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par Alain Lipietz | 17 juin 2010

Comment j’ai viré Collectif France Multiculturelle (Ma vie sur Facebook)

Comment j’ai viré Collectif France Multiculturelle (Ma vie sur Facebook)

J’ai pris la décision de ne plus compter le Collectif France Multiculturelle parmi mes « amis Facebook ».

J’utilise Facebook comme une liste très ouverte de discussion. Je ne supporte plus guère les listes de discussions internes de mon parti , les Verts : d’accord sur l’essentiel, on s’y étripe sur des broutilles, sans apport de l’extérieur. Facebook permet de discuter avec « tout le monde » , comme dans la vraie vie. Pour cela il faut se reconnaître mutuellement comme « amis ». J’ai ainsi environ 4500 amis. Beaucoup d’écolos, de socialistes, de la gauche de la gauche, du Modem, quelques humanistes de droite : à peu près l’échantillon normal des gens qui souhaitent discuter avec moi, sur un marché ou dans le métro. Et en plus : beaucoup de correspondants étrangers, ceux qui me connaissent parce qu’ils m’ont lu.

Accepter de s’afficher ouvert à la discussion, c’est, concrètement, accepter que des « amis » qu’on ne connaît pas affichent des choses sur votre mur (textes, photos, vidéos). Au-dessous de ces choses commencent des fils de discussions, les « commentaires ». En réalité, si vous cherchez mon nom sur Facebook, vous trouvez deux adresses et deux murs : ma « page de politicien » », peu fréquentée, et mon « profil » où a lieu l’essentiel du débat.

On s’aperçoit très vite que, comme dans la vie, il existe une éthique de la discussion : ne pas troller en répétant une question hors sujet, répondre aux interrogations précises, et, surtout, quand la discussion porte sur la tragédie du Proche-Orient, un minimum de tolérance et de bonne volonté.

Évidemment l’incident de Gaza était propre à mettre à mal toutes ces conditions. En première semaine il a fallu se garder de ceux qui, juifs, allaient jusqu’à contester la réalité du crime de l’Etat d’Israël, injuriaient les victimes, critiquaient leurs intentions, etc, ce qui m’attira les sympathies du « camp d’en face », où je me doutais bien que se manifesteraient vite les mêmes symptômes, inversés.

Un « Collectif France Multiculturelle » sollicita mon amitié, que j’acceptais de bon coeur, pensant à quelque groupe issu de la « diversité » de nos banlieues, comme on dit aujourd’hui. En première semaine de l’incident de Gaza, CFM se contenta de contributions parfaitement légitimes sur le sort abominable fait aux habitants du ghetto de Gaza. Le CFM a déjà une vaste audience, 5000 « amis FB », dont la radicalité anti-sioniste me paraissait parfois « limite », quand j’allais les lire sur un fil lancé par CFM. Certains s’étaient même fait inviter parmi mes amis sans que j’y prisse garde.

C’est alors que le CFM colla sur mon mur l’interview complaisante d’Ahmadinejad par Mme Ferrari en foulard, sur TF1. Je ne reprocherai pas plus à Mme Ferrari de se mettre un foulard de fonction quand elle interview un dictateur islamiste qu’à Madame Sarkozy de se coiffer d’un chapeau ridicule quand elle visite la Reine d’Angleterre. « Complaisante », l’interview l’était en permettant au sanguinaire dictateur d’assurer qu’en Iran l’opposition manifestait librement… En réalité, l’opposition s’était vue promettre un « bain de sang », si elle maintenait la manifestation du 12. Mais là n’était pas le centre du débat de la semaine. Le clou n’était pas non plus la condamnation par Ahmadinejad du crime d’Etat israélien : d’autres gouvernements de par le monde avaient condamné plus vite, plus fort, et notamment la Turquie (ce qui explique sans doute la surenchère d’Ahmadinejad, sur fond de rivalité turco-persane, voire sunnito-chiite).

