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par Alain Lipietz | 14 mai 2005

Constitution : Qu’est-ce qu’on va voter ?
A propos de la Déclaration n°12 etc
Le texte envoyé par la poste à tous les électeurs par les services de l’Etat est une brochure bleue qui comprend :

- le traité établissant une Constitution pour l’Europe, jusqu’à la page 87 où figure le fac-similé des signatures des 25 chefs d’Etat de l’Union européenne.

- 36 protocoles et 2 annexes, de la page 89 à la page 182.

- Un « Acte final de la Conférence intergouvernementale » signé par tous les chefs d’Etat participant à cette Conférence intergouvernementale,y compris ceux de Roumanie, de Bulgarie et de Turquie, suivi des déclarations relatives à la Constitution et à ses protocoles.

Ont valeur de traité constitutionnel, et sont l’objet exclusif du vote du 29 mai, le TCE, ses 36 protocoles et ses 2 annexes. Ce point est explicitement précisé par l’article IV-442 :

« Les protocoles et annexes du présent traité en font partie intégrante ».

Qu’y a-t-il dans les annexes ?

L’annexe 1 donne la liste des produits agricoles (y compris les bananes !), qui font partie de la politique agricole commune et qui sont donc exclus des règles de la concurrence au titre de l’article III-226.

L’annexe 2 contient la liste des Pays et Territoires d’Outre-mer qui sont associées à l’Union européenne par le titre 4 de la troisième partie, aussi bien la Nouvelle-Calédonie que Turks et Caicos.

Les protocoles sont d’importance tout à fait variable.

Les deux premiers protocoles sont entièrement nouveaux, et extrêmement importants : ils fixent les pouvoirs des Parlements nationaux dans le fonctionnement de l’Union européenne. En donnant un droit de regard en amont aux parlements nationaux avant le vote des gouvernements qui représentent leurs pays au Conseil des ministres, ils rétablissent d’une certaine façon la distinction entre législatif et exécutif. En effet, dans le traité actuel (mais aussi dans la Constitution), au Conseil, chambre des Etats, les pays sont représentés par les gouvernements ! À partir du moment où le Conseil a essentiellement une fonction législative, cette façon de construire du législatif au second degré en passant par l’étape d’un exécutif national peut paraître choquante. Les protocoles numéro 1 et 2 ouvrent implicitement la voie, au moins dans les pays à forte tradition démocratique (ce n’est pas le cas de la France !), à un mandat impératif des parlements nationaux quant à ce que doivent voter leurs gouvernements en Conseil ou en Conseil européen. Ainsi, les 5 parlements qui s’opposent actuellement à la position de leurs gouvernements au Conseil, en première lecture, à propos des brevets logiciels, pourraient, grâce au TCE, obliger ces gouvernements à inverser leurs votes.

Les protocoles 3, 4, 5, 6 et 7 et d’autres sont des protocoles anciens qui détaillent le fonctionnement de telle et telle institution, comme la Banque centrale. De même, le protocole numéro 10 sur la procédure concernant les déficits excessifs complète la définition du pacte de stabilité. Ce protocole est également ancien, il est complété par deux règlements, qui ne sont pas constitutionnels, et qui ont été profondément modifiés en mars dernier par le Conseil.

Tous les autres protocoles sont des protocoles anciens qui « gravent dans le marbre » les conditions particulières qu’ont pu obtenir les différents pays au fur et à mesure de leur adhésion au noyau initial de l’Union européenne. On trouve par exemple un protocole numéro 26 qui garantit le Danemark contre l’invasion des résidences secondaires allemandes sur ses côtes !

Quel est en revanche le statut de l’Acte final et de ses fameuses « déclarations » ?

L’article 442 est formel, ces déclarations n’ont aucune valeur constitutionnelle, ni même juridique. Le simple fait que l’acte final soit signé par des pays ne faisant pas partie de l’Union européenne, y compris la Turquie ( !) le montre bien. Il s’agit simplement de déclarations à valeur diplomatique des gouvernement qui ont participé à la Conférence intergouvernementale, à la quelle les pays candidats ont tous été invités : ceux qui sont rentrés le 1er mai 2004 comme ceux qui rentreront éventuellement plus tard.

