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Accueil  > Vie publique > Articles et débats > La « consolidation d’Europe Écologie », sans langue de bois. (http://lipietz.net/?article2531)

par Alain Lipietz | 20 mars 2010

La « consolidation d’Europe Écologie », sans langue de bois.

Je me suis couché le soir du 14 mars assez déçu du résultat de Europe-Écologie, surtout dans les trois régions considérées « gagnables » en octobre dernier, dont la mienne (l’Ile de France), écoeuré par le résultat du Langedoc-Roussillon et par le retour du FN qui talonne EE, inquiet de l’abstention. Le lendemain, j’ai découvert que la plupart des journalistes et politologues saluaient « l’enracinement de EE ».

Il y a donc deux lectures du résultat de l’ écologie politique dans cette élection, selon qu’on avait ou pas diagnostiqué une « nouvel age » lors de sa percée de l’an dernier. Ceux qui n’y croyaient pas sont convaincus, ceux qui y croyaient sont déçus !

Bon. Essayons de tirer un bilan objectif, mais sans langue de bois, et commençons par ce que dit le seul sondage, Opinion Way, fait le jour même sur les votants et les non-votants , en le comparant à celui (beaucoup plus travaillé) de TNS-Sofres sur les européennes, que j’avais analysé ici-même.

 D’abord l’abstention (53,5 %)

Le sondage donne les raisons suivantes : 32 % « pas intéressés par la campagne », 28% « mon vote ne changera rien » et 24 % « aucune liste ne correspond à mes attentes ». L’ignorance ou le désintérêt de l’institution régionale : 21 %.

Les 32 % posent le problème des campagnes à faible contenu émotif (j’en ai discuté sur mon blog), les 28% rappellent la crise de plus en plus profonde de la démocratie représentative, les 21% soulignent la calamiteuse sous–performance du « 4e pouvoir » en matière d’instruction civique. Mais on note surtout les 24 % pour qui l’abstention est un choix politique. Sans surprise : les abstentionnistes sont plus nombreux à droite qu’à gauche (5% de différence). C’est le fameux « échec de la stratégie du parti unique de la droite » : quand on reste de droite mais mécontent, on ne peut plus que voter FN ou s’abstenir.

De même, on note que 55% des électeurs « proches de l’extrême gauche » se sont abstenus, et 55 % des « proches du FN ». Ces deux courants ne savent pas dire pourquoi au juste, ils appellent leurs sympathisants à voter, et c’est l’explication du naufrage électoral du NPA par rapport au FdG (Front de Gauche) par exemple.

Beaucoup plus embêtant : à peine en dessous de la moyenne, et au même niveau que les sympathisants Modem, 50 % des sympathisants écologistes se sont abstenus. Au contraire, 30 % seulement des sympathisants PCF et 36 % des socialistes se sont abstenus.

On comprend tout de suite le premier problème de EE à ces régionales : contrairement aux européennes, EE a moins su mobiliser ses propres sympathisants que les partis traditionnels. Nous approfondirons ce point plus loin. Mais d’abord :

 Claque UMP, Rémission du PS

Nous avons vu que le score historiquement bas de la « majorité présidentielle rassemblée » vient largement de ce que le mécontentement de ses partisans se traduit en abstention… ou en vote FN. Celui-ci reprend 8% des électeurs de Sarkozy en 2007 et 20 % de ceux de De Villiers. Le vote FN reste d’abord un vote d’ouvriers (19% des votes ouvriers) mais, contrairement aux européennes, il n’est plus le premier vote ouvrier, le PS lui est repassé devant et largement (27 %). EE a encore progressé chez les ouvriers, de 13 à 15%, mais beaucoup moins que le PS. Les écologistes restent cependant très largement devant les trotskystes (6%) et le FdG (8%), « gauches de la vieille gauche ».

La chute d’EE dans les classes populaires est donc essentiellement chez les employés (de 24% à 14 %) : c’est surtout le PS qui a récupéré son implantation traditionnelle, remontant à 27 % chez les ouvriers et 31 % chez les employés.

Second enseignement donc : EE n’est plus le premier parti populaire à gauche, c’est le PS qui a repris cette place, tandis que le FN continue à représenter le désespoir ouvrier. Le communisme, même conforté par une scission de la vieille sociale-démocratie de gauche (Mélenchon) n’incarne plus ni l’espoir ni le désespoir ouvrier : même la somme trotskystes+FdG fait moins que EE chez les ouvriers !

