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par Alain Lipietz | 13 octobre 2004

Solutions Transport, n°37
Les délocalisations sont-elles inévitables ?
Entrevue
Sous-traitance, optimisation des couts, conquête des marchés... Ces arguments rendent-ils les délocalisations inévitables ? Comment en limiter les effets pervers ? Quelles conséquences pour les transports ?

Pensez-vous que les notions de supply chain management et d’out-sourcing portent en elles-même l’idée de délocalisation ?

Non. La gestion à flux tendu a été inventée par les Japonais. Les sous-traitants de Toyota sont à Toyota-City, à quelques kilomètres les uns des autres ! A l’inverse, la division du travail pratiquée à l’intérieur de l’Hexagone au sein même des firmes (Renault, Thomson), dès les années 1960, laissait la conception et la fabrication qualifiée en Ile de France et, pour ce qui est de la fabrication peu qualifiée, délocalisait vers les régions à bas salaires de l’ouest rural. On a gardé le même dispositif géographique en l’élargissant à la périphérie sud et est de l’Europe, selon la même logique, et maintenant on a beaucoup plus de camions pour la même production ! Une autre solution est possible : le "district industriel" à l’italienne, où les réseaux de petites et moyennes entreprises qui coopèrent à la même branche restent groupées dans la même zone.

Les avantages de la délocalisation, selon ses partisans, peuvent se résumer ainsi :
* extension des marchés,
* optimisation des coûts,
* gains de compétivité.
Peut-on, doit-on lutter contre de tels arguments ? Si oui comment, si non pourquoi ?

Le premier argument (extension des marchés) est très différent des deux autres (la baisse des coûts salariaux). Le premier est à la fois dominant dans la réalité et légitime. Il n’y a pas de raison de produire en France les produits pour les Polonais. Les entreprises françaises qui ouvrent des usines en Pologne pour le marché polonais créent des emplois en France : bureaux d’études, fabrications spécialisées. Mais si elles vont en Pologne pour réexporter vers la France, elles sèment le malheur : surexploitation en Pologne, licenciements en France, embouteillages et pollution partout.

On peut lutter contre ce dernier processus :

- à court terme : en interdisant la fermeture d’établissements rentables,
- à moyen terme : en faisant payer les coûts sociaux et environnementaux des transports,
- à long terme : en aidant, par des normes sociales et environnementales internationales, les populations des pays en développement rapide à accéder aux mêmes droits que nous. L’Europe est actuellement le meilleur soutien de ce rattrapage, comme on l’a vu en Espagne, au Portugal, en Irlande.

La délocalisation est-elle une tendance lourde et inévitable à moyen et long terme ?

Le développement de l’industrie et du tertiaire dans le Tiers Monde est une tendance lourde. Les entreprises européennes y participeront. Si c’est pour accompagner sur place la croissance de ces marchés, pas de problème (si ce n’est les problèmes écologiques de toute forme de croissance, mais c’est une autre histoire). Si c’est pour profiter des bas salaires et de la pollution sans frein, ce sera une catastrophe.

Que pensez vous de l’idée que les pays riches seront destinés à n’employer à terme qu’une main d’œuvre très qualifiée pour des produits à valeur ajoutée, les pays à bas coûts salariaux prenant en charge une production moins pointue ?

Cette idée (que dès les années 1970 j’appelais la "nouvelle division internationale du travail") reflète certainement une tendance forte et spontanée. Mais il existe deux importantes contre-tendances :

- Le gros du travail humain (bâtiment, services domestiques, services aux personnes, services à la communauté) est par essence non-délocalisable
- La production des biens "transportables" (produits manufacturés, services offerts par internet) dans les pays riches reste possible, comme l’indique le cas de pays les mieux payés d’Europe, ceux de Scandinavie, la Suisse, l’Allemagne du Sud, l’Italie du Nord) à condition de jouer la carte de la qualité des produits (et donc de la qualité écologique et sociale des sites de production) et de la proximité des marchés.

Les problèmes de délocalisation ne se posent pas dans les mêmes termes pour le transport et pour la logistique.

Evidemment ! Transport de fret et logistique se nourrissent des délocalisations, au prix d’un énorme gaspillage d’espace, de graves pollutions. Le risque (déjà bien vérifié) est que le transport soit lui-même de plus en plus rattaché aux pays à bas salaires quant aux normes sociales qui lui sont appliquées. La "directive Bolkenstein", qui pose le "principe du pays d’origine", risque de légaliser ces pratiques : il suffirait que le siège social des entreprises de transport soit basé en Pologne pour que le droit social qui s’applique aux camionneurs soit le droit polonais ! Une rude bataille en perspective au Parlement européen.

Que pensez-vous du plan du gouvernement contre les délocalisations ?

Rien. C’est un non-plan, qui contient même une monstruosité : subventionner les entreprises pour qu’elles restent ou rapatrient leurs succursales ! Ni la Suède, ni la Suisse, n’ont jamais fait ainsi...
En revanche, il y a un vrai débat à avoir sur la façon de découpler le coût de la production sociale de la question de la compétitivité. Il suffit de transformer les cotisations sociales en "TVA sociale", c’est à dire avec une assiette incluant les profits, déductible à la frontière, et frappant les produits importés. C’est ainsi que procède le Danemark, qui, avec les plus hauts coûts salariaux d’Europe, a l’un des plus bas taux de change.




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