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> Croissance, décroissance (http://lipietz.net/?article1753)
par Alain Lipietz | 19 janvier 2006 Alda !, supplément aux n° du 12 et du 19 janvier de Enbata (Bayonne) Croissance, décroissance
Lorsqu’on parle de croissance économique (augmentation de la quantité de richesse produite par une économie), on en vient dans les faits à parler de croissance du PIB (Produit Intérieur Brut). Quelles conséquences palpables, positives et/ou négatives, a la croissance dans notre vie de tous les jours ? Il faut rappeler que le défaut de l’indicateur de la croissance (le PIB) est le fait que quand on l’utilise on ne se pose pas les questions suivantes : – Croissance, certes, mais de quoi ?
Ainsi, on ne peut nier que la croissance a comme conséquences positives la création d’emplois (et donc la diminution du chômage) et l’augmentation du pouvoir d’achat. Toutefois, elle a des effets pervers non négligeables comme la pression sur l’environnement (épuisement des ressources naturelles, production de déchets) et sur l’humain. Les périodes de croissance, 1comme celle que vit la Chine actuellement (9% par an), sont souvent reliées à l’exploitation et à l’épuisement des travailleurs. On constate que malgré les effets pervers ou collatéraux on a plutôt tendance à associer la croissance avec le bien-être, le confort matériel et la prospérité. Pour combattre les effets " collatéraux ", certains recommandent la décroissance. Est-ce la solution 1 ? – Les effets collatéraux négatifs de la croissance peuvent être combat tus sans pour autant faire le choix de la décroissance. Il suffit 1pour cela de changer les priorités. Les polluants atmosphériques (gaz carbonique provoquant l’effet de serre, oxyde de souffre responsable des pluies acides et favorisant l’asthme, etc.) ont de nombreuses sources reliées aux activités humaines consommant des énergies fossiles. A titre d’exemple vous trouvez les voitures, les camions et autres véhicules à moteur, les industries, les productions d’énergie, les maisons, les bureaux et la combustion de matières provenant de l’agriculture ou de la foresterie. On peut décider de limiter la consommation des combustibles fossiles pour faire des économies d’énergie. Cependant cette limitation peut très bien être réalisée via des mesures qui favorisent d’une certaine façon la croissance. Voyez comment les initiatives suivantes créent aussi de la croissance : – Limiter les déplacements physiques en privilégiant les formes de communication via internet,
Il faut donc donner du sens à l’activité économique : est-ce que c’est bon, agréable, préserve-t-elle la nature pour les générations 1futures ? Pour ce faire, deux batailles doivent être menées en parallèle : – La mobilisation des experts : seule une démarche scientifique peut faire le lien entre les bombes aérosol et leurs effets sur la couche d’ozone ; entre les voitures, la pollution et les maladies qui en découlent. L’expertise clarifie les conséquences de tel ou tel produit sur la santé.
Les économistes ne semblent pas prendre en compte les conséquences sur l’environnement qu’ont certains modèles recommandés (la croissance à tout prix, par exemple)... Vous semblez privilégier la prise en compte de l’interaction entre l’être humain et son environnement en défendant l’écologie politique. Pouvez-vous nous décrire en quoi consiste l’écologie politique ? En quoi aide-t-elle les citoyens à mieux analyser les différents modèles de développement ? L’écologie politique prend toujours en compte le rapport entre trois éléments : – L’individu.
