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par Alain Lipietz | 26 janvier 2017

Affaire Pénélope Fillon : ne nous trompons pas de sujet !
Lors du dernier débat des primaires socialistes, les journalistes ont attaqué les deux finalistes sur la question Pénélope Fillon : « Êtes vous pour l’interdiction de prendre pour assistant parlementaire un membre de sa famille ? » Embarras des deux candidats, mais complet contre-sens des journalistes. La question Pénélope est celle des emplois fictifs.

Selon Le Canard enchainé du 25 janvier , Pénélope Fillon aurait été salariée comme assistante parlementaire de son mari ou de son successeur Marc Joulaud, lequel la payait jusqu’à 7900 euros par mois, sans avoir jamais travaillé comme telle, et se vantait jusqu’à ce que l’affaire éclate de ne pas s’occuper des affaires politiques de son mari. Elle aurait également été salariée de la Revue des Deux Mondes pour 5000 euros brut par mois, sans n’avoir jamais produit que deux petites notes de lecture et sans que le directeur soit au courant de son embauche : un des cadeaux du propriétaire, Ladreit de Lacharrière, au ménage Fillon. Elle aurait touché au total 600 000 euros bruts

Jamais Le Canard n’accuse Pénélope Fillon d’avoir été la maitresse de M. Ladreit de Lacharrière ou de M. Joulaud, voyons !! La « complicité affective » n’a rien à voir avec le sujet. La seule question posée, la matière du scandale, est celle de l’emploi fictif : recel de détournement de fonds publics dans le premier cas, abus de biens sociaux dans le second.

Mais comme l’erreur des journalistes ne va pas manquer de se reproduire, démagogie aidant, abordons franchement le sujet.

 Travailler avec son conjoint (ou enfants, ou neveux…) ?

Rappelons d’abord cette vérité première : la quasi totalité des épouses des paysans, commerçants ou artisans travaillent avec leurs conjoint, comme salariées ou gratuitement comme « aides familiaux ». Et un très grand nombre de petits patrons salarient leurs enfants, leur réservant même la place de futur patron (on appelle ça « la transmission du patrimoine professionnel »). Et le plus souvent, ils les font bosser dur...

Vous me direz que c’est bien naturel que de bosser avec sa famille dans une petite entreprise familiale. Tout aussi naturel est le fait de nouer des relations affectives « officielles » ou cachées avec un(e) collègue. Dans le centre de recherche où j’ai passé l’essentiel de ma carrière, 10 % des chercheurs (à ce que j’ai pu remarquer…) ont vécu en couple avec leur secrétaire ou une collègue. Et encore plus dans le « travail politique ». Personnellement, je n’ai jamais milité qu’en couple. Je ne sais pas si ça crée plus de tension que quand l’un milite et l’autre pas...

Dans le cas des liens de subordination salariale exigeant la loyauté et la discrétion absolue, ce qui est le cas dans le rapport élu(e) / assistant(e) : l’assistant(e) est la main et une partie du cerveau de l’élu(e), le choix d’un(e) proche est une solution souvent envisagée. Encore une fois la question est celle du travail accompli, si le proche est salarié. Rien d’autre.

Le Parlement européen a, après mon départ, passé un règlement restrictif. Je ne suis pas d’accord sur le principe. La décision a sans doute été prise dans le cadre de la lutte contre bien d’autres indélicatesses de certain-e-s député-e-s : mésusage des autres dotations, tricherie sur les remboursement de transport, etc. Le Parlement a fait tomber Edith Cresson sur une question de cet ordre, il lui faut être intransigeant envers lui-même. Si le recrutement d’un proche est réprouvé, c’est en fait qu’il masque trop souvent un emploi fictif au seul bénéfice du ménage – ce qui serait le cas des Fillon, selon le Canard. Même un protestant suédois ne désapprouverait pas la collaboration de Jacques Delors et de Martine Aubry.

