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par Alain Lipietz | 10 janvier 2000

Marianne (version abrégée)
Une troisième gauche
Dans les houleuses assemblées de la Révolution Française, les partisans d’une transformation la plus radicale de l’ordre ancien ont pris l’habitude de se placer sur la gauche : le nom est resté, mais le contenu n’a pas cessé d’évoluer. Chaque nouveau mouvement social redéfinit la droite et la gauche, la direction du "progrès" et donc celle de la réaction. Et chaque gauche nouvelle doit nécessairement se poser la question de son rapport avec les anciennes gauches.

Présente dans le paysage français depuis la candidature de René Dumont aux élections présidentielle de 1974, l’écologie politique cherche à réaliser une harmonie (technocratiquement baptisé " développement durable ") entre les individus, leur activité, et l’environnement (naturel ou créé). De cette notion d’harmonie découle un ensemble de valeurs qui forme le cœur de l’écologie politique : autonomie personnelle, solidarité et convivialité, responsabilité à l’égard de la vie sur la terre et des générations futures ?

Ces valeurs font écho à des valeurs plus anciennes, nées des mouvements émancipateurs précédents, depuis la "Paix de Dieu" jusqu’à l’émancipation des prolétaires, en passant par le "Liberté, Égalité, Fraternité". Mais elles subissent une coloration différente, par la prise en compte de la complexité des interactions du réel, du caractère fini de notre planète, par l’expérience et la rectification d’anciennes illusions, par l’émergence de nouveaux mouvements sociaux, comme celui des femmes ou des peuples indigènes. En ce sens, l’écologie se situe dans le prolongement des anciennes gauches, dans le mouvement toujours recommencé d’humanisation du genre humain, de la lutte pour "changer la vie".

L’écologie doit d’ailleurs se substituer aux anciennes forces de gauche quand elles ont abandonné leur propres objectifs. Face à un PS devenu libéral, elle doit défendre les idées d’égalité, de service public, de satisfaction non marchande des besoins fondamentaux ou collectif. Certes, d’une manière moins bureaucratique, plus autonome, plus autogérée que ne le souhaiterait le PCF.

Mais elle constitue clairement une " nouvelle " gauche par les ruptures fondamentales qu’elle introduit par rapport aux anciennes gauches.

- La rupture avec la vision linéaire du " progrès " héritée du siècle des Lumières. Du progrès des sciences et des techniques ne naîtra pas nécessairement un mieux politique, social et moral. Nous nous éloignons de Descartes et nous nous rapprochons de Pascal.

- La rupture avec l’idée que le progrès humain serait le triomphe des intérêts d’une classe. Chacun d’entre nous doit apprendre à orienter ses désirs dans un sens compatible avec les droits d’un "Autrui" extrêmement large : les exclus, les autres peuples, les générations futures, les autres espèces ?

- La rupture avec l’idée d’un "Pouvoir" qui serait à prendre pour le faire fonctionner au service d’une autre idée du progrès. Il y a des rapports de pouvoir, mais dispersés dans le corps social, il y a des luttes à mener, mais autant en nous que contre des forces extérieures.

Ces ruptures éloignent l’écologie des idées et des forces anciennement étiquetées "de gauche" ou "progressistes". Il s’agit essentiellement d’une rupture avec le productivisme (la croyance que tous les problèmes se résoudront par un surcroît de production répartie plus équitablement) et avec l’étatisme (le passage par l’État pour résoudre tous les problèmes).

Comme René Dumont le posait dès l’origine, l’écologie politique ne peut que s’affirmer à gauche, à côté des vieilles gauches (radicaux, PS et PC), mais doublement différente : quant à la direction (le développement soutenable) et quant à la radicalité. Ce qui l’amène à s’appuyer à la fois sur les couches " éclairées " à la recherche d’une alternative et sur les exclus des modèles périmés.

L’électorat vert tel qu’il ressort des élections européennes est, à cet égard, tout à fait significatif. La liste Cohn-Bendit n’attire que 11% de l’électorat ouvrier et employé, mais perce dans les professions intermédiaires et intellectuelles (15%), chez les jeunes (20%), et même (seule à gauche !) chez les 15% d’agriculteurs qui refusent le productivisme et ses poisons Et cela tout en s’affirmant le second parti des chômeurs (22%) (Sondage SOFRES " Sortie des urnes ").

La nouvelle gauche que dessinent les Verts représente donc idéologiquement, socialement et politique l’alliance des exclus et des " médiateurs sociaux " (les médecins du corps social). Contre ce qu’il est convenu d’appeler, depuis les années 70, la " première gauche ", ils incarnent l’autonomie, le fédéralisme, la libre association des citoyens, les mouvements de société (PACS, cannabis, rénovation de la vie publique, ouverture aux immigrés). Mieux que la " seconde gauche " (girondine), ils combattent l’exclusions sous toutes ses formes (sexuelle, économique, raciale) et l’épuisante aliénation du travail salarié. Nouveauté radicale : ils affirment la responsabilité humaine à l’égard des générations futures et de la vie sur la planète. Ils constituent, si l’on veut, une " troisième gauche ".

Alternative au social-libéralisme, l’écologie politique ne pourra modeler le champ politique, elle ne pourra redéfinir, aux yeux de la société, "la droite et la gauche", que si, derrière les mots, elle s’attache aux contenus, aux pratiques réelles.




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