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par Alain Lipietz | 1er août 1999

Proposé au Monde, non publié
Réduction du temps de travail : dangers !
Les socialistes semblent vouloir " punir " l’électorat de la majorité plurielle d’avoir trop voté Vert. Au-delà du non-remaniement ministériel, compréhensible s’il s’agit de calmer un Parti Communiste en crise, ce sont des pans entiers de l’accord fondateur, ratifié en 1997 par les deux partis et approuvé par les électeurs, qui semblent remis en cause : gel du nucléaire, correction proportionnelle aux élections, etc.

Ces menaces sont graves, dans leur principe même. L’électeur est encore une fois conduit à penser : " On peut toujours voter ce qu’on veut, les politiciens n’en tiennent aucun compte, ils ne se sentent tenus par aucun engagement, ils ne nous écoutent pas. " Une telle attitude érode le sens civique, fait le lit de l’abstention.

Mais, par leur contenu, les arbitrages qui se profilent risquent d’être particulièrement catastrophiques sur un point : la réduction du temps de travail. Rappelons les engagements de 1997  : " Elle sera mise en ?uvre tout de suite, par une loi-cadre sur les 35 heures sans diminution de salaire, et s’ouvriront des négociations sur les 32 heures aboutissant dans le cadre de la législature. " Mais, la " seconde loi ", mise en débat cet automne, en remet en question les deux points clés (les délais, et la rémunération).

De loin, la question des délais est la plus grave, car elle ne touche pas spécifiquement les Verts, mais toute la majorité plurielle, et, au delà, les millions d’hommes et de femmes qui se désespèrent depuis des années dans le chômage et la précarité. Pourtant, Madame Aubry le souligne avec raison, la réduction du temps de travail, facultative jusqu’à l’an 2000, produit déjà des effets spectaculaires. On peut chipoter son bilan, mais une statistique ne trompe pas : dorénavant, la France connaît la croissance la plus " riche en emploi " d’Europe. L’emploi y croît au même rythme que la production, comme si tous les gains de productivité étaient transformés en temps libéré. Mais, pour faire reculer vraiment le chômage, il faut une baisse générale (donc obligatoire) à 35 heures, débouchant quelques années plus tard sur les 32 heures.

Or la " deuxième loi ", par une série d’articles diminuant le coût des heures supplémentaires, rend pratiquement le passage aux 35 heures facultatif, jusqu’en 2002 pour les entreprises de plus de 20 salariés, en 2004 pour les autres.

Certes, il convient de laisser aux partenaires sociaux le temps de négocier les conditions de la réduction du temps de travail. Ce temps, l’exposé des motifs de la loi l’évalue " de 6 à 9 mois ". Disons : 15 mois pour des négociations d’entreprise suivant des négociations de branche. Or, au 1er janvier 2000, il se sera écoulé 18 mois depuis le vote de la première loi qui énonçait l’objectif ! Ainsi, les patrons et les syndicats qui ont " joué le jeu " seraient bafoués, les patrons qui bloquent et " jouent la montre ", en spéculant sur un retour de la droite, auraient eu raison ! Non seulement les 32 heures, mais les 35 heures elles-mêmes seraient rejetées au-delà de la législature qui s’achève en mai 2002.

Je ne peux croire que les socialistes, que le Premier ministre qui conduit cette coalition, que la ministre du Travail, aient voulu cela. La crise morale et sociale qui en résulterait serait trop grave. Je demeure persuadé que la Représentation nationale saura assurer effectivement les 35 heures pour tous dans la durée de la législature, et encourager la semaine de 4 jours.

Encore faut-il que soit réglée la question du " temps de travail effectif ", notamment pour les cadres. Introduire une catégorie intermédiaire de cadres qui ne seraient que partiellement concernés par la réduction du temps de travail, et pire, sous forme de " forfaits en jours ", légalisant la journée de 12 heures, c’est nier et le chômage des jeunes diplômés, et l’aspiration des classes moyennes salariées au " temps de vivre ". Plus généralement, si la loi n’y met pas le holà, par une définition stricte du " travail effectif " et un encadrement de l’annualisation (souvent nécessaire et parfois désirée par les travailleurs eux-mêmes, qui eux aussi souhaitent " annualiser leur temps libéré "), nous allons vers une sur-intensification du travail, et c’est la vie quotidienne hors-travail qui risque d’être saccagée.

Sur la question des rémunérations, la loi est tout aussi inquiétante. En 1997, le PS lui-même exigeait le maintien des salaires " pour tous ". Plus raisonnablement, les Verts se seraient contentés d’un maintien garanti, par exemple, jusqu’au plafond de la Sécurité sociale (2 fois le SMIC, soit 70% des salariés et 85% des salariées). La deuxième loi ne prévoit qu’un mécanisme compensateur garantissant le revenu mensuel au voisinage immédiat du SMIC. Le salarié médian, qui gagne 1,8 fois le SMIC, n’en bénéficierait donc pas. Pire, les femmes, souvent " cheffes de famille monoparentales ", qui sont contraintes par centaines de milliers à se contenter d’un temps partiel, n’en bénéficieraient pas non plus et verraient donc leur salaire horaire effectif diminuer par rapport aux " temps plein " ! Là encore, un tel viol du principe " à travail égal, salaire égal " ne peut être qu’une erreur, que viendra, je l’espère, annuler un mécanisme bien plus simple : la hausse du SMIC horaire et la garantie de salaire pour la fraction sous le plafond de la Sécurité sociale.

Il faut être juste : cette loi contient des innovations positives, comme la remise en cause des abattements de cotisations sociales pour les employeurs imposant des temps partiels, et surtout l’introduction du principe majoritaire dans les accords d’entreprise. Mais ils sont loin d’en compenser les dangers. Si ces derniers étaient maintenus, les conséquences iraient bien au-delà des dérisoires querelles entre partis de la majorité plurielle. C’est l’idée même de la réduction du temps de travail, et finalement de progrès social, qui serait discréditée, avec, à la clé, l’enlisement de l’espérance.

À nouveau.




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