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par Alain Lipietz | 23 octobre 2016

La vérité sur le Sarkoland
Un chroniqueur du Point vend la mèche sur qui est « le Peuple » pour Sarkozy, et sur le point aveugle de la « géographie » de Guilluy.

L’article de C. Consigny prend pour prétexte la défense d’une phrase de Sarkozy : « Mon électorat est populaire, ce sont des ploucs ». Selon Consigny, la phrase vise non ce qu’il pense (Sarkozy), mais ce que la « presse bobo » (typiquement, L’Obs) pense de son électorat. Or L’Obs aurait fait semblant de prendre la phrase au premier degré. Si c’est vrai (mais je ne lis pas L’Obs), c’est en effet inélégant. Cela dit, Sarkozy est plus qualifié que moi (litote) dans l’art d’utiliser les medias.

Mais passons. L’important est que Consigny met les points sur les i, en toutes lettres, longuement, en détail, et pas au second degré, sur le « peuple » de Sarkozy.

Ce peuple de Sarkozy préfère Neuilly au Canal Saint-Martin. Pour les vrais « ploucs », c’est à dire, dans l’argot de mon enfance, les ruraux, expliquons ce qu’est le canal Saint-Martin : il s’agit de la zone qui s‘étend de la place de la République au bassin de La Villette, au nord-est de Paris, c’est à dire la dernière zone de mixité sociale de la capitale. C’est en effet le « boboland », là où va vivre la petite bourgeoisie intellectuelle qui préfère les quartiers « encore populaires », et aujourd’hui pousse des pointes vers l’ex-banlieue rouge, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Ceux qu’on méprise aujourd’hui comme "bourgeois -bohême" : les "bobos".

Ce sarkopeuple préfère des vacances sur la Cote d’azur (précisément : à Juan-les-pins) à « l’agrotourisme » (traduction pour les « ploucs » de mon enfance : « l’accueil à la ferme » où ils arrondissent leurs maigres revenus en louant une partie de leur ferme à des citadins pas très riches).

Ce sarkopeuple « évite le ridicule du festival d’Avignon », création des années 50 et de la grande époque de Jean Vilar, du TNP et de l’éducation populaire, et qui s’affirme chaque année comme un immense festival populaire, où de « petites gens » (qui ne sont pas des « gens petits », comme le précisait Péguy) se précipitent, en tongs et trainant le bide et les moustaches de mon beauf, pour passer une nuit en compagnie des frères Karamazov (allez-y voir, M. Consigny ! Vous n’en croirez pas vos yeux.)

Ce sarkopeuple ne porte pas de chemises à carreau (dites « de bucheron ») mais voit dans la Rolex un symbole de réussite.

Ce sarkopeuple, vous l’aurez reconnu : c’est les Bos ! Les bourgeois tout court, pas bohême. Ceux qui vivent juste in cran au dessous de la haute bourgeoisie des Pinçon-Charlot, mais juste à coté, et qui n’ont qu’un rêve : être accueilli dans ses rallyes, dans ses mariages.

Ça fait donc un peu plus de monde que les deux-cent familles. L’avenue Foch et le haut du Bd Saint Germain n’y suffisent pas. Il leur faut de l’espace urbain : c’est le triangle Neuilly-Auteuil-Passy. Et quand ils ont des enfants ou aiment la verdure, de l’espace péri-urbain : le triangle Saint Cloud - Rambouillet – Saint Germain en Laye.

Un immense espace, le quart ouest de la mégapole capitale, le plus fleuri, le plus aéré, le mieux doté en belles forêts et en lycées, celui où le schéma directeur de l’Ile de France ne colle pas de « pastilles rouges » exigeant la surdensification, où il y a juste ce qu’il faut de HLM pour loger les femmes de ménages et les petits fonctionnaires locaux : le Sarkoland et le Poissonland (ou Boutinoland).

Un immense espace, urbain et péri-urbain, qui échappe totalement à la géographie de Guilluy, lequel n’oppose que deux classes en France, dans leur rivalité pour le territoire : les bobos (les prof, chercheurs, informaticiens, medias, bref la petite bourgeoisie intellectuelle au capital essentiellement culturel, « l’intelligentsia ») qui, alliés aux immigrés, chassent les « classes populaires françaises » des villes-centres vers le péri-urbain. Pas le péri-urbain de Rambouillet et de Saint-Germain, pas celui du Sarkoland et du Poissonland : vers le Val d’Oise, l’Essonne et la Seine et Marne.

Et pourtant attention : même le Poissonland de Rambouillet, il lui arrive d’élire une Verte. Et peut-être de préférer Juppé.

Je n’ai hélas pas le temps d’écrire un livre à la gloire de l’intelligentsia moderne, ceux qui, poussés par la hausse du prix du logement à Paris plus que par l’esprit missionnaire des Narodniki, vont introduire un peu de mixité sociale en banlieue ex-rouge, rongeant les ghettos et faisant baisser l’échec scolaire. ([Voyez quand même ici et )

Mais je remercie C. Consigny pour sa précieuse contribution.




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