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Accueil  > Vie publique > Alain Lipietz et les Verts > La lettre de Dany, le problème des insiders et l’avenir d’Europe Ecologie. (http://lipietz.net/?article2473)

par Alain Lipietz | 31 octobre 2009

La lettre de Dany, le problème des insiders et l’avenir d’Europe Ecologie.
Une lettre de Dany Cohn-Bendit (actuellement en convalescence post-opératoire), « Malentendus, divergence et contradictions », critique les blocages opposés par Les Verts à l’élargissement d’Europe Ecologie et met en cause nommément Jean-Vincent Placé. Elle a suscité pas mal de débats sur les listes internet militantes. Voici ma cotribution. Le débat sur le présent exte a lieu sur le forum de mon blog, cliquer ici

Je partage assez largement l’analyse faite par Dany des blocages en cours. En réalité on pouvait s’y attendre : tout processus d’élargissement d’un groupe humain voit se développer l’opposition des « insiders » (ceux qui sont déjà là, et souhaitent contrôler parcimonieusement l’élargissement) et des « outsiders » (ceux qui cherchent à s’y agglomérer).

Dany reconnaît bien que le chef de file des « insiders » est JVP, pour prendre l’exemple-type de l’Ile de France — mais il y a un JVP dans bien des régions. (Pour les « nouveaux » : JVP est le président du groupe des élus verts sortant, élu de plus en 2008 conseiller municipal minoritaire des Ulis sur une liste chevenementiste-Modem, plus d’innombrables responsabilités vertes, non-vertes ou para-vertes.) Dany voit moins bien qu’il s’agit d’un phénomène qui a fait éclater tous les courants. Que la grande majorité des Verts, les militants pour la plupart « hors-courant », qui se retrouvent bien peu à distribuer des tracts pour faire élire leurs champions (lesquels ensuite s’imaginent propriétaires de leurs postes), et aimeraient bien être plus nombreux, sont plutôt favorables à l’élargissement. Tandis que les « dirigeants moyens », ceux qui aimeraient bien se garder les places accessibles, considèrent chaque nouvel « outsider » sur les listes Europe Ecologie-Region X comme un intrus qui vient lui piquer sa place. JVP représente donc plutôt les intérêts d’une strate délimitée des Verts, et certes pas « Les Verts ».

Ce que Dany ne voit pas non plus, c’est que le phénomène « insiders » touche évidemment tout aussi bien les « non Verts français » de Europe Ecologie, ce qu’il appelle le « canal historique » qu’il réduit à 5 hommes, mais dont il a la finesse d’exclure Eva Joly. Car Eva Joly, l’eurodep la plus demandée et la plus citée sur le terrain, polarise en effet le « désir d’en être » des outsiders. Ces insiders non-verts ne sont pas seulement représentés par « Les amis d’Europe Ecologie », je dirais plutôt qu’il existe un réseau d’anciens de la campagne européenne, qui répugnent à abandonner les clés de leur pouvoir informel (très concrètement les listes, le site…) aux engagé-e-s des campagnes futures. Car les « nouveaux outsiders » (celles et ceux, verts et non verts, qui arrivent avec les régionales) ont déjà une dynamique propre, qui se forge dans les Comité d’Aimation Paritaire Régionaux, dans les réunions-programme, dans les Comités locaux qui peinent à se faire reconnaitre de « l’appareil » etc. Et là, la vraie distinction est plutôt « vertzénonverts pour l’ouverture / verzénonverts qui freinent ».

Dany a sons doute eu raison aussi de dire que la différence entre Verts et non verts s’est polarisée politiquement sur « alliance avec le Modem ou pas ». Polarisation artificielle mais significative. Car, sur le fond, tout le monde est d’accord avec son résumé : « Pas d’alliance partidaire au premier tour (que ce soit avec le PS, le Modem ou le PC). Mais ouvrir nos listes aux personnalités du PC, du Modem, de Cap 21 ou du PS qui voudraient rejoindre « Europe Ecologie ». Pour le second tour, fédérer les oppositions à l’UMP autour d’un programme régional de transformation et de réformes écologiques, sociales et démocratiques. » C’est-à-dire en clair toutes les listes du premier tour du PCF au Modem. Mais, dans les effets de manche de parti, il est plus facile de s’envoler « à gauche toutes, ouh le vilain Modem, ouh le vilain Dany », y compris ceux qui hier (et dont justement JVP), quand le PS n’était pas gentil, faisaient voter : « les Verts n’ont plus d’allié privilégié ». C’est la façon d’habiller l’esprit de clocher « insiders verts » d’un manteau politiquement correct. Les mêmes, à l’été 2008, accusaient précisément Eva Joly d’incarner le vers Modem dans le fruit EE.