Remarquons tout de suite que EE a aussi perdu de l’autre coté du « monde du travail et de la culture », comme disait jadis le PCF , chez les professions intellectuelles supérieures. Sa position s’est inversée avec le PS par rapport aux européennes : 18% pour EE, 33 % pour le PS !

Qui dit cadres sup pense Modem. Que sont-ils devenus, ces électeurs de Bayrou volatilisés devant son offre politique illisible ? 15 % des électeurs de Bayrou 2007 lui sont restés fidèles, 20 % sont retournés à droite, mais 26 % sont passés (ou retournés ! ) au PS et 22 % à EE. Ainsi, le vote Bayrou ou Modem aura été le passage d’une partie de l’électorat centre-droit soit vers le PS soit vers EE, à peu près dans la même mesure.

Quant au vote « people » pour Besancenot-2007, il est reparti à 29 % vers le PS, à 18% vers le FdG et 12 % vers EE. De même EE capte 14 % de l’électorat de Ségolène (alors que le PS en conserve 67 %). Les passages du vote FdG à EE sont très faibles. Les ralliements à EE de personnalités de la gauche ancienne, qui restent à mon avis hautement significatifs et riches de promesses pour l’avenir, n’auront pas pesé un grand poids électoral.

À noter aussi l’affaiblissement de l’écologie de droite. Pendant 25 ans on a considéré que le vote écolo se reportait pour 2/3 à gauche, 1/3 à droite. C’est le rapport dans lequel j’ai en effet battu C. Lepage aux européennes de 2004. Le 14 mars, il y a eu 12,5 % de voix pour EE qui proclamait sa volonté de fusionner à gauche au second tour, et les listes Alliance Ecologiste Indépendantes « ni droite ni gauche » n’ont recueilli que 1 à 2 %. Pourtant Waechter et Lepage ont participé ou soutenu en connaissance de cause des listes EE. Selon OpinionWay, le 14 mars, 65 % des électeurs EE étaient prêts à se reporter à gauche (comme d’habitude) mais seulement de 9 à 15 % (selon les configurations) à droite, le reste abstention. Voter pour une liste qui dit vouloir fusionner à gauche, puis voter à droite au second tour, est le fait d’électeurs qui se détachent de la droite mais ne sont prêts à voter union des gauches que pour une liste d’union sous direction écologiste : c’est tout le problème de l’Alsace.

  L’échec ou le succès relatif de EE

Au total, EE et le PS apparaissent avoir permuté leurs positions par rapport aux européennes : ce que EE a réussi aux européennes (galvaniser des sympathisants, capter le vote de l’espoir ouvrier et la reconnaissance par les intellectuels), c’est le PS qui l’a réussi cette fois-ci. Contrairement à ce que j’espérais encore sur mon blog en octobre, EE n’a pas confirmé sa capacité à offrir une alternative non seulement culturelle mais déjà politique à une sociale-démocratie à bout de projet. Et cela faute de « social » et faute de « crédibilté ». Symbole : Ariane Mnouchkine allant soutenir, à Lyon, Queyranne plutot que Meirieu ! Un comble !

Résultat : seuls 53% des votes EE des européennes ont été conservés aux régionales, les autres sont parties essentiellement vers le PS (28%). Fuite un peu compensée par l’arrivée de de 12 % du vote Modem de l’an dernier et surtout … de 11 % des abstentionnistes de l’an dernier, ce qui est méritoire et non négligeable !

Cet échec n’est bien sûr que relatif aux espérances déduites des européennes et des législatives des Yvelines. Il est difficile de contester de l’extérieur une majorité régionale sortante à laquelle on a participé, dont nous partageons le bilan. C’est pourquoi j’avais fixé ma « barre de satisfaction » à : résultat des européennes (16 %) moins 2 % pour tenir compte de la « légitimité du sortant » qui allait au PS, sur la base de l’expérience des législatives des Yvelines à l’automne dernier. Soit 14 %. On est un peu en dessous (12,5). Et le PS a devancé EE même là où ce n’était pas le cas : en Midi-Pyrénées, Champagne-Ardennes, Alsace.

Par ailleurs, contrairement à 1992 (où Verts+ Génération Ecologie avaient justement fait 14%), il n’y avait pas de vote sanction contre un PS au gouvernement s’exprimant par un vote écologiste de dépit. Par ailleurs les élections de 1992 se sont jouées dans la préparation exaltante du Sommet de la Terre de Rio, celle de 2010 à l’ombre de l’échec de Copenhague.

