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> Les élections et la reconstruction de la gauche européenne (http://lipietz.net/?article238)
par Alain Lipietz | 18 juin 1999 Libération Les élections et la reconstruction de la gauche européenne
– La gauche a perdu les élections européennes. L’ambition de construire une Europe à la fois fédérale et sociale, en s’appuyant sur l’expression directe des citoyens, le Parlement élu, s’estompe. Ce Parlement sera moins passionnant que prévu. Cependant, dans le Parti Populaire Européen, chez les Libéraux, existent de fortes tendances fédéralistes. Il est probable que ce Parlement exercera au moins ses ambitions sur des thèmes d’intérêt général : l’environnement, la sécurité alimentaire ? – Cette défaite de la gauche frappe de vieilles social-démocraties comme la Belgique et les Pays-Bas, mais surtout trois grandes circonscriptions que la gauche venait de conquérir après une longue éclipse : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne. De tels désastres ne peuvent être imputés à l’usure du pouvoir, mais à des fautes majeures commises immédiatement avant le vote. En revanche, la gauche française confirme une victoire vieille de deux ans. L’intérêt de ces élections simultanées, sur des circonscriptions où la gauche a pratiqué des politiques différentes, est justement de pouvoir se livrer à une discussion approfondie, presque expérimentale. – La faute des social-démocraties anglaise et allemande apparaît d’autant plus clairement qu’elle est bien connue des Français. C’est la profession de foi sociale-libérale de Blair et de Schröder, publiée à la veille de l’élection. " Une Europe flexible et compétitive " ? Non merci. Les électeurs de gauche ne les avaient pas élus pour ça, et se sont abstenus. Ceux du centre ont préféré l’original (Thatcher-Kohl) à la copie. Le virage et sa sanction sont en tous points conformes aux expériences françaises de 1983-86 et de 1988-93. Certes, la posture de la vieille social-démocratie " fordiste " (étatisme et redistribution par l’impôt) était devenue impraticable. L’abandon de toute ambition sociale n’en découlait pas nécessairement. Surtout pas dans un cadre européen, qui pourrait neutraliser les effets de concurrence entre pays. – La gauche italienne de Prodi - D’Alema semble connaître la même mésaventure, il est vrai sous la contrainte d’une énorme dette héritée du malgoverno démo-chrétien. D’où l’affaiblissement conjoint de son opposition de gauche Rifondazione Communista, qui n’offre pas d’alternative. – Instruite par ses erreurs des 20 dernières années, la gauche française quant à elle semble avoir trouvé l’esquisse d’une alternative. Jouissant depuis 2 ans d’une image flatteuse, elle consolide sa domination, mais dans une configuration politique transformée. Les Verts accélèrent leur remontée régulière depuis l’enfer de 1994 et s’affirment comme la deuxième force de gauche. La triple alliance PS-MDC-PRG fait moins que Lionel Jospin en 1995, le PCF ne peut enrayer son déclin malgré de louables mais tardifs efforts de modernisation, l’opposition de gauche (trotskiste) fait moins qu’en 1995. Le message des électeurs est clair : ils confirment qu’ils ont voté en 1997 pour l’accord Verts-PS, et non pour l’axe PS-MDC-PCF qui semble orienter le gouvernement depuis un an. Un coup de klaxon " garder le cap ! ", plus qu’un avertissement. Mais une indication très précise : * " plus à gauche ! " : la somme Verts-PCF-Trostskystes pèse autant que la " triple alliance " ; * " mais une nouvelle gauche ! " : la liste Cohn-Bendit pèse autant que Hue et Laguiller réunis. – Les Verts apparaissent donc comme expression de l’alternative au social-libéralisme, capable de redynamiser, de féconder la vieille gauche. En France, ils talonnent le PS à Paris, dépassent les 17 % dans les métropoles du modernisme, à Rennes ou à Grenoble. De même en Belgique, aux Pays-Bas. Ils percent en Angleterre ; contrairement au SPD, ils reculent à peine en Allemagne, malgré ou grâce aux risques assumés par Joschka Fisher. La liste d’Emma Bonino en Italie épouse certains de leurs thèmes. – On pourrait dire que les Verts représentent la " seconde gauche ", si l’étiquette n’avait déjà été prise, il y a 20 ans, par les Rocardiens qui ultérieurement s’enlisèrent dans le social-libéralisme. Le ralliement de certains d’entre eux à la liste Cohn-Bendit n’en reste pas moins significatif. Les Verts n’attirent guère plus que les autres catégories l’électorat ouvrier et employé (11 %), mais percent dans les professions intermédiaires et intellectuelles (15 %), chez les jeunes (20 %), et même (seuls à gauche !) chez les 15 % d’agriculteurs qui refusent le productivisme et ses poisons [1]. Et cela, tout en s’affirmant comme le second parti des chômeurs (22 %), juste derrière le PS et loin devant les autres (Laguillier : 16 % , Hue 12 %). – La " troisième gauche " que dessinent les Verts représente donc idéologiquement, socialement et politiquement l’alliance des exclus et des " médiateurs sociaux " (les médecins du corps social). Contre la première gauche, elle incarne l’autonomie, le fédéralisme, la libre association (y compris productive) des citoyens, les mouvements de société (PACS, cannabis, rénovation de la vie publique, ouverture aux immigrés). Mieux que la seconde gauche, elle combat l’exclusion sous toutes ses formes (sexuelle, économique, raciale) et l’épuisante aliénation du travail salarié. Nouveauté radicale, elle affirme la responsabilité humaine à l’égard des générations futures et de la vie sur la planète. – La question de savoir si le Vert supplantera politiquement le Rose (en Belgique ?) ou s’il ne sera que le guide idéologique de sa rénovation, est contingente. On connaîtra sa réponse au siècle prochain. Il lui faudra en tout cas écarter les dangereuses facilités du social-libéralisme qui avaient coulé la seconde gauche. Lionel Jospin l’avait compris en 1997. Ses futurs électeurs de 2002 viennent de le lui rappeler. |
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