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> C’est quoi, Papa, un procès "historique" ? (http://lipietz.net/?article1885)
par Alain Lipietz | août 2006 Vert n°8 C’est quoi, Papa, un procès "historique" ?
Procès "historique" ? Il faut expliquer en quoi. De 1944 à 1947, la France libérée procéda à une épuration d’abord sauvage et brutale, puis de plus en plus formelle et quasiment négociée, selon une échelle, en gros, des collabos les moins puissants vers les plus puissants, des femmes tondues aux très hauts fonctionnaires... Vers 1947, tout s’arrête. Les victimes n’ont même plus droit de demander réparation à l’État puisque... Vichy est réputé n’avoir pas eu d’existence légale ! Cette auto-amnistie de l’État était peut-être nécessaire. Elle a permis à de grands collabos d’échapper à la sanction, et aux Français de jeter le manteau de l’oubli sur quatre ans de peur, de passivité et parfois de collaboration. Toute la France était devenue résistante ! Dans les années 1970, sous l’impulsion de quelques historiens (américains...) et quelques artistes (Ophuls, Costa Gavras), la France commença à mettre le nez dans son passé. Avec les procès Touvier et Papon, de haut fonctionnaires furent rattrapés et condamnés, non plus pour « intelligence avec l’ennemi », comme à la Libération, mais bien pour participation à crime contre l’humanité... Car entre temps, la singularité de la Shoah, non pas "détail" de la deuxième guerre mondiale, mais événement noir, quasi philosophique, de l’histoire de l’humanité, s’était affirmé. Mais il s’agissait toujours d’individus (Papon...). Le procès de mon père ouvre une nouvelle étape, la condamnation de l’État en temps que tel. Et, subsidiairement, celle d’un service public qui reste distinct de l’État, la SNCF. Pour les écologistes, c’est en soi une grande victoire que des méga-systèmes, y compris le méga-outil qu’est la SNCF, soient attaqués en tant que systèmes. On n’attaque pas le chef de gare qui a donné le coup de sifflet ou le poseur de rail qui a vissé le boulon, ni même le cheminot qui a verrouillé le wagon, on attaque une machinerie humaine, sous la direction de chefs qui avaient pris la responsabilité de faire marcher l’outil, même au service de la Solution finale. Pas forcément antisémites, ces chefs, mais certainement fous de technique, fascinés par la Reichsbahn, par l’efficacité allemande. Voulant montrer que l’État français pouvait faire aussi bien. Leur crime est là, avant tout : la sanctification des moyens, l’oubli de la moralité des buts. En dessous de cette couche de dirigeants, inutile de savoir qui collabora par peur de perdre son boulot, d’être fusillé, par antisémitisme, orgueil professionnel mal placé, ou respect de la hiérarchie, qui sauva l’honneur en résistant. La Machine est capable de capter toutes les passions et les lâchetés humaines à son service. Cela dit, les critiques que nous recevons permettent de mesurer la largeur du front. L’antisémitisme, bien sûr, nauséeux. Et ce vieux truc : en pleine bataille sur la dérégulation de la SNCF, le PDG, Gallois, par texte envoyé aux cheminots, essaie de ressouder salariés et direction contre des déportés... L’attitude de Gallois (chevènementiste) est aussi représentative d’un autre adversaire : le « républicanisme ». C’est à dire la tendance à réprimer, au nom du citoyen français abstrait, tout ce qui s’oppose à l’identification de la population à l’État. Pro-européens et pro-régionalistes, respectant la diversité culturelle, n’hésitant pas à remettant en cause les vaches sacrées du productivisme, Edf et SNCF, des Verts sont clairement l’adversaire idéal . Dur à avaler, quand, quotidiennement, on défend les services publics au Parlement européen, de se voir objecter par la SNCF que celle-ci n’est pas un service public mais une entreprise commerciale, que donc elle avait raison de se faire payer et ne relève pas de la justice administrative ! Mais des adversaires inattendus ont rallié son camp. Les Klarsfeld : leur travail est maintenant sponsorisé par la SNCF. Mais aussi quelques historiens (pas tous, loin de là !), mandarins de l’histoire contemporaine, qui se sentent dépossédés, non seulement par les législateurs qui délimitent les crimes contre l’humanité, mais par les juges qui pourtant s’appuient sur leur propres travaux pour faire droit aux victimes ! Cette arrogance corporatiste (« Victimes, taisez vous ! Désormais, vos larmes appartiennent aux historiens ») nous a privés d’alliés sur lesquels nous comptions. Une riche expérience, en somme. Douloureuse mais très riche. Sur le Web : Procès Georges LIPIETZ c/ l’Etat et la SNCF |
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