C’est une grande différence avec la vision économiste qui considère qu’on produit pour la société, et qu’en échange on bénéficie de services publics ou de marchandises. Ce modèle de développement économique porte en lui-même des dangers que les derniers changements climatiques laissent apparaître de plus en plus clairement : la canicule de juillet 2003 avec ses quelque 15 000 morts et la tempête de 1999, pour ne citer que des exemples concernant la France. Au niveau mondial, on peut parler de la concentration de la population et des automobiles dans les grandes villes qui cause énormément de pollution. Cette pollution semble 1être responsable de l’augmentation de maladies comme l’asthme, le cancer, etc. Encore une fois, on constate que la croissance peut être associée à du progrès (l’utilisation de l’automobile et sa démocratisa tion)... Cela est surtout dû au fait que les économistes ne comptabilisent pas les pertes liées aux effets collatéraux : changements de l’environnment provoqués par la pollution automobile, problèmes causés à la santé publique ! L’écologie politique comme science et art du vivre ensemble au sein de l’espèce humaine et dans son environnement est d’une certaine façon un refus du productivisme, un refus de l’étatisme comme du libéralisme économique. Le modèle de développement choisi doit : – Être soutenable (satisfaire les besoins de la génération présente en commençant par ceux des plus démunis)
Où se prennent les décisions politiques pouvant influencer de façon significative la croissance ou la décroissance ? Au niveau local, l’exemple de l’entrée massive des écologistes au sein des Conseils Régionaux en 1992 a été un cas concret des résultats que peut obtenir la mobilisation sociale quand elle se traduit en politique. Ainsi, c’est à partir de cette date que les études épidémiologiques sur certaines maladies chroniques (l’asthme, le cancer, etc.) ont commencé à recevoir une attention réelle. Les premiers liens entre la pollution et certaines maladies ont pu être établis. Par ce fait, les premières mesures de prévention ont trouvé leur raison d’être (limitation de la circulation automobile, etc.). De nos jours les liens possibles entre la pollution et différentes maladies sont étudiés à l’échelle européenne avec le projet REACH. Ce projet de l’Union Européenne avait à l’origine comme but l’étude 1de 100 000 molécules nouvelles mises en circulation depuis 50 ans. Sous la pression de lobbies, il n’étudiera les risques que de 3 à 7 000 de ces molécules. Malgré les difficultés rencontrées, il est très probable que dans quelques années on pourra identifier les contaminants causant les maladies actuelles ou la baisse de la fertilité masculine par exemple. Principe de précautionDe même, on applique ou essaie d’appliquer dans tous les organes de décision le principe de précaution. L’objectif est d’éviter de faire les mêmes erreurs qu’avec l’amiante il y a 70 ans. Son usage avait été généralisé en pensant que c’était la formule idéale pour isoler et limiter les risques d’incendie... Aucune étude n’avait été effectuée pour savoir quels pouvaient être les dangers de l’amiante sur la santé humaine. La même question se pose sur les OGM depuis le problème de la vache folle ; avec le principe de précaution, il faut vérifier si c’est très utile et non dangereux de rendre comestible une espèce animale ou végétale génétiquement modifiée ! En démocratie, quand certains mouvements sociaux réussissent à faire valoir leur aspiration comme bonne pour toute la société, cette aspiration doit devenir la règle (en général par la loi et par le budget). Il faut se poser la question suivante : à quel niveau est-il pertinent de voter des lois et des budgets ? À l’heure actuelle, on considère que 80 % du travail humain utilisé au cours d’une vie a été produit dans un rayon de 20 km autour de chez soi. La politique locale est donc très importante. Les 20 % restants correspondent aux échanges internationaux (surtout européens). On peut donc considérer que l’espace pertinent pour prendre les décisions influençant ces échanges internationaux est l’Europe. Cette dernière constitue un espace économique autosuffisant qui pourrait et devrait prendre des mesures pour contrôler les effets négatifs de la croissance dans tous ses pays membres. Pour cela il lui faut une structure politique lui permettant de légiférer dans le domaine de la santé et de l’environnement. La pression des différents lobbies sur les responsables politiques ou parlementaires européens limite beaucoup cette capacité à légiférer. Pour illustrer cette situation par un cas concret, on peut prendre l’exemple de l’augmentation de l’emploi par la réduction du temps de travail au niveau européen. Si aucun pays européen ne se dispense d’appliquer la législation européenne en matière de temps de travail (via l‚"opt out ") il est tout a fait envisageable de passer aux 35 heures et de créer la même quantité de marchandise avec plus d’emplois. Ce cadre européen, qui pour l’instant n’a pas encore l’ossature politique nécessaire, devra servir à exiger des autres ensembles économiques (États-Unis, Chine, Inde, etc.), le respect, le renforcement et la multiplication de lois mondiales comme : – Le Protocole de Kyoto : les États-Unis seront bien amenés, à force de recevoir des tempêtes, à signer l’accord !
Ces deux derniers organismes sont plus forts que l’OMC : ils peuvent autoriser l’arrêt de la circulation de marchandise en cas de maladie contagieuse (fièvre aphteuse, p. ex.). Dans un avenir proche, il faudrait mettre des clauses sociales sur le libre-échange avec la Chine, en avisant ce pays que compte tenu de sa richesse il doit payer plus sérieusement les ouvriers pour que l’Europe maintienne les frontières ouvertes. L’objectif est que les grands accords de défense de l’environnement et des droits des travailleurs s’appliquent au-dessus de l’Organisation Mondiale du Commerce. En fait, les mesures légales prises doivent s’appliquer à la grande majorité des marchandises en circulation. D’ici 20 ans il faut pouvoir exiger au niveau mondial des clauses sociales assurant un salaire décent comme une condition minimum de commerce.. . |
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