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par Hervé Théry | 3 avril 2009

Colloque Alimentation soutenable
Le Brésil, « ferme du monde » ?
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Au moment où l’opinion mondiale s’interroge – non sans raisons – sur la sécurité alimentaire et énergétique de la planète, la situation du Brésil paraît enviable, puisque non seulement il alimente sans difficulté ses habitants (près de 200 millions), mais il est en outre un gros exportateur de grains, de viandes, de tourteaux et de matières grasses. Parmi les denrées qu’il produit et exporte, la canne à sucre est particulièrement stratégique, puisqu’à côté des fluctuations des prix des denrées agricoles, celles des cours du pétrole a aussi braqué les projecteurs sur le Brésil, vu par certains comme la solution miracle grâce aux agrocarburants qu’il produit déjà en grande quantité, et qu’il pourrait exporter en plus grande quantité encore : il fait rouler des millions de voitures flexfuel à l’éthanol (pur ou mélangé à l’essence tiré du pétrole extrait de son sous-sol). Est-ce à dire pour autant que le Brésil (avec ses voisins du Mercosur, principalement l’Argentine) est la région-solution, qu’elle peut devenir la « ferme du monde », produisant en quantités illimitées nourriture et agro-carburants ? Jusqu’où et à quel prix, social et environnemental peut-il assurer ce rôle ?

Le Brésil et les autres pays du Mercosul [1] se tirent plutôt bien d’une comparaison internationale des performances agricoles : dans les tableaux statistiques de la Food and Agriculture Organization (FAO) par grandes catégories (céréales, viandes, fruits et légumes), le Brésil se situe dans les trois cas dans les sept premiers rangs mondiaux, parmi des pays à population infiniment plus nombreuse, comme la Chine et l’Inde, ou à complexes agro-industriels puissants comme les États-Unis ou la France.

Les pays du Mercosul dans les productions agricoles mondiales

Rang Brésil Argentine Paraguay Chili1
1er Café, canne à sucre, oranges, haricots, maté, papayes,
2e Viande de bœuf, viande de poulet, soja, bananes, manioc, tabac Viande de cheval Lupins
3e Maïs, noix de cajou, ricin, poivre, mandarines Viande de bœuf, soja, maté, tournesol, citrons, artichauts, miel, Maté Kiwi
4e Viande de porc, noix de coco, cocons de vers à soie, ananas
5e Fèves de cacao, avocats, citrons Maïs, poires Jute

1- Pays associé. Source : FAOSTAT 2008, valeurs pour 2005

Le cœur du système Mercosul est sans aucun doute le Brésil, et si l’Argentine a elle aussi construit un complexe agro-industriel puissant dans quelques domaines (blé, soja, viande de bœuf), elle ne joue pas – pour utiliser une métaphore tirée d’un sport très apprécié dans la région – dans la même division que lui. Les autres pays pèsent peu, notamment le Paraguay et la Bolivie, où ce sont des Brésiliens installés dans les parties orientales du pays – ils sont appelés brasiguayos au Paraguay – qui assurent l’essentiel de la production de grains et de viande.

Les grandes cultures commerciales brésiliennes

Dès lors, si l’on se demande d’où la planète tirera les aliments nécessaires à sa croissance, une constatation n’est pas très difficile à faire : l’Europe et l’Amérique du Nord, déjà très productives, n’ont guère de marge de progression ; la situation de l’Afrique ne permet guère d’espérer de progrès a court et moyen terme ; l’Asie a des possibilités, mais plus encore de demandes, car elle sera le grand marché demandeur. Nul doute par conséquent que l’Amérique du Sud soit essentielle, étant le seul continent où des terres agricoles sont disponibles en grande quantité et à court terme

Utilisation du sol dans les pays du Mercosul

Population (millions) Superficie totale (1 000 km2) Superficie agricole
(%)
dont Terres cultivées (%) Cultures permanentes (%) Prés et pâturages permanents (%) Superficie forestière (%)
Argentine 40 2 780 47 10 0,4 36 12
Brésil 192 8 515 31 7 0,9 23 56
Paraguay 6.7 407 61 11 0,2 43 47
Uruguay 3.5 176 85 8 0,2 77 9
Bolivie1 9 1 099 35 3 0,2 32 54
Chili1 16 757 20 3 0,5 17 22

Pays associés. Source : FAOSTAT 2008, valeurs 2005. À des fins de comparaison on rappellera que la SAU de la France est de 295 000 km2 sur ses 551 000 km2 (53%), dont 184 000 km2 de terres arables (33,5%), 111 000 km2 de cultures permanentes (20,2%). Les forêts et friches totalisent 182 000 km2 de (33,2%).

Cette agriculture puissante n’est toutefois pas unifiée, mais duale, comme le prouve on ne peut plus clairement le fait que le Brésil a deux ministères de l’agriculture, le Ministério da Agricultura, Pecuária e Abastecimento (Ministère de l’Agriculture, de l’élevage et du ravitaillement, qui s’occupe d’appuyer le puissant secteur agro-industriel, et le Ministério do Desenvolvimento agrario (Ministère du développement agraire), chargé d’encadrer la petite agriculture et de promouvoir la réforme agraire.

