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par Alain Lipietz | 1er novembre 1999

Marianne
L’incroyable arrogance de la Banque centrale
Stupeur à Bruxelles : lors de sa première audition devant la Commission Économique et Monétaire du Parlement Européen, Christian Noyer, le vice-président (français) de la Banque Centrale Européenne, distribue et lit un discours ? en anglais ! Le pasquaïen W. Abitbol s’en alarme (Libération du 29 septembre). Aucun pays de l’Eurolande (sauf ? l’Irlande) ne parle pourtant anglais. Il faut, pour beaucoup, se contenter de la compétente, mais nécessairement approximative, traduction simultanée.

Mais là n’était pas le plus grave. Le contenu était aussi stupéfiant que le contenant. La BCE y exprimait, avec une tranquille arrogance digne des pires excès d’un Trichet ou d’un Tietmeyer, son irrespect des normes d’une société pluraliste et démocratique.

Attention. Les torts sont partagés. Consterné, je contemplais cette assemblée que j’avais rêvée en jalouse représentante de la democratic accountability, de la nécessité de rendre des comptes à la représentation des citoyens. La moitié à peine de la commission était présente pour cette première. Avec Abitbol, j’étais le seul Français, au sein de la délégation de mon groupe au complet. Dans cette commission des plus prestigieuses, réunie pour une importante audience, les n°2 de la liste de la droite RPR-DL, et de celle du PS étaient absents ?

Ils auraient entendu Christian Noyer, devant des parlementaires européens, appeler les gouvernements nationaux à remettre en cause les so-called, les alleged, les soi-disant, les allégués " droits acquis " ! Ils l’auraient entendu dicter ses directives à la société civile et politique.

" Alleged". En français, des " droits allégués" font irrésistiblement penser à La Fontaine. " Jean-Lapin allègua la coutume et l’usage " : et il s’agissait en l’occurrence de rien moins que du droit de propriété ! Christian Noyer pensait sans doute, lui, au droit à un salaire décent, au droit au travail ou " à défaut, à une juste indemnisation ", tous ces principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme intégrés dans les constitutions nationales, codifiés en lois par la représentation populaire, en conventions collectives par les partenaires sociaux. Excusez du peu.

Comme je l’interrogeais sur sa conception de la hiérarchie des instances démocratiques, l’homme de la BCE me concéda : " Loin de nous l’idée de remettre en cause les prérogatives des autres pouvoirs. Mais nous avons le droit de chercher à les influencer par notre conviction ". C’était ironiser sur l’Article 107 du Traité de Maastricht qui interdit aux élus et aux gouvernements de chercher à influencer la Banque Centrale. C’était surtout l’expression d’une démesure revendiquée par le pouvoir monétaire, pouvoir pourtant multiplement délégué (cet aréopage est nommé par les chefs de gouvernement, désignés par les Parlements ?) : s’instaurer en pouvoir au même titre que le législatif !

Et la leçon continuait : " les partenaires sociaux ne doivent pas s’accorder sur des hausses de salaires supérieures à la productivité ? " " Et les profits, faut-il aussi les indexer sur la productivité ? " demanda un économiste " eurocommuniste " grec. " Et d’ailleurs, quelle productivité, demandais-je ? Les salons de coiffure n’ont aucun gain de productivité, l’électronique en fait 10 % par an. Voulez-vous que les salaires des uns s’éloignent à l’infini de celui des autres ? " " Non bien sûr ". Mais alors la productivité se diffuse par le jeu des prix, et il en résulte toujours un peu d’inflation. " Pas plus de 2% " déclara l’oracle. Mais cela signifie que les prix industriels baissent, que donc les taux d’intérêt réels restent très lourds, que les stocks ne se reconstituent pas, ou que leurs coûts sont rejetés sur les fournisseurs. Etonnez-vous de l’euro-sclérose !

Et cela continuait ? " Les gouvernements doivent assumer sur le moyen terme l’équilibre ou un excédent budgétaire ". Équilibre à moyen terme ? D’accord. Un écologiste n’acceptera jamais de rejeter une dette sur les générations futures. Mais pourquoi " excédents " ? Ce n’est même pas dans le " Pacte de Stabilité " ! Je fis observer que les États-Unis ont fondé leur croissance sur des taux d’intérêt parfois inférieurs à l’inflation et 15 ans de déficit budgétaire.

L’Oracle n’en a cure. La BCE est au-dessus de ça. Au-dessus (allons, l’égale) du Peuple Souverain, du régalien ou du conventionnel. La BCE est en charge de l’offre de monnaie, mais combat l’inflation par les seuls coûts salariaux. La BCE ? Non, l’École Française, celle qui s’exprime en anglais, au sein de la BCE.

Pourvu que Duisenberg ne cède pas sa place à Trichet !




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