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par Alain Lipietz | 21 mars 2000

Le Monde-Economie
Faut-il mettre en marché les permis de polluer ?
Entretien avec Hervé kempf et Martine Laronche
Quelle est votre opinion sur la création d’un marché international de permis d’émission de gaz à effet de serre ?

C’est un des meilleurs systèmes ? en théorie. Pour protéger l’environnement, il faut des mesures contraignantes. Deux voies sont possibles. Celle des règlements : ce qui est dangereux est interdit ou limité, sous peine de sanction. Celle des instruments économiques, comme les pollutaxes : on a le droit de polluer, mais on paie. Ce principe polleur-payeur n’est pas encore admis par tous. A droite, on dénonce une menace pour la compétitivité, alors qu’il s’agit de pousser les entreprises à choisir une technique plutôt qu’une autre. A gauche, on critique le principe de donner au pollueur, et surtout aux plus riches d’entre eux, le moyen d’acheter le droit de polluer. En réalité, les injustices sociales doivent être combattues par d’autres politiques que le principe de pollution gratuite.

Les permis négociables combinent le réglementaire et le financier. D’abord, un accord international fixe une quantité de gaz à effet de serre autorisée et la répartit entre les pays ou leurs entreprises. Lorsqu’un agent dépasse son permis, il doit rachèter des droits à ceux qui font mieux que leur quota. Bref : vous avez le droit de polluer jusqu’à telle quantité admissible, mais au-delà, ça vous coûte le maximum !

Pour les économistes de l’environnement, ce système est idéal. Il fixe un objectif contraignant, et incite les États et les entreprises à éliminer d’abord les sources de pollution les plus faciles. Une norme aurait un effet indifférencié, et une pollutaxe, on ne sait pas quelle réduction de la pollution elle entraîne.

Mais ne risque-t-on pas, une fois prises les mesures les moins coûteuses, d’arriver à un blocage ?

Dans tout système, il faut annoncer longtemps à l’avance où l’on va. Dans mon livre Qu’est-ce que l’écologie politique ?, j’explique qu’en 2050 tous les être humains devraient avoir droit au même permis de polluer, soit 500 kilos de carbone par an et par personne. C’est ce qui permettrait que, sur une planète de 10 milliards d’habitants, l’effet de serre n’augmente plus. Actuellement, les États-Unis en sont à 5 000, le Bengladesh à 60, l’Europe à 2 000. Si on arrivait tout de suite à ce compromis, certains pays n’utiliseraient pas leurs quotas, alors que d’autres, comme les États-Unis, auraient énormément de mal. Ils arriveront vite à un noyau dur de pollution qui ne peut pas disparaître en moins de vingt ans : refaire des villes denses pour limiter les déplacements automobiles prendra du temps, où ils continueront à consommer le quota des autres. Ils le faisaient gratuitement, ils vont maintenant devoir les acheter !

Pourquoi les pays en développement sont-ils alors hostiles à ces permis transférables ?

Mais pour le moment, ils sont hostiles à tout ce qui limiterait leur droit d’imiter les erreurs des pays développés ! Avant la conférence de Rio, en 1990, un rapport américain suggérait que tous les pays, industrialisés ou en développement, acceptent une diminution proportionnelle de leur niveau de pollution existant. Ce qui revenait à octroyer définitivement aux Etats-Unis un droit de polluer bien supérieur aux pays du Sud ! Les ONG du Sud se sont alors unifiées autour d’Anil Agarwal et Sunita Narain, qui proposaient le système des permis transférables avec une distribution initiale égalitaire. La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement a rejoint cette position. Le permis négociable est alors apparu comme un instrument de transferts financiers Nord-Sud accompagnant un développement ? propre ?. Mais ce qui a été décidé à Kyoto et à Buenos-Aires est loin d’être aussi parfait.

Que reprochez-vous à ces décisions ?

Elles ne fixent aucune limite pour le tiers monde à l’horizon 2012 (ce que leur reprochent les Etats-Unis, qui refusent de ratifier), et des limites très lâches pour les pays développés, qui reflètent largement leurs ? droits acquis ? (ce que leur reproche le tiers-monde) ! Il aurait fallu des engagements plus fermes, convergeant vers les ? 500 kg pour chacun ? dans les cinquante prochaines années. Reste que l’humanité, pour la première fois de son histoire, s’assigne une quantité globale de gaz à effet de serre à ne pas dépasser. Peut-être trop, peut-être trop lentement, mais le principe est admis.

Deuxième critique : les quotas n’ont pas été correctement attribués, principalement en ce qui concerne les pays de l’Est. L’économie russe s’est écroulée, plaçant ce pays très en dessous de ses objectifs 2012. Les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est sont déjà à 44 % en dessous de leur quota. Il y a d’ores et déjà une masse de permis à brader, qui pourront dispenser les États-Unis de tout effort intérieur.

Est-il encore possible d’éviter ces effet pervers ?

Il le faut absolument. On peut interdire à un pays de recourir à l’achat de permis avant d’avoir fait des efforts internes significatifs, ou mieux, fixer un prix-plancher pour les permis, qui rendent ces efforts internes préférables. On peut imaginer un Fonds International analogue à celui de la Politique Agricole Européenne, qui retire des permis du marché afin d’éviter les déséquilibres. Un marché comme celui-ci ne peut être qu’administré.

Comment organiser un tel système entre les industriels du territoire national ?

L’Europe a choisi la méthode des pollutaxes pour tenir dans son quota, mais pour l’instant l’Espagne bloque, comme bien sûr les États-Unis. Cela risque d’entraîner des délocalisations d’industries vers des pays sans taxe. D’où le choix de Lionel Jospin en faveur des permis d’émission pour les quatre ou cinq secteurs industriels fortement consommateurs d’énergie. J’avais suggéré d’autres solutions, mais bon, maintenant l’essentiel est de fixer ces fameux permis sur un objectif assez draconien mais néanmoins tenable. Deuxième question : comment fait-on la première distribution de quotas ? gratuitement ? Je suis pour un système de mise aux enchères dès la première tonne des permis d’émission : l’automobiliste qui, soumis à l’écotaxe, verra le prix de l’essence augmenter dès le premier litre,. ne comprendrait pas que Péchiney ait le droit de ne pas payer ses 1000 premières tonnes de pollution.

Peut-on véritablement concilier un mécanisme de marché et la lutte contre la pollution ?

L’objectif est d’obtenir très vite un compromis acceptable par tous : les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde. Dire : ? tout le monde paye une écotaxe mondiale ! ? est peut-être plus satisfaisant pour l’esprit, mais la négociation aurait échoué. Je comprends les écologistes sincères qui considèrent que l’air est la dernière chose gratuite qui nous reste et qui refusent les permis d’émission. Eux roulent en vélo et ne font de mal à personne. Mais je m’oppose à ceux qui, en rejetant cette solution, admettent en fait que les multinationales et leurs clients continuent à polluer gratuitement et librement !




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