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par Alain Lipietz | 1er mars 1999

Regards n°44
Sortir du couple État-marché
Mère de la Révolution " bourgeoise " de 1789, la France vit depuis ce temps une vie hémiplégique. Officiellement, entre les citoyens-individus, il n’y a que deux liens sociaux possibles (hors la famille) : le rapport à l’État et le rapport au Marché.

Il faut dire que la Révolution avait frappé fort : sous prétexte de dissoudre les corporations féodales, la loi Le Chapelier avait proscrit toutes les formes d’association. Il faudra le XIXe siècle et la moitié du XXe sièclt nouer des alliances fructueuses pour le XXIe siècle.

La reconnaissance des syndicats, des coopératives, des mutuelles, initiatives collectives des prolétaires et des citoyens atomisés, date de la fin du XIXe siècle ; les associations laïques (en concurrence depuis un siècle avec les congrégations religieuses) sont reconnues par la loi de 1901. Mais la " vraie vie économique " n’est reconnue qu’à la propriété privée, c’est-à-dire à la petite bourgeoisie paysanne, commerciale et artisanale, et à l’entreprise.

Ce n’est qu’après 1945 que le collectif prend sa revanche. Mais ce ne sont ni les mutuelles, ni les coopératives, ni les associations qui triomphent, et la section syndicale d’entreprise n’est reconnue qu’en 1968. En France, le collectif, c’est l’État. C’est lui qui s’empare du rôle prométhéen de la grande entreprise, c’est lui qui impose un rythme à la négociation collective, c’est lui qui très vite prend en tutelle la Sécurité Sociale.

Il est alors puissamment aidé par le mouvement ouvrier. Celui-ci, tout au long du XIXe siècle, avait refusé le salariat et l’État. La CGT porte encore à son blason " l’abolition du salariat ". Mais le mouvement coopératif ne connaît qu’un développement limité, malgré la force de l’anarcho-syndicalisme. En 1931, l’Internationale Syndicale Rouge (stalinienne) impose sa ligne à la CGT française, écartant la tradition libertaire. Jusqu’à la guerre pourtant, le PCF et la CGT restent hostiles aux nationalisations et à la planification, par méfiance de l’État bourgeois. En 1945, le tournant est pris : le mouvement ouvrier devient étatiste, et renonce pour des décennies à ses traditions autogestionnaires.

Quand le prestige de l’État s’effondre, avec la crise, dans les années 80, le mouvement ouvrier se barricade dans une défense acharnée du " capitalisme monopoliste d’État ", y compris de ses pires caricatures : le culte du tout-nucléaire, du tout-TGV, ou le couple Air-France ? Aéroport de Paris qui martyrise l’Île-de-France. Tout cela au nom de la lutte contre le marché qui reprend du poil de la bête sous le nom de libéralisme économique. Non content d’avoir accepté le salariat et l’État, le mouvement ouvrier semble avoir érigé le salariat d’État en norme idéale !

Cette spécificité française active d’étranges distorsions. Lorsque Daniel Cohn-Bendit, l’animateur de mai 68, expulsé par Raymond Marcellin comme un jeune immigré ordinaire vers un pays où il n’a jamais vécu, revient en France trente ans plus tard, il se désigne comme " libéral-libertaire ", trahissant son éloignement de la culture politique française. Pour lui, l’aspect " individu " face à l’État est capté par le mot " libertaire ", et le " libéralisme " signifie, contrairement à l’usage que nous en faisons : " le libre affrontement de groupes sociaux, régulé par des institutions ". C’est-à-dire l’aspect collectif, mais un collectif non étatique ! Dans le reste de l’Europe, c’est bien le sens du mot (chez les anglo-saxons, " libéral " veut dire simplement : de gauche). Mais, en France, des " libres associations d’individus " ça ne compte pas ?

La France n’échappera au couple infernal " État / Marché ", " Technocratie / libéralisme économique " qu’en renouant avec ses combats anciens pour la libre association des individus, par la base. En redécouvrant le mouvement mutualiste, associatif, coopératif. En renouant, dans le syndicalisme, avec la tradition des Bourses du Travail qui apportent aux petites entreprises le soutien des syndicalistes des grandes entreprises. En développant un " Tiers Secteur " de service au public, autogéré, contrôlé par les usagers, subventionné, mais qui ne se réduise pas au Secteur et à la Fonction Publique, avec ses aristocraties ouvrières barricadées dans des " États dans l’État ", sourdes aux besoins sociaux.




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