jeudi 18 avril 2024

















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1er février 1999

Un premier pas vers la reconnaissance d’un " tiers-secteur solidaird’utilité sociale "
L’entreprise à but social
L’économiste Alain Lipietz vient de remettre à Martine Aubry un rapport d’étape sur " l’opportunité de créer un nouveau type de société à but social " . Il préconise plutôt la création d’un label d’utilité sociale et solidaire, que pourraient revendiquer certaines entreprises, quelle que soit leur forme juridique (SA, coopérative ?) ou les associations. Une loi-cadre devrait permettre d’organiser la constitution d’un tiers-secteur d’utilité communautaire. Une disposition portée par les Verts et qui figurait dans l’accord Verts-PS de janvier 1997.

Participer - Quel fut l’objet du rapport que vous a commandé Martine Aubry en septembre dernier ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Alain Lipietz - L’une des principales difficultés dans l’étude qui m’a été confiée consistait d’abord à cerner au plus près la définition du "but social". Les expériences issues du rapport de Bertrand Schwartz en 1982 sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en cernaient l’approche, mais pas seulement elles.

L’idée fondamentale part du constat que, d’une part, il existe un potentiel important de création de nouveaux services utiles à la communauté. D’autre part, le chômage représente un coût qui, dès lors qu’on l’utilise pour financer des activités qui vont réduire le chômage, rend immédiatement possible l’émergence et la solvabilisation de ces services. Ces services sont à la fois insérés dans l’économie marchande, car payés en tant que tels par des usagers, mais doivent aussi bénéficier de dérogations fiscales, d’exonérations de cotisation, voire de subventions.

Cette approche dessine en quelque sorte les contours d’un tiers-secteur qui aurait vocation à se déployer dans ce champ immense des services communautaires. C’est-à-dire des activités aussi différentes que la culture, l’insertion sociale et professionnelle, ou celles liées à l’environnement ou à l’action sociale, par exemple la collecte sélective des déchets ou l’aide à domicile à des usagers défavorisés ? Autant d’activités qui ne sont pas prises ou mal prises en compte par le secteur marchand ou la sphère publique. D’où également une difficulté relative à l’identification " services nouveaux ", à la détermination des frontières de ces activités afin qu’elles ne viennent pas cannibaliser les autres secteurs.

Ce constat effectué, il est apparu que toutes les formes de structures existantes, entreprises d’insertion, associations, coopératives, rencontraient des limites statutaires qui ne permettent ni de définir une stratégie globale, ni d’assurer la cohérence de la construction du tiers-secteur.

Participer - Qui avez-vous rencontré ?

Alain Lipietz - Comme le fixait la lettre de mission de Martine Aubry, j’ai d’abord rencontré différents réseaux qui ?uvrent dans le domaine de la lutte contre les exclusions. J’ai donc pris contact avec les animateurs d’organisations telles l’Uniopss, le CNEI, la COORACE, la Fnars. J’ai également souhaité rencontrer le Conseil des régies de quartier, car il avait engagé une réflexion approfondie sur des missions en plein champ du tiers-secteur. Puis, à ma grande surprise, j’ai vu que le mouvement Scop souhaitait me rencontrer car il était offreur d’un schéma, d’une forme d’organisation, à travers le statut de la coopérative défini par la loi de 1947, qui pouvait servir de support à l’entreprise à but social.

Participer - Pourquoi avez-vous été surpris de cette initiative du mouvement Scop ?

Alain Lipietz - Parce qu’au moment où est apparu ce que l’on a appelé la " nouvelle pauvreté ", lorsque l’on a revu des mendiants dans les rues au milieu des années 80, beaucoup d’initiatives ont été prises par des réseaux liés à ce que l’on appelle " l’économie alternative et solidaire", face à une " économie sociale " (les mutuelles et les coop) ankylosée, rigidifiée dans des structures institutionnelles vieillissantes.

Le mouvement des Scop, né d’une contestation du salariat classique, en avait pourtant épousé la mystique productiviste. Dans l’Après-Guerre, les Scop ont essayé de montrer qu’elles étaient capables de " faire mieux que les autres " et elles se sont laissées enfermer dans cette logique. Je constate à ma grande satisfaction que tout un secteur de l’économie sociale, certains mouvements mutualistes, et surtout le mouvement des Scop, renouent aujourd’hui avec leurs engagements originels " solidaires et autogestionnaires " du siècle dernier, et souhaitent se réadapter à la réalité de la société, prêts à s’engager dans l’insertion et l’utilité communautaire.

Participer - Préconisez-vous, dans votre rapport d’étape, ce statut pour l’entreprise à but social ?

Alain Lipietz ? A cette étape, ma religion n’est pas faite. Mais, tenant compte de la largeur du champ couvert par les structures existantes (associations, sociétés, scop ?), qui ont toutes une identité forte, et qui de surcroît ne recoupent pas les mêmes domaines d’activités et répondent à des besoins différents, je pense que la bonne orientation consiste à ne pas fixer tout de suite " la " bonne forme. On pourrait attribuer d’abord un label commun aux structures d’économie sociales et solidaire, sur l’ensemble de ces statuts, label ouvrant droit à des dérogations.

