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> La planification française a-t-elle encore un avenir ? (http://lipietz.net/?article329)
votre référence : [1996t] " Globalisation, mondialisation, concurrence : la planification française a-t-elle encore un avenir ? " (avec D. Voynet), Colloque pour le Cinquantenaire du Commissariat Général du Plan, Sorbonne, 23-24 Mai. (art. 329).par Alain Lipietz , Dominique Voynet | 23 mai 1996 Globalisation, mondialisation, concurrence La planification française a-t-elle encore un avenir ? Colloque pour le Cinquantenaire du Commissariat Général du Plan
Les écologistes, comme la plupart des économistes et des sociologues de bon sens, reconnaissent la nécessité d’un pluralisme dans les modes de production (salariat public, privé ou coopératif, petite production autonome, entraide de voisinage, activité domestique) comme dans les modes de régulation : marché, règlements, conventions,... et planification publique. Durant cinquante ans, en France, cette dernière s’est illustrée sur deux volets. Le premier, le plus connu et auquel on a eu trop tendance à réduire "le Plan", c’est la détermination raisonnée des grands projets d’équipement, des grandes infrastructures publiques. Le second, qui fait l’originalité de la "planification à la française" héritée de la Libération de 1945, c’est l’existence d’un lieu permanent de dialogue entre les groupes sociaux, pour la construction d’un certain consensus national sur le modèle de développement à adopter, par delà les divergences sur les rythmes et sur le partage des bénéfices de l’activité commune. Ni l’une, ni l’autre de ces missions ne nous semble devoir être remise en cause par la "globalisation". Bien au contraire, celle-ci appelle un surcroît de réflexion et de concertation au niveau national (comme d’ailleurs, tout aussi bien, au niveau régional !) La société a plus que jamais besoin de se concerter, de préparer les choix majeurs, pour s’insérer dans le tourbillon de l’économie mondialisée, de la manière la plus conforme à l’harmonie sociale (au sein de la génération présente) et au respect des droits des générations futures : ½ que l’on appelle aujourd’hui développement soutenable. Le Plan, plus que jamais, doit revenir à la définition qu’en donnait Pierre Massé : un réducteur d’incertitude. I - LE PLAN, INITIATEUR DES GRANDS PROJETSA la Libération, la France était encore plus dépendante de l’extérieur qu’aujourd’hui. Tout était à rebâtir, avec une "contrainte extérieure" de fer : les crédits du Plan Marshall. Du besoin de planifier la Reconstruction est né le Plan. L’ambition était l’édification d’une économie nationale relativement autonome. D’un point de vue écologiste, on peut critiquer les choix qui ont été faits, encore que l’on ne puisse critiquer les planificateurs de l’époque pour être restés sourds... à une contestation écologiste alors quasi-muette ! Mais on ne peut arguer de ce que l’économie se soit aujourd’hui ré-internationalisée pour en déduire qu’il n’y ait plus à planifier les grands projets à l’échelle d’un pays (ou, encore une fois, d’une région). Que signifieraient alors les discours sur la subsidiarité ? En réalité, le démantèlement du rôle du Plan à partir des années 1970 fut un processus endogène à la société française, à son "mode de gouvernance". Successivement, de Grandes Entreprises Nationales (EDF, SNCF, Compagnie Nationale du Rhône...), filles du Plan, se sont émancipées de lui, puis de grands monopoles privés ou semi-publics se sont constitués en lobby nouant des alliances féodales avec ces "Etats dans l’Etat". Les grands ministères techniques (Equipement, Industrie, Agriculture) sont eux-mêmes devenus des principautés négociant directement avec le Grand Argentier : le ministère des finances. Les accords internationaux (construction européenne, GATT) n’ont fourni qu’une rhétorique à la privatisation technocratique de ces corps de l’Etat, ou des monopoles issus de lui, devenus indépendants, et n’ayant bientôt même plus à payer un tribut verbal à leur "mission de service public". Ainsi, de manière très technocratique mais non "planifiée", se sont imposés : le tout-électrique et le tout-nucléaire, le tout-automobile et le tout-autoroute, le tout-TGV contre les lignes secondaires, etc. Sans parler de projets farfelus et ruineux, surgis on ne sait d’où, malgré la discrète réprobation de la plupart des organes d’expertise publique : tels la filière sur-régénératrice ou le Canal Rhin-Rhône. Et nous n’évoquons même pas les grands chantiers qui n’ont pas émergé, faute que leur utilité sociale ait été affirmée et que le Plan leur ait donné le sceau de "l’ardente obligation" : énergies renouvelables, transports en commun urbains, ferroutage, etc. Notre proposition – Le Plan doit redevenir le chef d’orchestre des grands-projets matérialisant, sur le territoire français et par subsidiarité, les engagements de l’Union Européenne pour "l’Impératif Environnement" et les engagements du Sommet de Rio pour le Développement Soutenable.
