mercredi 24 avril 2024

















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par Alain Lipietz | 1er janvier 1998

La Tribune des Verts, n°2
Une pratique politique de transformation sociale
Nos sympathisants nous le confirment : les Verts tirent remarquablement leur épingle du jeu. Dominique Voynet s’est affirmée comme l’une des personnalités majeures du gouvernement, notre poignée de députés fait autant de bruit que tous les élus PS réunis, nos militants sont au cœur des mouvements sociaux et environnementaux qui agitent la société française, le nombre de nos adhérents a presque doublé.

Notre électorat se réjouit de notre présence au gouvernement tout en approuvant les mouvements auxquels nous participons, qui contestent ce gouvernement. Et cette dualité est considérée, même de l’extérieur, comme les deux facettes d’une même ligne. Quel est donc notre secret ? Comment faire encore mieux ?

La base de tout, c’est l’autonomie de l’écologie politique. Après dix ans d’indépendance farouche, nous avons su passer de la simple "non-dépendance" à l’autonomie véritable. Nous avons su élaborer un projet pour la société, et nous tourner vers l’extérieur pour le faire reconnaître, accepter, parfois partager par d’autres. L’accord Verts-PS, qui inspire ce qu’il y a de plus novateur dans la pratique gouvernementale, est à 90% issu de l’élaboration propre des Verts au long des 10 années noires où le PS perdait son âme dans la compromission avec le libéral-productivisme.

Sur cette base, nous pouvons aujourd’hui, et chaque fois qu’il le faut, entrer en conflit avec le gouvernement en ayant le bon droit de notre côté, obtenant ainsi des avancées même très partielles (reconnaissance des comités de chômeurs, débat ouvert sur la politique nucléaire). Cette légitimité repose sur deux piliers. Pas seulement la légitimité "notariale" que raille Lionel Jospin, la fidélité aux engagements pris devant les électeurs. Ça compte : nous apparaissons comme ceux qui se battent toujours pour ce qu’ils ont dit. Mais cela n’aurait guère de poids sans une légitimité plus profonde : nos divergences avec la politique gouvernementale se révèlent chaque fois plus en phase avec les aspirations du "peuple progressiste".

Et cette légitimité-là, nous en avons bougrement besoin. Car il faut se rendre à l’évidence : ce que le PS a accepté, ce que le premier ministre concède à notre apport, ne correspond guère à un partage des valeurs pour lesquelles nous nous battons. Chaque succès de Dominique, chaque promesse tenue (même les 35 heures) n’apparaît que comme une concession à la composante politique et sociale que nous représentons, concession équilibrée par des concessions en sens contraire aux lobbies libéraux ou productivistes. Le maïs transgénique contre le colza transgénique, les pistes de Roissy contre le canal Rhin-Rhône, etc. Un marchandage avec les Verts, et non la satisfaction d’une urgence sociale, des droits de la vie et des générations futures. Ainsi, le premier ministre peut se donner l’image d’un "garant de l’équilibre". équilibre entre quoi et quoi ? Entre la vie et la destruction ? Entre l’égoïsme et la solidarité ? Entre le monde des affaires et la justice sociale ?

Après tout, si le PS veut nous accorder le monopole du ministère de l’avenir et de la générosité, tant mieux pour nous. Sauf que nous ne nous battons pas pour notre boutique, pour "récupérer les mécontents", mais pour faire vraiment bouger les choses, transformer les politiques publiques, mettre le plus de gens dans le coup. Parce qu’il y a urgence. Urgence d’affirmer le droit à la santé, face aux crimes des lobbies de l’amiante, du gazole, du nucléaire et aux apprentis sorciers du transgénique. Urgence de sauver la planète face aux crises écologiques globales. Urgence de recoudre une société déchirée par le racisme, le chômage et l’exclusion. Urgence de relégitimer une vie politique discréditée par le machisme, le cumul des mandats. Urgence de construire une Europe digne d’être aimée. Face à un partenaire dominant (le PS) pour qui ces exigences ne sont que pressions à équilibrer par d’autres (la croissance, la compétitivité... ), nous avons besoin d’alliés.

