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par Alain Lipietz | 14 juillet 2006

L’Humanité
Collaboration de classe à la SNCF ?
Réponse à Henri Levart

J’ai lu avec tristesse la Tribune publiée dans L’Humanité du 17 juin : "Un procès gagné, un honneur perdu", de Henri Levart. Ce texte s’en prend au jugement du Tribunal administratif de Toulouse du 6 juin 2006, faisant enfin droit (après 62 ans de délais de justice !) à la plainte de mon oncle et de mon père contre les directions collabos de l’Etat et de la SNCF, pour leur internement à Drancy, au titre des lois raciales de Vichy, dans des conditions inhumaines. Mon père étant, hélas, décédé à l’ultime étape du procès, c’est ma mère, ancienne résistante, ma sœur et moi, que les médias ont mis en avant. Prétexte, pour H. Levart, à me « déshonorer » pour "jubilation médiatique" !

Et comment ne pas se réjouir, nous, enfants de déportés et enfants de résistants, de cette victoire historique de la résistance et de l’ensemble des déportés contre la bande fasciste et collaborationniste qui dirigeait alors l’Etat comme la SNCF (les Bichelonne, Fournier & Co) ! Car ce procès condamne enfin, non tel haut fonctionnaire isolé, mais bien la Machine Institutionnelle pétainisée elle-même. Et non seulement pour « intelligence avec l’ennemi » mais bien pour traitements inhumains imposés à des supposés juifs.

Du monde entier me parviennent des articles admirant le courage de la France qui ose ainsi affronter son passé. Quelle pitié de voir H. Levart étaler une telle haine. En fait, il décalque purement et simplement la Tribune de Monsieur Gallois, PDG de la SNCF, dans le Figaro du 12 juin, partiellement reprise dans l’excellent dossier de La Vie du Rail du 21 juin. Suivant le même plan que le PDG, M. Levard prétend que
- 1. la direction de l’époque ne pouvait rien faire d’autre, et que
- 2. « la SNCF » c’était la résistance cheminote !

Au contraire, mes parents, leur avocat, le Commissaire du Gouvernement (pdf, 150 ko) (le procureur au Tribunal administratif de Toulouse) avaient souligné le rôle de cette résistance, pour mieux condamner la responsabilité très lourde des chefs collabos de la Sncf qui en rajoutèrent dans le martyre des déportés juifs.

Dès 1942, les communistes distribuaient des tracts dénonçant les camps de la mort. Une déportée, dans "Envoyé spécial" du 15 juin rappelait qu’alors que la direction privait « naturellement » les déportés juifs d’eau (et de nourriture et d’air, pendant des dizaines d’heures, sans ordre en ce sens ni de Vichy ni des nazis). Tandis que les cheminots braquaient sur leurs wagons surchauffés les pompes à eau des gares afin de les rafraîchir un peu... Charles Tillon raconte comment, à Montluçon, en 43, une manifestation de cheminots, après avoir bloqué dix fois la locomotive, permit la libération totale d’un train de déportés (il s’agissait de requis du STO). Un conducteur de locomotive de Montauban, Léon Bronchart, a refusé de conduire un train de déporté : il fût mis à pied de la SNCF et réintégré à la Libération.

Le 12 aout 1944, tous les dépôts de la SNCF parisienne sont en grève insurrectionnelle. On se bat à Austerlitz. Le même jour, la SNCF envoie tranquillement la facture du train de transfèrement de mes parents à la préfecture de Haute-Garonne. Les FFI de Ravanel paieront sans barguigner... Eux savaient ce que signifie « continuité de l’Etat ».

Comme l’a écrit l’historien communiste Maurice Choury, la lutte entre collabos et résistants à la SNCF fut une forme de la lutte des classes. Il est donc piquant de voir publier dans L’Humanité un texte gommant cette lutte des classes, reprenant le discours actuel du PDG Gallois, et, pour faire bonne mesure, tentant d’opposer les uns aux autres, les travailleurs des services publics et les fonctionnaires résistants ! H. Levart conclut en effet par une sorte de concours de beauté opposant la SNCF, qui résista dans "sa grande masse", à la justice, à la magistrature, à la gendarmerie, et à "la police de la capitale, tel l’ouvrier de la dernière heure"... Faut-il rappeler à M. Levart que plusieurs amis de mes parents dûrent leurs vies à ces "policiers de la capitale", qui passèrent la nuit précédant la Rafle du Vel d’Hiv à sonner chez les juifs pour les prévenir de s’enfuir car le lendemain on viendrait les arrêter...

M. Levart suggère, idée absurde, de faire juger séparément les différents corps de l’Etat et entreprises nationales. Le Tribunal de Toulouse a condamné solidairement deux personnes juridiques indépendantes, et deux seulement, l’Etat et la SNCF, parce que la SNCF, elle-même, a plaidé (à tort) à ce procès qu’elle n’était qu’une entreprise commerciale et non un service public, et donc ne relevait pas du droit administratif ! Ce fut pour moi d’autant plus dur à avaler que je défends chaque jour au Parlement européen la SNCF en tant que service public, contre les assauts des ultralibéraux...

Diviser les fonctionnaires entre eux, viser la solidarité entre patronat et salariés contre une famille de supposés juifs : une tactique qui ne vous rappelle rien ? Du PDG de la SNCF, c’est dommage mais compréhensible, et les syndicats de cheminots ne tombent pas dans son piège. Mais que vient faire Henri Levart dans cette galère ? Il est vrai que son texte est émaillé d’autres erreurs. Ainsi le communiste Pierre Semard ne fut pas arrêté par les nazis pour résistance, mais par la République, en septembre 1939, pour soupçon d’intelligence avec l’Allemagne... suite au pacte Hitler-Staline. Semard était probablement contre ce crime de Staline, mais pourquoi aujourd’hui nous raconter des histoires ?

Et si nous affrontions enfin les erreurs du passé pour en éviter le retour ?




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