Non, le clou, c’était, de la bouche de ce négateur bien connu de la Shoah (voir, pour les références, la notice wikipedia d’Ahmadinejad), l’énoncé de « sa solution » au conflit israélo-palestinien : « Que chacun retourne chez soi… Est-ce que ça existait, il y a 80 ans ? », et tout irait très bien dans la région. Ne cherchez pas : il y a 80 ans, c’était 1930 et le mandat britannique sur la Palestine, qui depuis 12 ans laissait passer un flux d’immigrants juifs pour construire le « foyer national juif », conformément à la Déclaration Balfour.

La proposition d’Ahmadinejad ranimait la flamme pieusement entretenue par les gouvernements israéliens successifs depuis Ben Gourion : « ils veulent rejeter les juifs à la mer ». La notion de « chez eux » est, on le sait, assez douteuse, pour la grande majorité des Israéliens : des enfants ou petits enfants d’immigrants, eux-mêmes souvent sortis des camps d’extermination avec le statut d’apatride, venus de pays qui n’existaient plus (la « patrie » de naissance de mon père – non sioniste - étant par exemple la « Ville libre de Dantzig »), ou qui n’avait pas voulu les défendre. On peut critiquer l’opportunité et la légitimité de créer l’Etat d’Israël par le vote de 1947, ou de donner aujourd’hui à des Russes ou des New-Yorkais plus de droits à l’immigration en Israêl qu’aux Paletiniens expulsés. Mais il existe dorénavant un fait national (et pas seulement « colonial ») israélien. Les Israéliens sont aussi « chez eux » en Israël, et les Palestiniens l’admettent, y compris un radical comme Edward Said qui, au passage, fustigeait les « pro-palestiniens » négateurs de la Shoah.

Bref : une nouvelle saloperie d’Ahmadinejad, pas seulement contre les juifs, mais contre toutes les organisations palestiniennes, qui toutes clament (y compris le Hamas par la bouche Khalded Méchaal depuis le 29 mai dernier, et c’est sans doute le mobile du gouvernement Netanyahou dans l’agression sanglante contre la flottille Free Gaza ) qu’elles sont pour un cessez-le-feu dans les frontières de 1967 (solution des deux Etats). On trouve encore de rares intellectuels (comme E. Said) pour réclamer un seul Etat binational, mais en tout cas sans demander aux Israéliens de « rentrer chez eux ».

Je fus le premier à commenter la video, sur le mur du CFM, pensant rencontrer un large consensus contre le dictateur. Au contraire ! Bondissant comme des lions valeureux sur mon commentaire, le CFM et une partie de ses « amis » prirent vigoureusement la défense du « qu’ils rentrent chez eux », soit sur le mur FB du CFM, soit sur le mien. Vous pouvez y aller voir. Je vis (mais je m’y attendais, et le comprenais) se déverser toute la rage anti-occidentale, macérée parfois en judéophobie, de quelques« amis du CFM », surtout d’origine maghrébine Les Palestiniens se tinrent .à distance de l’algarade, comme les Turcs ou les Iraniens. J’eus droit, bien sûr, à toutes les insultes antisémites. On me reprocha jusqu’au procès de mon père contre l’Etat français pour sa participation à sa déportation, on m’appela « M. Liepitz-3points » (je découvris à cette occasion qu’un certain antisionisme mimait totalement le pétainisme). Je maintenais pourtant le cap : l’ennemi des Palestiniens, en l’occurrence, c’est Ahmadinejad.

Le combat s’essoufla après quelques revirements. Mais le plus grave fut la persistance dans l’erreur de CFM. Après m’avoir accusé d’être un « ami des dictateurs égyptiens et saoudiens » (pourquoi ceux –là en particulier ? je ne le sus jamais), le CFM entra dans une argumentation de plus en plus ahurissante, sur deux points fondamentaux.