II - LE PLAN, ARTISAN DU CONSENSUSLoin d’avoir homogénéisé les préférences nationales, la globalisation de l’économie s’est appuyée sur les différences nationales et a révélé l’inégale efficacité des trajectoires nationales. Les "pays qui gagnent" en terme de compétitivité structurelle de la nation ne sont nullement les pays anglo-saxons où a triomphé la dérégulation et la concurrence individualiste, mais les pays du "capitalisme rhénan" ou de "l’Arc Alpin" -Italie du Nord incluse, ou encore le Japon, ou même la Corée. Autant de sociétés où prévaut une culture de "réciprocité" et de "partenariat" en face des difficultés communes. Les Français s’émerveillent de ces succès, invoquant un héritage culturel... alors que ces modes de "gouvernance" efficients sont cristallisés dans des institutions. La France disposait de ce type d’institutions : le Plan, le Conseil Economique et Social, et les a laissé dépérir. Pourtant, ils n’avaient pas démérité. Dans les commissions du Plan se sont testées, rodées, pendant les Trente Glorieuse, des démarches communes, des procédures d’arbitrage entre groupes sociaux, et finalement une vision commune du Progrès, cadrant de possibles compromis pour les crises les plus graves. Encore une fois, on peut critiquer la conception du Progrès prévalant à l’époque. Il s’agissait de "partager les fruits" d’une croissance exclusivement matérielle que l’on voulait la plus rapide possible. Il s’agit aujourd’hui de s’accorder sur les modalités d’un développement soutenable, au double sens du mot : assurant bien-être et dignité pour tous, aujourd’hui, en résorbant la "fracture sociale", et respectant les intérêts des générations futures. Telle n’est certes pas le credo d’une "pensée unique" à dominante anglo-saxonne. Ce n’est pas un hasard si des écoles de pensées plus soucieuses de l’intérêt général et de l’harmonie sociale (écoles post-keynésiennes, théorie de la Régulation) ont pu se développer au sein de centres de recherche étroitement liés au Plan (Cepii, Cepremap...) et ont su offrir, à ceux qui voulaient encore penser la sociabilité française, quelques outils intellectuels. Où donc a-t-on pu voir, si ce n’est dans les commissions du XIe Plan, patronat, syndicats, écologistes, discuter pendant de longs mois de la réduction du temps de travail ou de la prévention de l’effet de serre, convoquer experts et modèles économétriques, pour parvenir quand même, de mouture en mouture, à des textes fragiles mais unanimes, ébauchant d’éventuels compromis après avoir fait le tour des divergences ? Saurons-nous éviter qu’au nom de la globalisation soit balayée toute réflexion visant à prévenir la dislocation d’une communauté d’hommes et de femmes qui, tant bien que mal, respectent encore une certaine légalité républicaine, parce qu’ils s’accrochent encore à la foi en un avenir commun et mutuellement avantageux ? Si oui, cela passera par un lieu d’observation et de débat permanent, dont la "Planification à la française" a fourni le modèle. Elle ne demande qu’à redevenir elle-même. Nos propositions – Le Commissariat Général du Plan doit devenir à la fois l’observatoire général de la fracture sociale et la tête pensante du développement soutenable.
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