Si enfin on se replace dans l’histoire de la progression de l’écologie politique, le résultat du 14 mars marque exactement ce qu’on appelle une « consolidation à un haut niveau ». Difficile de « comparer ce qui est comparable » car, lors des deux élections régionales précédentes, les Verts n’étaient pas partout autonomes au premier tour. Mais disons qu’en 1998 il était encore difficile de passer la barre des 5% (la Bretagne avait échoué de peu) ; en 2004 toutes les listes vertes passaient la barre des 5% et Rhône-Alpes dépassait la barre des 10% ; en 2010 presque toutes les listes dépassent la barre des 10% ou la frôlent . Le plus faible résultat de l’Hexagone est la Champagne-Ardennes avec 8,48, le plus fort Rhône-Alpes avec 17,83. Cette progression de Rhône-Alpes (+75% par rapport à 2004) semble assez représentative de toute la France. De sorte que, dans la seule région où l’hégémonisme traditionnel du PS n’a pu être raisonné, la Bretagne, EE est en capacité de se maintenir au second tour.

En 1998, l’écologie restait derrière le PCF et disputait sa place d’allié du PS même au MDC de Chevènement et aux Radicaux de Gauche. En 2010, l’écologie est le seul allié incontournable et la seule alternative pour la gauche sociale-démocrate. Pourtant EE reste derrière le Front de Gauche dans certaines régions « à tradition communiste » comme l’Auvergne, le Limousin, et encore le Nord-Pas-de-Calais (d’un cheveu).

Ce qui explique l’échec relatif de EE aux régionales (pertes du coté populaire par manque de social, perte du coté intello par manque de crédibilité) a été pointé sur mon blog avec inquiétude dès la fin de l’année dernière. Je n’y reviens pas : il suffit de relire mes billets dans l’ordre inverse. J’y alertais avec inquiétude sur chaque décision de la direction de campagne qui compromettaient les succès qui semblaient promis : de l’éviction des thématiques santé-travail avec François Desriaux à l’éviction de la thématique alimentation-pauvreté avec Christine César, de l’annulation de l’événement « Tiers-monde » à l’annulation de l’événement « Technos écologistes », de la rupture avec le mouvement du logiciel libre au traitement à peine décent réservé à la présidente de la Fondation Copernic, de l’ignorance des cathos de gauche à l’ignorance de l’économie sociale et solidaire, etc.

Disons que l’échec relatif de EE par rapport aux ambitions que l’on pouvait légitimement nourrir en octobre (après les élections législatives des Yvelines confirmant que les européennes n’avaient pas été un feu de paille) était couru dès décembre-janvier. Mais deux éléments externes sont venus approfondir le coût à payer pour ces erreurs : l’approfondissement de la crise économique et l’échec de Copenhague.

 Copenhage et chomage

Le succès d’EE aux européennes reposait sur un argument simple et percutant : les solutions à la crise énergie –climat et à la crise agriculture–alimentation-santé sont aussi des solutions à la crise de l’emploi ! J’ai consacré plusieurs articles à étayer cette argumentation en vue des régionales (voyez ici et ou encore d’ultimes précisions ). Argumentation que j’ai martelé dans tous les meetings régionaux, en ajoutant que, échec de Copenhague ou pas, les régions pouvaient se mettre dès maintenant à ce « Green Deal ». Dans les faits, j’ai constaté que cet argument se retrouvait assez peu dans les tracts et les programmes régionaux, dans les discours des candidats que je venais soutenir.

Or l’échec de Copenhague a eu un rôle démobilisateur (« A quoi bon si de toute façon les grands pays renoncent à sauver le climat ? »), renforcé par le martèlement climatosceptique des médias encensant Allègre. Cet effet ne pouvait être contré que par l’argument des européennes : « Ce qui est bon pour la planète et la santé est bon pour l’emploi ». Et justement la préoccupation n°1 de ces élections, ce fut l’emploi (44%), la seconde préoccupation était « Les transports » (29%), l’environnement venant en 4ème position, avec 25%.

En réalité, la remontée du FN comme vote protestataire de la droite ouvrière exprime la montée de la misère et du chômage. La débat Sarkozy-Besson sur l’identité nationale n’a fait que rendre au vote FN une légitimité qu’il avait perdu pour exprimer cette misère. Que EE n’ait pas su offrir de l’espoir aux plus démunis est sans doute notre plus grand échec dans cette campagne. Il est grand temps de mettre toute la gomme sur l’écologie populaire.