1. Approbation ou non de la doctrine Ahmadinejad.

Le CFM adopta un double langage. Sur mon mur : « Un seul état laïque, multiculturel avec une égalité des droits pour tous ses citoyens, pas d’étoile de David sur le drapeau ni de croissant. Quant au nom ISRAEL, il faudrait le rendre au prophète à qui il appartient. Aujourd’hui on ne peut plus parler de 2 états compte tenu de la colonisation de la Cisjordanie. Israël a tout fait pour tuer la solution que vous préconisez »

Autrement dit : la doctrine des révolutionnaires des deux camps (FDPLP et Matzpen), en 1970, mais recyclée pour tenir compte de l’implantation, des colons en Cisjordanie, semble-t-il tenue pour irréversible, . On mesure le réalisme : comme on ne peut pas expulser les Loubavitch d’Hébron, on va leur demander de gentiment devenir laïques et d’accepter une République où ceux dont ils ont rasé les maisons et les oliveraies seront majoritaires… tout en leur jurant qu’il n’y aura jamais de pogrome et en faisant référence à Ahmadinejad qui leur assurera qu’il n’y a d’ailleurs jamais eu de Shoah..

Mais sur son mur, et par message de confirmation, le CFM adoptait devant ses amis la doctrine Ahmadinejad : « Je vous ai répondu clairement et je vous le répète, les colons exportés d’Europe de l’Est et des USA n’ont pas leur place dans cet endroit du monde, ces colons sont venus s’établir par les armes, par la force. Ils ont chassé le peuple autochtone pour prendre sa place, cela est inadmissible et injustifiable.
Seuls les juifs palestiniens ainsi que tous ceux acceptés par le peuple palestinien dans son ensemble ont leur place dans cette région, les autres sont des squatteurs qui se maintiennent par la force des armes. »

2. Quand un immigrant est-il « chez lui » ?

Un argument du CFM me mit la puce à l’oreille : « seul les juifs palestiniens ont leur place sur cette terre tout comme les musulmans et les chrétiens qui ont toujours vécu en Palestine ». Cette idée du « toujours » pose évidemment problème pour les défenseurs des droits des immigrés. Ma famille étant elle-même assez « seconde génération », je posai la question qui me tennait personnellement à cueur « Et les Français d’origine polonaise ou maghrébine ? »

La réponse du Collectif France Multiculturelle tomba comme un arrêté de reconduction à la frontière : « Ces gens possèdent déjà une patrie, une citoyenneté, un passeport, des biens et une famille ailleurs. » Ou encore : "L’immigrant doit se présenter aux autorités en charge de l’immigration avec une pelle et une pioche dans la majorité des cas. L’autorité en charge de l’immigration lui délivre un titre de séjour, ensuite libre à lui de demander selon les règles de nationalité en vigueur dans le pays sa naturalisation."

Cette image de la pelle et de la pioche nous revoyait immédiatement à la première question : mais alors les sionistes entrés légalement pendant la période du mandat britannique ??? Et bien oui, selon CFM, eux sont des immigrants légaux ! Retour à Ahmadinjad : tout était bien il y a 80 ans

Arrêtons. Vous pouvez lire, encore une fois. Manquait la cerise sur le gâteau.Comme, pour la centième fois, je faisais observer que la position d’Ahmadinejad percutait de plein fouet la position des organisations palestiniennes, le CFM abattit une ultime carte : « c’est la position du parti Balad » (aujourd’hui le principal parti palestinien à la Knesseth).. Il suffit de lire le site de ce parti pour constater le mensonge à la Pinocchio du de CFM. Lassé, j’ai cessé de le compter parmi mes amis… ce qui ne l’empêche nullemnt d’émettre, mais sur son mur. Mon mur à moi n’est pas fait pour afficher la défense d’une conception à la Besson de l’identité nationale et de l’immigration, ni pour tresser des couronnes aux dictateurs négationnistes.

Ce qui n’empêche pas de discuter de problèmes complexes et parfois douloureux, tels que « l’arabité de la Palestine », le caractère colonial (ou décolonisateur ) du vote de l’ONU créant les deux Etats en 1947, la légitimité du sionisme à cette date, etc. Débats beaucoup pus dispersés sur Facebook que sur un site. Je tacherais d’ordonner un synthèse de ma position dans ces débats.




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