Ce que Dany ne voit pas de son lit de douleurs, c’est qu’on n’en est plus tout à fait là. Le ralliement précipité de Cap21 à EE, avec ou sans l’autorisation de Corinne Lepage, a résolu le problème dans le sens souhaité par tous. Les résistances semblent maintenant se tourner essentiellement contre les « outsiders » venus de la gauche, ou du moins contre une symbolique de gauche voire gauche de la gauche (contre Marie Bové à cause du nom de son père et de ce qu’elle fut salariée du PS, contre les anciens ou actuels dirigeants de Greenpeace parce qu’ils furent membres du PS, contre les maires Gauche citoyenne de la banlieue rouge, parce que venus de la mouvance et du moule communiste, etc).

Bien entendu chaque rejet particulier à ses arguments très forts et « de gauche ». Mais, je le dis avec inquiétude : une ouverture au centre sans ouverture symétrique à gauche et même à la gauche de la gauche déséquilibrerait gravement Europe Ecologie. En réalité , on retombe toujours sur un problème d’insiders : « Mais il n’y a donc pas de bon candidat vert ? nous qui avons cotisé tant d’année ? » Ou, chez les non-verts : « Mais nous étions déjà avec les verts aux municipales, qu’avons-nous à faire d’un-e tel-lle qui alors n’était pas avec nous ? »

C’est sans doute un hasard de calendrier, mais en tout cas, en ce moment précis, le rejet des nouveaux venus frappe plus à la gauche qu’au centre. La semaine prochaine peut-être, les cibles des « insiders », se parant de laïcité, seront les cathos, les « amis de Tariq Ramadan », et ainsi de suite…

Et il n’y a pas que la question des ralliements de nature politique. Ce que Dany ne voit pas, ce sont les personnalités de la société civile qui nous rejoignent, ceux qu’on pourrait nommer les « professionnels engagés », je pense évidemment à Laurence Vichnievsky en PACA, mais aussi, par exemple, en Ile de France, à Robert Lion, ancien Directeur de la construction, ancien délégué général des HLM, actuellement président de Greenpeace et d’Agrisud, à l’avocate Caroline Mécary (engagée dans les luttes contre les discriminations, et présidente de la Fondation Copernic), à la sociologue Christine César (engagée dans la luttes contre les inégalités sociales de santé et contre la malnutrition des « pauvres ») ou au journaliste François Desriaux (rédacteur en chef du magazine Santé travail, ancien président de l’Andeva)… Personnalités dont les compétences professionnelles vont « compter » pour l’élaboration du programme et pour convaincre les électeurs que nous avons dans notre équipe les « bonnes personnes » pour prendre en charge la région. Les personnes engagées dans les mouvements associatifs locaux qui nous rejoignent contribueront aussi fortement à afficher un fort ancrage militant local, et à élargir le champ de nos proposition, par exemple dans le domaine de la coopération décentralisée.

Une difficulté supplémentaire vient de l’ignorance du passé. Par exemple, on lit dans un mail de Stéphane Sitbon (jeune assistant de Cécile Duflot) répondant à Dany : « Les plus anciens d’entre nous se souviennent de 1992, où alors qu’après Tchernobyl, les Européennes de 1989 et malgré le discrédit du PS, les écologistes, qui avaient le vent en poupe, avaient failli, faute de parvenir au rassemblement le plus large. Les vieux démons disparaissent rarement... » Ben non justement : le sectarisme des Verts de l’époque a en effet ouvert un boulevard à la formation, en quelques semaines, de Génération Ecologie et à la présentation de deux listes dans chaque région ! Et pourtant le total des deux listes fut du niveau d’Europe Ecologie : 14% nationalement, 18% en Ile de France. Les deux listes formèrent la plupart du temps des groupes uniques dans les CR, obtinrent la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais, et des minorités de blocage efficaces un peu partout !

Si les blocages incarnés par JVP (mais encore une fois il ne fait que les incarner) devaient persister, la possibilité de listes des « EE non verts exaspérés » deviendrait non négligeable (des non-verts stupéfaits de l’attitude de JVP en parlent en rigolant… pour le moment) et n’empêcherait nullement un résultat à la 1992. Le problème c’est que c’est très malsain : après 92, il y eut 93 et surtout le désastre des européennes 94. C’est après 1992 que la division a été sanctionnée, et il a fallu très longtemps pour « recoudre ».