Pour un-e « politique », travailler avec sa ou son conjoint (ou autres membre de sa famille) présente comme je l’ai dit un certain nombre d’avantages, en premier lieu la confiance et la solidarité dans les épreuves, mais aussi la « covivance ». Un élu a peu de temps pour sa vie privée, il a tendance à ne parler que de son boulot d’élu tout en cherchant des « fenêtres » vers d’autres centres d’intérêt, et si son conjoint travaille avec lui au quotidien, tant mieux (petits problèmes quand ils ne sont pas de la même tendance politique…) Le/la salarier explicitement est, comme pour la paysanne, une mesure de justice : beaucoup trop de conjointes assument bénévolement un travail d’assistante !

Après le décès de ma compagne Francine Comte, qui m’a beaucoup assisté bénévolement et a donc servi le travail de notre groupe parlementaire au point que la présidente (italienne) du groupe, Monica Frassoni, est venue prononcer son éloge lors de son enterrement, j’ai vécu en couple avec une de mes assistantes, Natalie Gandais, celle que j’ai épousé plus tard… alors que j’étais de fait devenu son assistant bénévole pour une partie de son travail politique comme première adjointe à Villejuif.

La question, la seule, est encore une fois celle du travail effectif. Celui de Natalie Gandais, bien avant que nous ne vivions ensemble, se lit sur mon énorme blog qu’elle mettait en forme sur la base de dictées que je lui envoyais par internet (elle était alors maire adjointe à Rochefort), sur les conférences qu’elle organisait et où d’ailleurs elle apparait parfois, sur les notes qu’elle rédigeait pour mon éducation en biologie et agronomie (d’ailleurs toutes mes assistantes, docteures ou doctorantes, m’ont enseigné ce qu’elles savaient par leur qualification propre). Ainsi, sa note Du soja et de quelques autres plantes « agro-industrielles » a été visité 42 640 fois et je peux dire qu’elle a véritablement inspiré et conduit, avec notre collaborateur « agriculture » Hannes Lorenzen, la bataille des Verts contre le doublement obligatoire du taux d’agro-carburants dans le carburant des automobiles.

Question subsidiaire : le salaire. Celui de Pénélope Fillon, absorbant jusqu’à 90% de la dotation parlementaire de son mari puis de son suppléant, est ahurissant, par rapport au salaire moyen des assistants parlementaires. Natalie Gandais, à mi-temps, était payée environ 1500 euros net, la moitié de mon assistante principale (celle qui était en permanence à Bruxelles, comme la « fée Perline » (non membre des Verts) qui assurait la maintenance du présent site et quelques tache parisiennes. Sur la dotation « assistant », il me restait quelques sous pour les stagiaires et taches de liaison avec mon parti, ce dont il faut maintenant parler.

 Salarier pour son parti ?

Avec raison , certains politiques et journalistes ont fait le rapprochement avec les procès pour emplois fictifs faits au RPR chiraquien jadis, au Front National aujourd’hui. Attention, ce n’est pas le même type d’emploi fictif que dans le cas de Mme Fillon. Il s’agit cette fois de l’accusation : « Les dotations parlementaires pour la rémunération des assistants sont destinées à assister le travail parlementaire, pas le fonctionnement du parti politique ».

L’emploi est cette fois dit « fictif » non parce qu’il est inexistant, mais parce que qu’il n’est pas fait pour ce pour quoi le salaire est versé. Je dirais pourquoi la critique est juste s’agissant du FN, mais il faut là encore relativiser.

Un élu fait son travail législatif pour toute la collectivité concernée : la France pour les députés nationaux, les demi-milliard d’Européens pour les eurodéputés. Certes. N’empêche qu’il est élu quelque part, dans une « circonscription ». Il doit s’informer auprès de cette circonscription, rendre compte à ses électeurs… et si possible s’y faire réélire. Il n’a été élu d’ailleurs que grâce au travail bénévole des militant-e-s de son parti, mais aussi des quelques permanents de son parti. C’est pourquoi il est admis qu’existent des assistants « en circonscription », et d’ailleurs le Parlement européen a des bureaux à Paris, avec des salles pour le travail de ces assistants.

