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> La coopérative Ouvaton menacée de justice privée (http://lipietz.net/?article1139)
votre référence : Internet, média nouveau, implique des conceptions nouvelles. Toutefois, Internet n’a jamais été hors la loi ; la loi française est assez large pour englober Internet. (art. 1139).par Perline | 18 novembre 2003 La coopérative Ouvaton menacée de justice privée
C’est ainsi que, après quelques déboires et hésitations, le rôle de l’hébergeur de site fut clairement déterminé comme celui d’un kiosquier à journaux : non responsable du contenu mais tenu de respecter les injonctions de la justice qui lui demanderait des informations sur les journaux qu’elle aurait jugés devoir répondre de leurs actes. Un hébergeur de sites est donc tenu de fournir à la justice des informations sur les responsables de sites, si celle-ci le lui demande. Fournir à la justice. Lorsqu’elle le lui demande. C’est ce qu’a toujours fait la coopérative Ouvaton - les hébergeurs hébergés, au nombre de 3500 à ce jour [1]. Structure étonnante, autogestion réelle dans un domaine nouveauLa renaissance du concept d’autogestion gêne. Dans la France de l’après 21 avril 2002, la mise en pratique des théories du Forum social européen représente un danger pour ceux qui veulent enrichir les riches, précariser tous les autres, imposant à tous d’occuper leur temps à trouver de quoi se loger, de quoi se nourrir, de quoi éduquer leurs enfants, de quoi ne pas faire mourir leur parents. Afin de leur éviter de participer à l’agora citoyenne qui renaît. Tentant de faire croire que si les vieux sont mal protégés contre la canicule c’est la faute de leur enfants, que si les enfants sont mal protégés contre la maladie c’est la faute de leurs parents, que si les hôpitaux sont débordés c’est de la faute des 35 heures et que si l’éducation gratuite et laïque ne joue pas son rôle c’est de la faute des RTT. Bref, la responsabilité serait individuelle, alors que s’enferre dans les choix publics et pécuniaires une politique de promotion de l’individualisme le plus égoïste d’écrasement des faibles. C’est dans ce contexte que se prépare le projet de loi sur l’économie numérique (LEN) qui comprend un article transférant la responsabilité judiciaire sur les citoyens. Notez bien que, sans ambiguïté sur l’intitulé - il s’agit bien d’ économie numérique, le gouvernement en profite pour promouvoir les intérêts de l’économie avant ceux de la libre parole. De même que, selon le gouvernement, les milliers de morts de cet été ne seraient pas dus aux diminutions drastiques des aides individuelles et aux établissements spécialisés, qui n’ont pas permis de surveillance, collectivement assumée, de la santé des personnes âgées ; de même, le contrôle de contenu des sites web, autrement dit la simple liberté d’expression, devrait être transféré aux hébergeurs desdits sites, donc soumis à l’arbitraire d’un groupe, d’une entité. Si elle est commerciale, l’entité s’empressera de censurer, de fait, tout ce qui est expression libre, en la refusant, de peur d’être attaquée, et si l’entité est autogérée, elle ne tiendra pas le coup financièrement. Et c’est là que nous sommesFort du sens du vent, et de la certitude qu’il suffit de s’y engouffrer avant son passage, la société Métrobus assigne la coopérative Ouvaton afin qu’elle bloque l’accès à un site hébergé par elle, celui du collectif appelant à des actions anti-publicités dans le métro parisien. Quoi qu’on pense de ces actions, il faut rester dans le cadre strict de notre sujet. Les auteurs la définissent comme une action « non-violente et joyeuse » de « recouvrement d’espace publicitaire » non clandestine. Il faut, disent-ils, « assumer notre démarche » et précisent : « Ne nous attaquons qu’aux publicités, Mais surtout pas aux supports, encadrements, et mobiliers. Attention aux passants, aux risques de dégoulinades, ne nous exposons pas à des poursuites pour dégradations. » Résultat de l’action assumée du 7 novembre : 39 arrestations. On ne peut donc dire que la société attaquante n’ait pas de base de travail pour entamer une action en justice. Malgré cela, c’est l’hébergeur coopératif qui est attaqué, celui qui permet à de très nombreux groupes et individus coopérateurs un hébergement à un coût ridiculement bas, hébergeur attaqué sur le front de la sacro-sainte tant respectée « économie », pragmatiquement, le portefeuille puisque la demande , excusez du peu, se compte en dizaine de milliers euros ! Il y a un mois, c’est R@s qui était mise en demeure de censurer un de ses hébergés, syndicaliste pour « atteinte à l’honneur et à la considération » de deux sociétés ! Coïncidence, Ouvaton, comme R@s, fut parmi les premiers à signer la pétition contre l’article inique de la loi sur l’économie numérique. Des sociétés faisant leur propre justice, c’est cela que la loi nous prépare, si bien que certaines d’entre elles se permettent, non pas de demander à la justice une décision sur un acte dont elles s’estiment victimes, mais de demander à la justice d’entériner leur injonction de se taire. A côté de ça, personne ne semble gêné que des hébergeurs, de gros hébergeurs, de très gros hébergeurs, très commerciaux, affichent sur leur site, et à chaque erreur de connexion, sans aucun moyen de s’en détacher, des images pornographiques… puisque cela ne se passe que tard le soir ! La justice privée est clairement sélective quant au contenu qu’elle juge gênant : l’image dégradante des femmes, oui, la liberté de parole subversive, non.
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NOTES [1] Alain Lipietz est coopérateur d’Ouvaton, où sont hébergées, entre autres, les archives des présidentielles 2002 et des législatives 2002. |
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