Et il faut comprendre ce que sont ces « blocages ». Là encore Stéphane est un peu naïf : « Il y a six mois, nous dit-il, on avertissait que Les Verts seraient sectaires et refuseraient l’ouverture aussi bien pour les têtes de listes, que pour les places éligibiles. Ce sont Les Verts, qui accueillent très largement Laurence Vichnievsky en PACA, à commencer par les élus sortants et implantés localement, d’autres s’apprêtent à faire de même dans de nombreuses régions. » Pour avoir suivi pas à pas l’entrée de Laurence, de la toute première rencontre à sa nomination, je peux dire que ce fut loin d’être simple, mais là n’est pas l’essentiel. « Accueillir Laurence Vichnievsky », encore heureux ! JVP a au moins le mérite de la clarté (mais devrait éviter d’étaler son cynisme sous le nez des non-verts, comme il l’a fait au CAPR Ile de France le 1er octobre) : « On en prend deux connus qui vont nous faire des voix, les autres, connus de leur concierge, bonsoir et merci ». Les « insiders » rêvent de deux ou trois têtes nouvelles, à l’échelle nationale, niveau Eva ou José, pour nous gagner des postes, et les postes on se les partage selon les deals intra ou intercourants des Verts.

Eh bien non. La vraie ouverture, celle qui permet de gagner, c’est la parité de A à Z sur chaque liste, et entre les têtes de listes, régionales et départementales. Double parité : verts/non-verts, hommes/femmes. C’est le prix du tsunami qui menace de bouleverser toute la politique française. C’est le prix du travail de fourmi qui devrait déjà être commencé et qui fait qu’on votera EE-TRUC parce que, dans le quartier Machin de la région Truc, un type crédible se reconnaîtra dans son copain, président de régie de quartier dans la ville d’à coté, figurant en 40e position, et fera voter pour EE. Parce que les petits maires ruraux sur le passage d’un projet d’autoroute feront voter pour un autre petit maire, connu des seuls militants actifs contre l’autoroute, et figurant sur la liste.

Un bien modeste prix. Le nombre des postes à pourvoir en cas de victoire sera beaucoup plus grand qu’en cas d’échec. Mais il y aura toujours un insider en position charnière pour dire « si on n’avait pas fait entrer une telle, j’aurais pu être élu ». Oui, mais si on n’avait pas ouvert à tous les untels ou unetelles, il n’aurait pas été élu non plus…

Enfin, la lettre de Dany semble esquisser une proposition dangereuse conduisant à la confrontation : les Verts choisiraient les Verts, les non-verts choisiraient les non-verts. D’une part la dynamique d’un tel pré-divorce (séparation des corps) conduit directement au scénario de 1992 qui sera perçu comme « pas si grave » : deux listes ! D’autre part, parce qu’il y a désormais autant de réflexes d’insiders des deux cotés. Ensuite parce que ni les verts ni les non-verts, laissés à leur seule dynamique de courant ou de réseau, ne choisissent forcément les meilleurs des verts ou des non-vert. Ensuite parce que les « insiders non verts » ne connaissent pas toujours les excellents non-verts que les verts (qui militent avec eux) leurs proposent, et les Verts ne perçoivent pas toujours qui les non-verts perçoivent comme « représentant l’ouverture à la société » chez les verts. Enfin parce que ça ne règle pas le vrai problème : qui, vert-e ou non vert-e, sera tête de liste en tel endroit… et en échange de quelle compensation au niveau de la 9è place éligible.

Préservons plutôt l’esprit de EE : que les partisans de l’ouverture, ceux qui se battent pour elle depuis la constitution des listes européennes ou depuis plus récemment, qu’ils soient verts ou non-verts, travaillent ensemble dans les CAPR. Que la sélection des non-verts et l’ordonnancement des listes soient confiées à des sages non-candidats, paritairement verts et non-verts, mais toutes et toutes non candidats et bien au fait des qualités qui ont fait solliciter tel ou tel non-vert, ainsi que des problèmes que ça pose.

Et surtout commençons le « tour de chauffe » sur le terrain ! Nous avons déjà un mois de retard. Lors de la législative de Poissy, Pécresse et Huchon labouraient déjà aux cotés de leur candidat local…



À noter :

Le débat sur le présent exte a lieu sur le forum de mon blog, cliquer ici

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