Parmi ces alliés possibles, les déconvenues du PCF éclairent les raisons de nos quelques succès. Privé de ligne propre et d’ambition positive, le PCF (ou plutôt ses multiples tendances) est souvent à nos côtés dans les luttes, avec des capacités supérieures aux nôtres. Mais il apparaît alors comme une machine à instrumentaliser les pressions sociales pour renforcer son propre poids dans les institutions, jusqu’à compromettre le succès possible des mouvements sociaux les plus légitimes (comme celui des chômeurs). Toute autre apparaît par contraste l’attitude des Verts. Nos militants sont dans les luttes, au service des mouvements. Notre ministre tend l’oreille et les mains à ces mouvements. Nos députés transcrivent ces appels de la société en amendements législatifs. Ainsi s’expérimente peu à peu une pratique politique de la transformation sociale, dans les institutions et hors des institutions.

Dans les institutions, certes. Nous y avons plus gagné pour l’écologie en 6 mois, qu’en 13 ans de luttes "de terrain". Seul un arbitrage scandaleux du premier ministre (du niveau "guerre du Golfe" par exemple), ou un refus devenu systématique de toutes nos propositions, justifierait, du point de vue de la lutte pour un développement soutenable et solidaire, notre départ du gouvernement. Il apparaîtrait aujourd’hui comme une simple désertion. Et chaque jour qui passe nous fait mesurer la sagesse du choix de La Rochelle : faire élire des députés, même en petit nombre, pour porter le combat au c ?ur du législatif.

Mais rien de cela n’aurait de sens (et rien de cela ne se serait d’ailleurs produit) sans ces treize années de patient, humble et tenace militantisme "au fond du trou", sans la mobilisation, l’action continuée sur le terrain. Combien de milliers de réunions sur les 35 heures et la sortie du nucléaire, pour obtenir ces premiers pas de politique gouvernementale ? Combien de milliers d’autres en faudra-t-il pour les concrétiser et aller plus loin ? On ne peut, dans les institutions, que moissonner les semailles du militantisme anonyme : cette certitude nous donne, au gouvernement comme à l’Assemblée, la liberté de parole de ceux qui savent qu’ils perdraient tout en perdant leur liberté d’action. Nous ne donnons prise à aucun chantage concernant les "postes" à conquérir ou à conserver, parce que nous savons qu’à l’échelle de l’Histoire la société ne se transforme vraiment qu’en ses fondements, dans les pratiques sociales.

Rester autonomes, faire ce qu’exige le combat pour la vie, et le reste (la présence dans les institutions) nous sera donné par surcroît, pour être encore plus efficaces. C’est la maxime qui nous a guidés dans la bataille pour la constitution de "listes plurielles" aux régionales. Pour développer au niveau local une politique de développement soutenable, il faut conquérir le maximum de Conseils régionaux. Or le double mécanisme du seuil d’éligibilité et du partage des restes à la plus forte moyenne est implacable : dans la plupart des départements, pour participer, pour gagner, il faut se présenter unis. Si la direction nationale du PS l’a compris, nous nous sommes fréquemment heurtés à l’hégémonisme de barons "de gauche" qui préféraient perdre une région plutôt que faire de la place aux Verts. Mais nous avons su montrer que nous étions capables de "partir seuls" plutôt que de nous contenter de miettes, nous avons soutenu les listes autonomes du Nord-Pas de Calais, de Normandie, et nos partenaires ont souvent dû accepter une place plus représentative de notre influence culturelle réelle.

Aujourd’hui nous allons aux élections tantôt en position décente dans des listes plurielles, tantôt en listes autonomes. La victoire des unes est aussi importante que la victoire des autres, pour affirmer demain, dans le plus grand nombre possible de régions gouvernées par la majorité plurielle, l’autonomie contractuelle de l’écologie politique.




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