Cette dichotomie met en évidence que l’agriculture brésilienne associe des systèmes de production très différents : d’une part une petite agriculture familiale, qui a des parentés avec ses homologues européens, et assure 70 % de l’alimentation du pays, d’autre part un agro-business tout à fait comparable à ses équivalents nord-américains, qui produit essentiellement pour exporter : les petites exploitations (moins de 10 hectares) se concentrent dans le Nordeste et en haute Amazonie, alors que dans le Sud du pays ce sont les exploitations moyennes (10 à 100 hectares) qui l’emportent. Le domaine des grandes exploitations (plus de 100 hectares, et bien souvent plusieurs milliers d’hectares) correspond d’assez près à celui des savanes arborées, les cerrados et de l’élevage, au centre du pays, et des savanes herbeuses, les campos, au sud et au nord.

L’un des aspects les plus frappants de l’agriculture brésilienne est sa capacité d’adaptation : presque du jour au lendemain, elle peut modifier la carte de ses productions, comme en témoigne le déplacement de la production de soja : ces déplacements, sur des centaines de kilomètres, sont un exemple de la mobilité de la carte agricole du Brésil, perpétuellement remise en question au gré des sollicitations des marchés mondiaux. Alors que le Brésil ne produisait pratiquement pas de soja avant les années 1970, il est aujourd’hui le second producteur de graines, le premier exportateur mondial de tourteaux, et l’un des tout premiers pour l’huile. Cette progression s’est faite par la mise en culture des cerrados du Mato Grosso, du Goiás et de l’ouest de Bahia. Ceux-ci une fois conquis, le soja progresse désormais sur la forêt amazonienne, généralement par rachat de terres déjà défrichées par les éleveurs : ceux-ci vont alors un peu plus loin défricher de nouvelles portions de forêt, un « effet domino » qui préoccupe beaucoup les militants de l’environnement, au Brésil et à l’étranger.

Déplacement de la production de soja 1990-2006

Le riz, associé (en dehors du Rio Grande do Sul) à cette conquête, le suit : il est donc en progression sur l’arc du déboisement amazonien, et en déclin derrière lui, là où il est remplacé par d’autres cultures ou – plus fréquemment – par des pâturages. Le coton a suivi à peu près la même évolution, et dans ce cas également le Mato Grosso est devenu le principal producteur national. On assiste donc à la progression de véritables fronts pionniers, sans équivalent dans le monde (à part certaines régions d’Indonésie ou de Malaisie), qui rappellent ceux des États-Unis au XIXe siècle ou, plus près dans le temps et l’espace, ceux du café dans les États de São Paulo et du Paraná dans les années 1930 et 1940.

Tableau 1 : Terres occupées, terres disponibles

Forêt amazonienne 345
Pâturages 220
Parcs et réserves naturelles 55
Cultures annuelles 47
Cultures permanentes 15
Villes, lacs et routes 20
Reboisements 5
Autres usages 38
Sous-total 745
Surfaces non utilisées et disponibles pour l’agriculture 106
Total 851

En millions d’hectares. Source : Roberto Rodrigues /IBGE e Conab / MAPA

Face à cette progression, et à la demande mondiale de terres, se pose évidemment la question de la limite de cette conquête : jusqu’où peut-elle aller, combien de millions d’hectares le Brésil peut-il encore incorporer ? Le débat est vif entre les partisans du développement de la production et ceux de la protection de l’environnement, et l’estimation suivante a été présentée par Roberto Rodrigues, ancien ministre de l’Agriculture, issu du mouvement coopératif. Ellelle tient compte des réserves existantes et de la forêt amazonienne telle qu’elle est aujourd’hui : sans défrichements supplémentaires et sans conversion des pâturages, qui est pourtant une des possibilités les plus prometteuses, il estime que 106 millions d’hectares sont disponibles, soit plus de trois fois la SAU française.

Ces bouleversements suscitent évidement des débats au Brésil, mais une question ne préoccupe guère l’opinion, sauf exceptions (comme le gouverneur de l’État du Paraná et une fois encore les militants « verts »), bien qu’elle soit essentielle aux yeux de certains Européens, celle des OGM : les Argentins les utilisent massivement et sans états d’âme particuliers, les Brésiliens et les autres pays du bloc ne s’en abstenant – pour le moment - que dans les regions ou manquent encore des semences adaptées aux climats chauds et humides.

Deux autres questions sont en revanche souvent débattues, principalement à propos de l’expansion rapide de la canne à sucre, celle de la pollution produite par le brûlis des pailles sèches et celle des conditions de travail des coupeurs de canne. L’une et l’autre ont été bien relayées à l’étranger, surtout depuis que le Brésil a fait condamner l’Union Européenne pour ses subventions à ses producteurs de sucre, une décision qui n’a pas rendu le Brésil trés populaire dans ces milieux. L’une et l’autre sont en voie de solution dans l’état de São Paulo, le principal producteur brésilien, par le déploiement plus rapide que prévu des machines à couper la canne, qui travaillent sans brûler les pailles. Le seul problème est que chaque machine remplace une centaine de coupeurs, pour la plupart des travailleurs temporaires venus du Nordeste, qui perdent de ce fait leur principale source de revenus, un effet pervers de ces pressions bien intentionnées.




NOTES


[1Créé en 1991, le Mercosul (en portugais, Mercosur en espagnol) regroupe Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay. Le Chili et la Bolivie lui sont associés, le Venezuela a demandé à y adhérer en 2006.
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