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par Alain Lipietz | 27 avril 2000

Politis
Le goût des autres et la crise gouvernementale
Étonnante, cette chute du gouvernement Jospin I. Elle a semblé trouver sa source uniquement dans le symbolique. Dans le réel, tous les clignotants sont au vert : croissance, emploi, réduction des déficits, inflation, commerce extérieur ? Ce gouvernement n’a chuté que sur son changement d’image et des fautes de com’ !

Changement d’image ? À l’accord Verts-PS de 97, aux séminaires de la " chouette équipe ", à la concertation, semblèrent succéder les " arbitrages " d’un sphinx conseillé par quelques hiérarques du PS, et de ministres qui eux-mêmes semblaient vouloir réformer en force. Les élections partielles l’ont montré : ce nouveau dispositif ne rassemble pas au second tour.

Fautes de com’ ? De Chevènement, grillé par sa sortie sur les " sauvageons ", jusqu’à Lionel Jospin appelant " terroristes " des hommes en lutte contre une armée d’occupation, dans un pays où les mots comptent autant que ce qui est dit, l’effet Allègre semble avoir contaminé tout le gouvernement. Chacun de ces écarts, une fois décodé, peut trouver une justification. Mais l’effet d’ensemble est saisissant, il fait système avec le changement d’image et, derrière le symptôme, laisse apercevoir la souffrance réelle infligée : ce gouvernement semblait avoir perdu " le goût des autres ".
Justement, un film portant ce beau titre fait fureur. Que nous dit le succès du Jaoui ? Que la France, en même temps qu’elle recommence à rêver de plein emploi (elle qui, il y a cinq ans, gobait " la fin du travail "), la France donc commence à envisager timidement la possibilité, si chacun y met du sien, de retrouver un jour l’ambiance des films du Sautet des années 70. Quand ouvriers, petits patrons, intellectuels et belles égéries couraient joyeusement sous la pluie de cafés en cafés. Ce monde des Reggiani-Montand-Frey-Schneider avait explosé publiquement dans " Quelques jours avec moi " : quand la crise et la déchirure sociale des années 80 sonnèrent le glas de l’unanimisme interclassiste.

En votant et revotant pour une coalition PS-Verts-PCF (les 3 et dans cet ordre !), la France du tournant du siècle signifie qu’elle veut et la prospérité et la convivialité, et pourquoi pas, la fête ? Elle se fiche de l’" e-Europe ", du " e-commerce " et autres balivernes du Sommet de Lisbonne. La France veut des chefs d’entreprise, fils d’immigrés, qui pleurent au renvoi de Bérénice et subventionnent l’art contemporain. La France monte l’Hippolyte d’Euripide à Valenciennes. Elle aurait aimé la régularisation de sans-papiers au lendemain de la victoire de l’équipe Zidane, Thuram et les autres. Et, faute de cela, elle redevient corporatiste et raciste : " à moi la cagnotte ! ". Le ministre Sautter est tombé, comme Lafontaine, en plein conflit avec le patron de la Banque Centrale Européenne ? mais sous les coups de syndicats décidés à conserver la carte des perceptions de 1950.

Même la paranoïa anti-Allègre de certains enseignants (" il voulait supprimer le grec, le français, l’histoire, les maths, la dissert’ et les concepts") est symptomatique. La France veut du SENS, quoi ! " Qu’est-ce qu’on fait là ? " Et le sens (logos), c’est aussi le Verbe, car il n’y a pas de sens sans communication avec l’autre. Bien sûr, le Verbe sans le réel, c’est du baratin. Que le secteur public et les petites entreprises restent exclus des 35 heures, que les 10 % de chômeurs végétent avec des subsides minables (et encore, s’ils ont plus de 25 ans !), tout cela paraît incroyable à l’heure de la cagnotte et de l’excédent commercial. Mais ce qui manque le plus est ce réel qui donne sens : la production d’institutions gérant " le goût des autres ". Ces institutions (régies de quartier, troupes de spectacle vivant, association d’entraide, etc.) figuraient bel et bien dans le programme Verts-PS sous le nom de " tiers -secteur ". Contre vents et marées, contre Bercy et ses " Instructions fiscales ", elles maintiennent le flambeau de ce qu’on appelait jadis le " socio-cul ". Les ministères Aubry et Voynet, la Délégation à l’Innovation sociale achèvent actuellement sur ce thème des rencontres régionales qui drainent des milliers d’innovateurs sociaux. Mais, dans le discours du sommet, c’est le silence glacé des grands équilibres ?

En confiant aux Verts, un an après leur succès électoral, le strapontin de l’Economie solidaire, Lionel Jospin s’est-il rendu compte qu’il ne pouvait leur faire meilleur cadeau ?




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