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par Alain Lipietz | 24 avril 2014

Ukraine / Sudètes
Dans la série des similitudes entre la crise des années 1930 et celle des année 2010, j’explorais il y a peu la comparaison entre les guerres civiles espagnoles et syriennes. La crise ukrainienne serait-elle notre crise des Sudètes ? Et à qui la faute ?

Dans la série des similitudes entre la crise des années 1930 et celle des année 2010, j’explorais il y a peu la comparaison entre les guerres civiles espagnoles et syriennes. La crise ukrainienne serait-elle notre crise des Sudètes ? Et à qui la faute ?

En 1938, Hitler exige que la Tchécoslovaquie lui livre les Sudètes, pourtour montagneux de la Bohême, incontestablement peuplée de germanophones encadrés par la propagande nazie locale. La Conférence de Munich les lui accorde. Peu après, Hitler suscite la sécession de la Slovaquie et envahit la Tchéquie.

En novembre dernier, le président Ianoukovitch rompt les négociations d’accord avec l’Union européenne. Percevant cette rupture inattendue comme un manœuvre prorusse qui éloigne leur pays des normes démocratiques occidentales, les Ukrainiens de l’Ouest manifestent : c’est l’Euromaïdan, rassemblant démocrates pro-européens et nationalistes ukrainiens. Suite à un massacre, le président s’enfuit ; il est destitué par le parlement. Poutine, s’appuyant sur des milices pro-russes, annexe la Crimée avec l’appui d’un referendum local presqu’unanime. Le même scénario se profile sur l’est du pays. La conférence de Genève du 17 avril entérine de fait l’annexion de la Crimée et encadre mollement les risques de partition de l’Ukraine. Genève = Munich ?

Il y a bien des points communs. Les deux crises superposent trois facteurs :
la question nationale,
une option politique pour des normes plus ou moins démocratiques,
et l’intervention extérieure d’un régime autoritaire.

La Tchécoslovaquie était un espace politique artificiel, issu du congres de Saint-Germain ; l’Ukraine est issue de l’explosion de l’URSS avec des frontières définies par le redécoupage des Républiques soviétiques sous Khrouchtchev. La Crimée n’a jamais été ukrainienne, elle est russe depuis sa conquête par les Tsars et l’épuration ethnique des précédents habitants, les Tatars, par Staline. L’Ukraine du nord-ouest hérite d’une longue participation à l’espace centre européen dominé par la Pologne-Lituanie. C’est aussi le berceau de la langue et de la culture Yiddish, fusion des juifs du Palatinat, invités par les rois de Lituanie à administrer leurs conquêtes, et des descendants turcophones des Khazars convertis au judaïsme.

À s’en tenir au principe naïf des nationalités, le dépeçage qui se profile fait sens, comme l’éclatement de la Yougoslavie, puis de la Bosnie. Sauf que voilà.

D’abord il matérialise l’ambition impériale d’un puissant voisin, qui lui même cherche à reconstruire son estime de soi sur la base d’un nationalisme belliqueux. En ce sens, Poutine fait plus penser à Milosevic qu’à Hitler : mais ce n’est guère plus rassurant. L’étape suivant le dépeçage de l’Ukraine serait alors l’ouverture d’un corridor vers Kaliningrad à travers la Litanie : on en sera à 1939 et à la crise de Dantzig.

Surtout, ce dépeçage irait contre la volonté d’une grande majorité du peuple, même à l’Est, de maintenir l’unité de l’Ukraine, avec une fenêtre ouverte sur l’Europe centrale et occidentale, sa culture et ses normes démocratiques, qui se fermerait en repassant dans l’espace de la Russie poutinienne. Cette résistance oppose un fondement « civique » de la nation (un choix de vivre ensemble selon certains principes de civilisation ) à la tentation d’une définition « ethnique » (en réalité linguistique, bien que l’on observe déjà une scission entre les patriarcat orthodoxes.)

A qui la faute ? On serait tenté de répondre mécaniquement : « à l’Europe qui n’a pas su tendre la main aux Ukrainiens, jusqu’à Donets. » Vue la façon dont l’Europe accueille déjà les Roumains et les plombiers polonais, faut pas rêver. En réalité, et par delà l’arbitraire des découpages internes à l’URSS sous Staline et Khrouchtchev, c’est un siècle de soviétisme (oligarques compris) qui pèse encore sur l’esprit des Ukrainiens. On ne sait pas encore, ou on ne sait plus y « faire société ». Nous ne pouvons pas faire semblant d’ignorer la tragédie du communisme « réellement existant » au XXe siècle : sans un tel dévoiement, on en serait à la République fédérative universelle !

Car une solution fédérale n’est en effet souhaitable, lorsqu’elle exprime une nation civique régionalement différenciée. Elle n’est dangereuse que si elle préfigure une partition ethnique. Mais l’expérience belge montre que l’équilibre est instable…




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