C’est pourtant la « déclaration numéro 12 » dont se servent les tenants du Non pour jeter un doute sur la valeur de la Charte des droits fondamentaux (deuxième partie du TCE). Cette Déclaration numéro 12 mérite d’être citée intégralement :
« La Conférence prend note des explications relatives à la Charte des droits fondamentaux, établies sous l’autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte et mises à jour sous la responsabilité du praesidium de la Convention européenne, qui figurent ci-après. »

Quant à la déclaration du Praesidium des Conventions (celle de 2000 et celle de 2003), elle précise elle-même :

« Bien que ces explications n’aient pas en soi de valeur juridique, elles constituent un outil d’interprétation précieux destiné à éclairer les dispositions de la Charte ».

Bref, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et les membres de l’Union « prennent acte » d’explications « sans valeur juridique »...

Autrement dit, ces explications peuvent servir à l’établissement d’une jurisprudence lorsqu’une association ou un particulier attaquera en justice le droit de l’Union, ou un Etat mettant en œuvre le droit de l’Union, au nom des articles de cette Charte. Il s’agit donc d’une contribution à l’établissement d’une jurisprudence, exactement comme l’exposé des motifs qui précède toute loi sert ensuite aux juges à interpréter la loi.

On insiste beaucoup, par exemple, sur les explications données à propos du second article de la deuxième partie (l’article 62), sur le droit à la vie. Là, les explications ne font que rappeler la jurisprudence déjà bien établie de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui depuis 1983, juge déjà de l’interprétation cet article. Il y est simplement dit que « La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans le cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire », tel que légitime défense, « bavure » dans le cas d’une arrestation, et bien entendu en situation de guerre. Jusqu’à présent, cela allait de soi : des bavures policières, il y en a toutes les semaines, et personne n’a jamais considéré qu’elles rétablissaient la peine de mort.

J’invite à lire l’article de Mireille Delmas-Marty, dans le dernier numéro de la revue Vacarme. Cette éminente juriste, grande défenseuse des doits de l’homme, qui fut associée aux travaux de la Convention, insiste longuement sur la masse de jurisprudence déjà existante à propos de ces articles, que ce soit à la Cour de justice européenne de Luxembourg ou à la Cour des droits de l’homme de Strasbourg. Les fameuses explications du Praesidium, qui reprennent une partie de cette jurisprudence, ne sont que des éléments doctrinaux parmi d’autres.

Ainsi, l’auteur explique que le « droit à une vie familiale » a été largement utilisé par la Cour de Strasbourg pour défendre des immigrés illégaux contre des expulsions.

Dernier détail : le statut de la petite brochure blanche qui accompagne, dans l’envoi des services du ministère de l’Intérieur à tous les électeurs, la grosse brochure bleue contenant le traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Il s’agit du texte de la loi que nous allons voter. En effet, dans un referendum, le peuple est directement « souverain », c’est-à-dire qu’il vote la loi mandatant l’exécutif pour ratifier, ici, un traité international.

Cette loi, comme toutes les lois, est accompagnée d’un « exposé des motifs », qui résume les bonnes raisons d’adopter cette loi. Naturellement, cet exposé des motifs apparaît donc comme présentant sous un jour favorable le traité constitutionnel qu’il autorise à signer. On n’a jamais vu un exposé des motifs présentant sous un jour défavorable la loi qu’il introduit !

Toutefois, le résultat est psychologiquement et politiquement désastreux : cet exposé des motifs apparaît comme une propagande pour le Oui, sans contrepartie en faveur du Non (on se demande d’ailleurs à quel parti on l’aurait confiée). Cette maladresse est abondamment utilisée aujourd’hui par les partisans du Non, et il faut reconnaître que, même si juridiquement l’existence d’un exposé des motifs est parfaitement justifiée, ces critiques sont assez légitimes.

Toutefois, on peut considérer aussi que la fonction de « résumé » que remplit l’exposé des motifs est elle aussi légitime, pour un public qui ne lira pas forcément l’ensemble du traité. Le financement public égalitaire de la propagande des partis pour le Oui et pour le Non est également un progrès de la démocratie par rapport aux referendums précédents.

Enfin, cet exposé des motifs (qui n’est lui-même pas très précis et notamment ne fait pas la distinction entre les protocoles, les annexes et les déclarations !), quel est son statut juridique ? Théoriquement, aucun : un exposé des motifs ne fait pas partie de la loi. Toutefois, il a exactement la même valeur que les fameuses déclarations et explications du Praesidium : il peut servir lors d’un procès à éclairer sur le sens que les législateurs ont voulu donner à leur loi, c’est à dire ici le vote en faveur du TCE. Autrement dit, il faut garder cette petite brochure blanche précieusement : elle peut servir quand nous attaquerons devant les tribunaux français ou européens une mauvaise transcription de la loi européenne dans le droit français !




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