retraites ? C’est la méthode de la répartition : elle demande du courage politique, et, si l’on ose dire, rien de plus. Ou bien la confiance dans la valorisation de l’épargne investie, sur une quarantaine d’années ? C’est le principe de la capitalisation. Supposons ce pari tenu : la part des profits financiers (plus-values et dividendes) au bout de ces dizaines d’années obtient ce qu’aurait exigé la répartition, puis est reversée aux retraités. De toute façon, ce sont donc les salaires futurs qui devront baisser pour faire place aux dividendes. Si au contraire survient un " accident financier " (krach, dégonflement des bulles spéculatives), les retraités seront ruinés. Bref, la roulette russe. Le rapport Charpin suit donc la voie du courage politique : la répartition. En a-t-il la force ? Hélas non. D’abord, il commet sans doute l’erreur de confondre deux phénomènes. Un phénomène de long terme, à l’horizon 2040 : l’allongement de la vie humaine. Et un autre, tout différent : le choc entre 2005 et 2015 du " papy boom " des retraités nés entre 1945 et 1955, alors que la natalité a ralenti depuis 40 ans. Voyons d’abord ce problème transitoire. Il semble se résumer à la question : " il n’y aura plus assez d’actifs ". Mais comment le rapport Charpin connaît-il le nombre futur d’actifs ? Eh bien il admet que le chômage sera toujours de 6 à 9%, que les femmes seront toujours à 60% actives, que le flux de migrants restera de 40 000 par an ! Or rien n’est moins sûr. Il est paradoxal d’imaginer qu’avec un déficit d’actifs le chômage restera à un haut niveau. Ce n’est pas absurde (l’erreur est humaine), mais bien des pays ont aujourd’hui un taux de chômage inférieur, et rien n’assure que la politique économique persévérera dans ses erreurs ? Et si nous apprenons à résorber le chômage, nous ne seront pas non plus limités du côté des actifs potentiels. L’activité des femmes pourrait monter à 80%, pourvu qu’on leur garantisse les moyens matériels de combiner vie de famille et vie professionnelle, que l’on élimine les formes de travail-repoussoir comme le " temps partiel contraint ". Enfin, la France a toujours régulé ses irrégularités démographiques par le recours à l’immigration : des millions de femmes et d’hommes, de toutes qualifications, ne demandent qu’à venir chez nous payer nos retraites. Il sera temps, en 2080, de voir si eux prendront leur retraite chez eux ou chez nous ! Commençons par rétablir la confiance, régularisons nos 60 000 sans-papier (mes 5 filleuls " recalés " représentent l’éventail des qualifications françaises actuelles), et nous n’avons plus de problème " transitoire ". Sur ces deux points, activité féminine et immigration, le rapport Charpin est en recul par rapport au courage potentiel de l’opinion, qui reconnaît largement la légitimité de la première, et recommence à admettre la seconde. Reste le problème de fond : l’allongement de la vie humaine. A bien y regarder, cet allongement (de l’ordre d’un trimestre par an) représente une forme automatique d’accroissement du temps libre dans la vie humaine, donc une hausse du prix de l’heure travaillée. Selon l’OFCE, en régime, cet allongement, plus la charge du " Papy boom ", ne demande qu’une hausse de 0,5 point des cotisations retraite par an (ce que confirme le rapport Charpin, qui précise que, si le régime général garde le même taux de cotisation, son déficit ne se creusera que de 11% en 40 ans). Un demi-point, alors que la croissance de la productivité sera au moins de 2% par an, quatre fois plus ! Bref, il suffirait de consacrer à la retraite un quart des gains de productivité annuels pour régler le problème. Et c’est là que le rapport manque une nouvelle fois de force politique : il recule devant cette exigence, et propose au contraire de retarder l’âge du départ en retraite, ce qui, selon la logique de Sapeur Camembert, ne ferait que creuser le trou du chômage ! Là encore, il est en retrait de l’opinion, qui se montre largement prête à cotiser davantage, à la répartition de préférence, et même à la capitalisation faute de mieux. Notons ici qu’il peut être légitime de renforcer les formes d’épargne populaire, pour les tempérament " fourmi ", qui craindraient de manquer ? à condition que les systèmes de répartition soient consolidés en priorité. Pour assurer la régularité de ces 0,5%, le plus simple est de les prélever à la source primaire, c’est-à-dire comme cotisation des employeurs. Mais halte-là ! Ce serait pénaliser les entreprises qui embauchent ? Ce qui pose l’inusable problème de l’assiette des cotisations-employeurs. Il est absurde, désincitatif à l’embauche, de les asseoir sur la seule masse salariale. Elles devraient être assises sur l’ensemble de la valeur ajoutée (y compris profits et amortissements). Plus une nouvelle assiette : la fameuse taxe anti-effet de serre qui se prépare, et qui devrait à elle seule assurer, en plein régime, un sixième des cotisations retraites. On objectera enfin que l’idéal, en matière de temps libre, n’est pas la retraite-couperet. Certes. Il conviendrait donc d’offrir la possibilité, à partir de 50 ans par exemple, de prendre sa retraite à temps partiel, tout en continuant à égrener ses 160 trimestres " pleins " sur une vie active allongée. Cela bien sûr à moduler selon la pénibilité du travail. Le rapport Charpin nous appelle au courage politique ? Soit. Celui-ci a pour noms : accès de toutes les femmes à l’emploi à plein temps, réouverture de l’immigration, hausse des cotisations et réforme de leur assiette. Notre pays y est sans doute prêt. |
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