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Accueil  > Vie publique > Articles et débats > Rester sur une logique d’aide à l’offre du tiers-secteur (http://lipietz.net/?article207)

par Alain Lipietz | 1er mars 2000

Info-réseau (journal du Comité National de Liaison des Régies de Quartier) N°19
Rester sur une logique d’aide à l’offre du tiers-secteur
Économiste au Cepremap et député européen, Alain Lipietz a été chargé en septembre 1998 par Martine Aubry d’une mission sur "l’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale". Pour Info-réseau, il a accepté d’éclaircir cette notion d’utilité sociale qui est au cœur de l’activité des Régies.

Info-réseau : Votre rapport d’étape à Martine Aubry, rendu public début 1999, définit le tiers-secteur à partir de son "utilité écologique et sociale". Quel sens donnez-vous à ce concept ?

Alain Lipietz : Je suis parti du constat que de nombreuses activités ? de services notamment ?, tout en desservant un client particulier, suscitent tout un halo d’effets sociétaux positifs : plus de solidarité, de sécurité, d’éducation, etc. Les économistes connaissent bien ce type d’"effets externes", mais généralement ce sont les effets négatifs qu’ils soulignent : on met en lumière, par exemple, les conséquences néfastes pour l’environnement de telle ou telle activité.
Dans le cas du tiers-secteur d’économie sociale et solidaire, c’est l’inverse : l’existence même de ce secteur apporte un avantage collectif à la société, qui le dispense de régler tout ou partie de sa contribution socio-fiscale et peut même justifier des subventions permanentes. Par exemple, une structure qui n’embauche comme salariés que des chômeurs de longue durée et des gens en difficulté remplit une utilité sociale évidente mais difficile à chiffrer dans la mesure où, aujourd’hui, les risques et les coûts de la réinsertion ne sont pris en charge par personne.

Cette situation n’est-elle pas l’héritage du bénévolat qui a longtemps prévalu dans les activités sociales ?

A. L. : Naturellement. En faisant mon rapport, j’ai essayé de me rappeler de la société que j’ai connue dans mon enfance, au milieu des années 50. A l’époque, nous avions un niveau de vie bien inférieur à celui d’aujourd’hui, mais la convivialité et la solidarité étaient plus vives, plus spontanées. Tout métier s’auréolait d’un certain nombre de tâches qui n’étaient pas prévues explicitement mais qui allaient de soi : il allait de soi, par exemple, que le cantonnier surveille les enfants à la sortie de l’école. Aujourd’hui, la société est tellement atomisée que ça ne va plus de soi. Inutile de songer revenir en arrière : il nous faut reconstruire cette solidarité et cette utilité sociale sur des bases volontaristes. Ce n’est ni la logique du "chronomètre", propre au secteur marchand, ni celle du "fonctionnaire" qui peut le faire. Le tiers-secteur a donc un rôle irremplaçable à jouer : défricher le champ immense des services communautaires en associant "bénévoles-citoyens" et "permanents-salariés".

A quels critères peut-on reconnaître le caractère d’utilité sociale d’une activité ?

A. L. : Le premier de ces critères, le plus simple aussi, c’est la non-existence de cette activité. Dans bien des cas, des services d’utilité sociale n’existent pas simplement parce qu’ils sont trop chers à assurer pour le secteur marchand. Si l’on se contente de faire payer le client, le service ne sera pas produit. Et l’on se privera ainsi du "suproduit social" que renferme cette activité.
Il arrive, bien sûr, que la situation évolue au fil des ans : ainsi, les loisirs populaires qui, à l’origine, n’intéressaient que des associations ont progressivement été pris en charge par des entreprises privées.

Un problème que rencontrent aujourd’hui les Régies de Quartier sur certaines de leurs activités ?

A. L. : Les Régies se heurtent à ce que j’appelle un phénomène d’"écrémage". De quoi s’agit-il ? D’isoler d’une activité générale ? dans laquelle les services offerts et les effets sociétaux positifs sont intimement liés ? certains services ponctuels ou certains segments de clientèle qui, eux, peuvent être rentabilisés dans une stricte logique marchande : cela aboutit purement et simplement à casser tout le "halo sociétal" positif généré par cette activité.
Je prendrais un exemple, qui ne concerne pas directement les Régies : celui de l’aide à domicile pour les personnes dépendantes. Si on isole le segment "haut de gamme", dans une logique de rentabilisation, la prestation se transformera en simple "livraison à domicile".

Certains n’objectent-ils pas que l’on peut solvabiliser ces activités en soutenant la demande plutôt que l’offre ?

A. L. : C’est l’argument préféré des partisans du secteur marchand. Ils aiment rappeler qu’en matière de logement social, on est passé de l’"aide à la pierre" à l’"aide à la personne". En ce qui concerne les activités d’utilité sociale, on est loin d’être arrivé à ce stade. De plus, si le tiers-secteur, après avoir exploré de nouveaux services, devait les abandonner au secteur marchand une fois la demande solvabilisée, on peut parier que ce ne serait plus les mêmes services, car on abandonnerait toute la dimension de recréation du lien social qu’ils renferment. Le livreur de plats cuisinés d’une société privée ou le jardinier d’un office d’HLM n’a pas vocation à discuter avec une habitante, à surveiller des enfants ou à calmer une dispute : seules des structures comme les Régies sont capables de féliciter leurs salariés lorsqu’ils abandonnent un instant leur activité technique pour se préoccuper de médiation. Cette capacité à restaurer du lien social constitue la principale justification des spécificités réglementaires et fiscales du tiers-secteur. Il faut rester clairement sur une logique d’aide à l’offre des activités d’utilité sociale.

Comment appréciez-vous la pertinence du dispositif "nouveaux services, emplois jeunes" ?

A. L. : D’abord, il faut avoir en tête que les emplois jeunes sont subventionnés au maximum : l’État restitue à l’employeur tout ce que lui coûterait un chômeur. En contrepartie, naturellement, on attend de la structure qui embauche le jeune le maximum d’effets induits positifs pour la collectivité. Les nouveaux services font apparaître des activités qui ne sont pas solvables par la seule logique marchande, mais dont la suppression, demain, entraînerait hurlements et protestations. Par nature, ces services et ces emplois doivent trouver leur pérennisation à travers des structures du tiers-secteur.

Quelles sont les suites prévisibles de votre rapport d’étape ?

A. L. : Des consultations régionales sont aujourd’hui organisées, à l’initiative du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, du ministère de l’Aménagement du Territoire et de la DIISES (Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale). Ce travail débouchera sur un certain nombre de propositions qui, logiquement, ne devraient pas aller dans le sens de la création d’un nouveau statut, mais plutôt vers un assouplissement des différents statuts actuels. L’enjeu est de consolider les prérogatives fiscales dont bénéficient les structures de l’économie solidaire et de faciliter leur accès aux fonds propres afin de permettre au tiers-secteur de prendre tout son essor.




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