Quand le parti est très pauvre, comme ce fut longtemps le cas des Verts, qui refusent même les dons légaux des entreprises, le travail du parti est entièrement le fait de bénévoles, « en dehors de heures heures de travail », ce qui est intenable dès que le parti se développe. Il faut bientôt financer des locaux et quelques permanents, avec pour tout financement les cotisations et les (lourds) reversements de leurs rares élus, qui en France ne peuvent l’avoir été que dans les élections à la proportionnelle, c’est à dire les régionales et les européennes. Et les militants bénévoles du parti, qui ont mouillé leurs chemises pour faire élire leurs copains, trouvent normal de « taxer leurs élus » sur leurs émoluments, mais aussi sur leur dotations de communisation et pour les assistants « de circonscription ». À qui on demande de travailler en circonscription (donc, pour les eurodéputés : en France) pour « y faire avancer les idées qui ont fait élire les députés »… et donc aussi pour le parti.

Je ne cache pas que ce fut le cas pour le jeune parti Vert jusque dans les années 90 : la part institutionnelle et médiatique de son travail était exclusivement régionale ou européenne, ses dirigeants (Waechter, Cochet, Voynet…) étant ou ayant été députés européens… et par ailleurs les plus « pro-européens » des élus français.

Ce n’est qu’à partir de la législative 1997 et de la mandature européenne 1999-2004 que nous avons commencé à être assez riches pour distinguer, progressivement, les deux types de travail : « en général pour l’écologie » et « en particulier au niveau européen ». Nous avons donc pu retirer la part de nos assistants qui faisaient leur travail d’écologiste au sein du parti en France, sans que l’on sache exactement ce qu’ils y faisaient (un peu ? beaucoup pour l’Europe ?), et les loger dans une structure ad hoc baptisée Sinople, qui avait pour unique vocation de populariser ce que nous faisions à l’Europe.

Mais bien entendu les Notes de Sinople servaient aussi à la formation générale des militants du parti ! Les jeunes salariés de Sinople, qualifiés au départ et se qualifiant dans leur travail, ont d’ailleurs souvent poursuivi une belle carrière dans le privé ou l’associatif lié à l’environnement.

De plus il y a toujours des « chevauchements ». J’ai consacré ce qui me restait de ma dotation « assistants » pour les stagiaires et pour m’assister dans des travaux ponctuels tels que le rapport fondateur sur l’économie sociale et solidaire, qui a une dimension européenne (et pour lequel Martine Aubry ne m’offrait aucun budget) ou lorsque j’étais membre du conseil du Parti Vert Européen. Dira-t-on que j’ai utilisé des fonds européens pour subventionner le gouvernement français, ou que j’ai financé le parti français à travers le parti européen ?

Après 2009 l’étanchéité est totale entre salariés du parti et salariés des eurodéputés, lesquels ont vu augmenter considérablement leurs responsabilités et ne peuvent pas financer un « staff » à la mesure de leur travail.

Car ne l’oublions jamais : les principales rémunérations fictives ne sont pas celles des assistants, mais des élus eux-mêmes lorsqu’ils cumulent et de ce fait ne font pas le travail d’élu pour lequel ils sont payés à l’Europe, et dont mon blog donne une idée de l’intensité (cliquez sur mes archives au hasard entre 1999 et 2009). Combien d’eurodéputés ne viennent au Parlement que pour les quelques jours par mois où « on vote » (et ces jours sont en plus indemnisés !), sans jamais participer au travail de commission, ni aux épuisantes délégations hors d’Europe, ni aux réunions de leur groupe parlementaire ? Ils pourraient tout aussi bien envoyer par mail la feuille de vote dictée par leur groupe !

Et c’est là que le cas du FN est scandaleux. Ce parti est contre l’Union européenne, n’y travaille pas, théorise son inutilité (à l’exception de quelques personnalités respectables comme J.C. Martinez, qui « bossait », et je dois dire plutôt bien). Il a pléthore d’élus et de cotisants, il est riche depuis longtemps. Et pourtant il accepte les honoraires de ses eurodéputés et fait travailler ses assistants en interne… contre l’existence du Parlement européen !




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