Idéalement, si l’on voulait créer une seule structure couvrant le champ des activités du tiers-secteur, je pense que le statut de la coopérative de 1947 serait particulièrement bien adapté, car il permet d’associer au capital aussi bien les salariés que des usagers et de bénévoles et, sous certaines conditions, des bailleurs publics ou privés. Il répond bien au cahier des charges du tiers-secteur.

Participer - Pourquoi ne le proposez-vous pas ?

Alain Lipietz - Imaginez que demain on aille dire aux associations de s’auto-dissoudre pour constituer des coopératives ! Quelle sera leur réaction ? Foncièrement négative bien sûr, et l’on fera du surplace. Créons donc un vaste tiers-secteur qui regroupe toutes les formes de structures et l’on verra bien, dans le temps, comment elles évolueront, quelles convergences se dessineront.

J’ai d’ailleurs été frappé par la volonté de l’ensemble des acteurs d’être reconnus ensemble et dans leur diversité, sans se diviser, face aux enjeux de la constitution d’un tiers-secteur. Ce climat favorable constitue un gage évident de succès.

Participer - Comment déterminer le label dont vous parliez ? Autour de quels critères serait-il défini ?

Alain Lipietz - L’obtention de ce label pourrait être défini par des critères relatifs à l’utilité communautaire, c’est-à-dire par des activités qui, bien que faisant l’objet d’une activité marchande, induisent de tels effets secondaires en termes de tissage de lien social, qu’elles méritent de faire l’objet d’un financement permanent par les collectivités publiques, ce qui suppose une totale transparence quant à l’utilisation de ces fonds.

Afin d’éviter toute dérive, on peut imaginer trois niveaux de contrôle du label : Par la structure elle-même, par un organisme consulaire interne, sur le modèle de la procédure de la révision coopérative, enfin par la puissance publique.

Participer - En liant un système de fiscalité dérogatoire à la structure elle-même, ne craignez-vous pas une fin de non-recevoir de l’État qui accorde généralement des prérogatives fiscales au type d’activités plutôt qu’à la structure elle-même ?

Alain Lipietz - L’État reconnaît que certaines structures, en tant qu’elles concourent à la stabilité sociale, ont droit à des prérogatives fiscales. C’est le cas aujourd’hui des mutuelles, des Scop et de la famille !?

Ce qui a été validé avec les emplois-jeunes, c’est que le poste lui-même, la fonction elle-même devait être dotée d’un financement permanent par la collectivité publique, puisque la fonction n’a pas vocation à être intégrée dans le secteur public et que la production de biens et services induits par ces emplois ne peut être totalement rentable dans l’économie marchande. Les organismes éligibles aux emplois-jeunes, visés dans la loi sur la lutte contre les exclusions, posent les premières bases de la constitution du tiers-secteur. Mais leur cahier des charges, trop restrictif, élimine de fait les coopératives et un grand nombre d’entreprises d’insertion. Si l’on veut pérenniser les emplois-jeunes, il faut donc élargir ce cahier des charges en créant ce statut labellisé d’entreprises à but social qui sera éligible aux emplois-jeunes et, pour toutes les raisons déjà évoquées, doté d’un régime fiscal dérogatoire.

Participer - Seriez-vous favorable à ce qu’une collectivité publique souscrive au capital de ce type d’entreprise dès lors qu’elle la financerait, alors que le principe général est aujourd’hui défini par l’interdiction faite aux collectivités de prendre des participations dans le capital des sociétés ?

Alain Lipietz - Nous sommes en train d’inventer un nouveau type d’entreprise, et nécessairement cette démarche implique de nouvelles questions qui bousculent les frontières actuelles. Première série de questions. En associant au capital de l’entreprise à but social des "permanents-salariés" mais aussi des usagers, voire des bénévoles, il faudra bien imaginer comment fonctionnera cette structure à direction copartagée. Si je prends l’exemple des Scop, actuellement seuls les salariés détiennent le pouvoir selon la règle "un sociétaire, une voix". Si les coopératives admettent dans leur conseil d’administration des usagers, des bénévoles, selon quelle pondération des voix en assemblées générales sera organisé la dévolution du pouvoir ? Dans ce contexte, si une collectivité publique souscrit une participation au capital de la coopérative à but social, de quel droit de vote disposera-t-elle ? Je sais que le Conseil supérieur de la coopération y réfléchit ?

Pour répondre directement à votre question, je ne suis pas hostile à cette prise de participation - elle existe déjà à travers les sociétés d’économie mixte locales. On pourrait d’ailleurs imaginer un cahier des charges gradué au sein du label, qui n’autoriserait pas toutes les structures à bénéficier des mêmes prérogatives et qui limiterait la participation des collectivités publiques à des activités, totalement désertées par les entreprises privées, ne satisfaisant pas certains besoins qu’il est d’intérêt général de satisfaire.

Participer - En terme de calendrier, pensez-vous qu’une loi reconnaissant ce nouveau type d’entreprise pourrait être votée rapidement ?

Alain Lipietz - Tous les interlocuteurs que j’ai rencontrés sont pressés d’aboutir, je sais que sur le terrain les attentes sont fortes mais l’embouteillage du calendrier parlementaire fait qu’aujourd’hui il n’est guère possible de faire voter une loi en moins d’un an. Je pense qu’il sera possible d’aboutir courant 2000, plus vite sans doute si de nombreux élus se mobilisent ?

Propos recueillis par Laurent Lasne.




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