Dernière remarque sur le vote national en ce temps de débat sur la laïcité. EE est, avec 17%, le second vote des sans-religion (derrière le PS) et on peut en être fier. Que EE ne recueille que 11 % des voix catholiques (contre 27 % pour le PS) me gêne, et l’affaire Marie Bové n’y est sans doute pas étrangère. Qu’EE ne recueille que 5% des voix musulmanes, contre 51% pour le PS, me pose un vrai problème. Je pense qu’il y a dix ans, le score dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « diversité » aurait été meilleur. Et je ne suis pas sûr que ce soit entièrement mérité.

 Différences régionales.

Sans ce tableau en demi-teinte, certaines régions font mieux que d’autres. Ce qui ne veut pas dire que ce soit entièrement la responsabilité des candidats et directions de campagne : le contexte, par exemple la qualité des concurrents, joue aussi !

Notons d’abord que trois régions progressent en voix et perdent à peine en pourcentage par rapport aux européennes : Alsace, Picardie, Nord-Pas-de-Calais. Bravo !!

Un mot pour la région gagnante, Rhône-Alpes , qui ne perd que 1,8 % par rapport aux européennes et termine 1ere région d’Europe-Écologie avec 17,83 %. Je l’ai dit à propos de du meeting de l’Ain : équipe excellente, tête de liste remarquable, j’ajoute (vous pouvez comparer) que c’est de loin le programme le plus riche, le mieux fait. Respect.

Inversement, le recul par rapport aux européennes, de 3,71% en moyenne, dépasse 4 % en : Bretagne (-5,75), Aquitaine (-5,65), Provence-Côte-d’Azur (-5,4), Franche Comté (-5,1), Lorraine (-4,8), Ile-de-France (-4,3).

Cette chute en Ile-de-France pèse lourd dans la moyenne nationale. Elle est acquise d’abord à Paris, où EE perd la moitié des voix perdues sur la région et 7%, puis en Val de Marne et Hauts de Seine. C’est-à-dire, et dans l’ordre, les départements où le score des européennes avait été le plus élevé ! Normal : EE reperd ses « gains marginaux » sur le PS, ceux qui étaient le 7 juin 2009 les plus fragiles.

Le cas du Languedoc est à part. Le PS, au dernier moment, a lancé une liste anti-Frêche dans les pattes de la liste écologiste de Jean-Louis Roumégas, et refusé de fusionner sous sa direction pourtant légitime. Comme il y avait aussi une liste FdG, les électeurs de gauche anti-Frêche ne savaient plus quelle serait la liste autour de laquelle se formerait l’alliance de gauche au second tour. Résultat : même si la liste EE distance la liste PS, aucune ne franchit la barre des 10% et Frêche triomphe dès le premier tour. Bravo, le PS. Mais il faut reconnaître que les électeurs écologistes languedociens ont un peu manqué de courage et les électeurs de gauche anti-Frêche de sens tactique…

En Aquitaine, j’ai eu le sentiment que les militants verts ont été plus mobilisés par le rejet d’une militante venue du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, à qui on reprochait essentiellement le nom de son père que par la nécessité de partir très vite en campagne…

Les cas Bretagne et PACA sont plus étranges. Ils ont plusieurs points communs : faibles attaches locales de la tête de liste, crise des Verts dont plusieurs figures locales étaient passées sur d’autres listes. J’ai fait 4 réunions en PACA, dont le meeting de conclusion, et je crois pouvoir dire honnêtement à Laurence et à son équipe : il n’était pas raisonnable de tant miser ainsi sur le culturel au détriment du social, en particulier dans les Bouches du Rhône. Malgré les efforts de Philippe Chesneau, l’économie sociale et solidaire n’a pas été assez mise en valeur, malgré les efforts de Michèle Rubirola, l’action santé-social ne l’a pas été du tout, et je n’ai guère vu l’axe agriculture-alimentation, sauf dans les Hautes-Alpes. Pour la Bretagne, je ne sais pas.

Et puis, hors de l’hexagone, deux tristes cas. La Corse, où Région et Peuples Solidaires a refusé d’offrir aux Verts fut-ce une seule place éligible sur la liste devenue « des autonomistes » . Et la Réunion, seule région où EE ne franchit pas la barre des 5 % ! Aux européennes, une excellente candidate, Ralibah Dubois, avait obtenu 21000 voix et 13%. La logique aurait voulu qu’elle soit reconduite pour profiter à fond de la notoriété ainsi conquise. Et bien non. Ajouter un « débarquement du National » se répandant dans la presse en déclarations opposées à celles des écologistes locaux…

Il faut bien un gros raté pour confirmer la règle : « consolidation à un haut niveau ».




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