mardi 23 avril 2024

















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5 août 1999

Libération
Les déchirures du monde rural, du renne je me régale
Ah quel plaisir, ces premières lignes du " Débat " de Jacques Gaillard en faveur du concombre de pays et de la tomate nature (Libération du 26 juillet) ! J’en avais l’eau à la bouche, rêvant déjà aux reinettes que l’article, publié quelques mois plus tard, n’eût pas manqué d’évoquer. Oui, les aliments ne doivent pas seulement être " sains ", mais " bons ", et depuis des années je peste contre l’irrésistible convergence du poulet, de la tomate et du saumon vers le goût et la consistance de la mozarella.

Quelle tristesse alors de découvrir, au dessert de cet article, discrète publicité pour Chasse, Pêche, Nature et Tradition, un concentré de lieux communs sur les Verts, petits soldats de l’hygiénisme insipide de l’Europe du Nord, contre nos savoureux terroirs nationaux.

Alors bon. L’Europe du Nord, d’abord. Qui n’a pas savouré du cuissot de renne arrosé au vin d’airelles sous le soleil de minuit ne peut discuter des goûts scandinaves. Mais ne demandons pas aux Germains de défendre l’authenticité des produits latins. Et ne nous trompons pas de combat. C’est l’État-Nation qui ouvre nos supermarchés aux produits standards de l’agro-industrie. C’est le Parlement Européen qui défend le droit des consommateurs à des produits authentiques : le vrai chocolat, le vrai yaourt, la vraie feta... Ainsi, l’offensive menée par le Groupe Vert au Parlement Européen derrière l’écolo belge Paul Lannoye, a triomphé à Strasbourg contre le Conseil des ministres : le vrai chocolat se fait avec du cacao.

À l’avant-garde du goût, les Verts sont donc aussi le rempart d’une certaine agriculture. Un Vert allemand, Friedrich Whilhelm Graefe zu Baringdorf préside aujourd’hui la Commission Agriculture du Parlement Européen. Exploitant lui-même, c’est un pédagogue des méthodes " paysannes ". En France, on ne l’a pas assez remarqué, les Verts sont devenus aux élections de juin la première force progressiste de la paysannerie : 15 % , contre 7 % pour le PS. Le politologue agricole calcule aussitôt : 15 % + 7 % = 22 %, soit le score de la Confédération Paysanne (le syndicat le plus à gauche) aux Chambres d’Agriculture. Dont deux tiers aurait donc voté Vert, un tiers PS. Il y a deux ans, c’était l’inverse : malgré la belle loi Le Pensec, l’affaire du maïs transgénique est passée par là. Les partisans d’une agriculture moins productiviste, plus soucieuse de la qualité des produits (sanitaire autant que gustative), plus respectueuse des sols ? et du statut de l’agricultrice, se reconnaissent désormais dans les Verts.

Risquons une hypothèse : la violence même de l’agriculture officielle contre les Verts en général, et Voynet en particulier, n’est que le dérivatif d’une agressivité rentrée contre cette " autre " agriculture émergente. Et encore mieux si le bouc émissaire se trouve être une chèvre, comme Edith Cresson, qui suscita il y a vingt ans la même haine pour avoir reconnu les Paysans Travailleurs et lancé les États Généraux du Développement Rural. On préfère lyncher Voynet que s’en prendre au voisin qui " fait du bio ".

Cette agressivité se redouble de la conscience que l’agriculture intensive hyper-subventionnée (jusqu’à 750 000 francs par an pour un céréalier qui passe son long hiver d’oisiveté à la chasse ou aux sports d’hiver) est au bord d’une délégitimation brutale aux yeux des contribuables-consommateurs urbains.

La déchirure cachée du monde rural (bien manifestée lors de la houleuse traversée du Salon de l’Agriculture par Dominique Voynet, conspuée à droite, applaudie à gauche par les éleveurs extensifs du Charolais) s’est souvent matérialisée au village par une polarisation des votes :Verts contre CPNT (jusqu’à 70 % pour ces deux listes adverses dans un village de l’Hérault). Mais, au fond, elle traverse l’âme de chaque paysan, et cette tension trouve un théâtre dans le Centre National des Jeunes Agriculteurs. Invité par celui-ci lors de sa dernière " Université d’hiver", je fus sensible à l’accueil attentif, voire sympathique des participants, qui me confirmèrent leur drame autour d’un verre : " Nous sommes la génération sacrifiée. " Leurs parents (ma génération) avaient arraché aux grands parents une ferme traditionnelle, l’avaient modernisée, et voilà que les enfants héritent d’un modèle agricole cerné de dettes écologiques et dévalorisé aux yeux de l’opinion, qui les somme de lui rendre les saveurs d’antan !

Oui, au-delà de la chasse, c’est tout le monde rural qui a bien besoin d’un Grenellero. Les écologistes n’y représentent pas seulement les consommateurs exigeants. Mais sans doute les intérêts à long terme des paysans eux-mêmes.




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