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par Alain Lipietz | 24 décembre 2015

La discrimination des multinationaux : trahison de notre passé et de notre avenir
Finalement, François Hollande a donc repris l’amendement proposé par le FN à la constitution : le droit de retirer la nationalité française aux terroristes bi-nationaux nés Français. Parlons concrètement : je me sens concerné, et consterné.

J’ai quatre petits-enfants, deux “Français simples”, deux tri-nationaux (nés de parents de nationalités différentes, dans un pays tiers), tous les quatre instruits par l’Éducation Nationale française, tous les quatre ayant un père originaire de pays “ genre… vous voyez”.

Supposons que, quand ils auront vingt ans, une Le Pen soit Présidente, qu’ils forment à eux quatre un Noyau Autonome de Résistance Démocratique, et que par atavisme, suivant l’exemple de mon grand-père – premier acte de Résistance à Avallon – ils déposent devant la porte du l’Élysée un cadavre de poule avec l’étiquette “J’aime mieux crever que pondre pour toi.” Supposons qu’ils se fassent pincer.

Eh bien ! Deux d’entre eux pourront etre privés de la nationalité française mais pas les deux autres.

Mais au fait ! Je suis né quelques mois après le mariage de mes parents, en 1947. Mon père a ainsi acquis la nationalité française. Si mes parents s’étaient comportés comme mes filles (ô tempora ! ô mores !), ils se seraient mariés après avoir eu leurs enfants, et je serais bi-national.

Supposons alors que, comme tant de jeunes intellectuels de l’époque, j’aie porté des valises pour le FLN (vous savez, ces “citoyens français à part entière” des départements algériens qui commettaient des actes de terrorisme afin de perdre la nationalité française, ce que la France leur refusait à l’époque par la force des armes). Supposez que je me sois fait pincer. Avec l’amendement FN, j’aurais pu, ou non, perdre ma nationalité française selon la date à laquelle mes parents auraient choisi de se marier.

Où veux-je en venir ? À ceci : que l’amendement FN repris par Hollande institue deux catégories de Français, selon le hasard de la nationalité de leurs parents à leur naissance.

Certes, la privation d’une nationalité ne viole pas, pour un-e binational-e, le principe inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, Article 15 : “1. Tout individu a droit à une nationalité. ». Mais il viole le paragraphe suivant « 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité », puisque cette privation ne dépendrait que d’une circonstance arbitraire, totalement indépendante de l’acte commis et sanctionné par l’allégué terroriste : le statut de ses parents au jour de sa naissance. Il viole surtout un principe beaucoup plus fondamental : « Article premier. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Article 7. Tous sont égaux devant la loi. » Les criminels aussi, c’est d’ailleurs pourquoi la Justice française a compétence sur eux.

Bien sûr, c’est précisément ce que conteste l’amendement FN-Hollande. Pour eux, un Français né d’au moins un parent étranger, ou né à l’étranger, n’est pas tout-à-fait français. Il est a priori suspect de sympathie pour l’étranger, et s’il est puni de prison pour « association de malfaiteurs à visée terroriste » on peut lui rajouter une seconde peine : la privation de nationalité et l’expulsion vers le pays maternel ou paternel. Ou celui de sa naissance (on ne sait pas encore si il s’agira de tous les binationaux, ou seulement ceux qui sont Français par le droit du sol, ou aussi les Français nés à l’étranger de parents français).

Soit l’irruption dans le droit français d’une sorte de “présomption éthniciste de déloyauté nationale”, comme jadis pour les Alsaciens, comme si les Auvergnats devaient être a priori soupçonnés d’une tendance à l’intelligence avec l’ennemi, du fait des agissements de Pierre Laval.

Lorsque j’ai avancé ces arguments sur les réseaux sociaux, j’ai recueilli plusieurs objections.

1. Certains, rares, ont avancé un argument technique : il est plus facile de repérer d’éventuels récidivistes, terroristes déjà jugés et privés de la nationalité, car ils n’ont plus le passeport français. Cet argument est contesté par les policiers. D’abord, les terroristes de 2015 n’étaient pas, pour la plupart, binationaux. Le terrorisme jihadisme est en France un phénomène endogène à la société française, et si les “origines” y jouent un rôle (mais pas toujours : voir mon article “Daech et notre jeunesse”), c’est plutôt, selon Olivier Roy, une dérive identitaire de la “deuxième génération” : donc des Français nés en France de parents français. Et les terroristes ont fait la preuve de leur facilité à passer les frontières. Cette mesure est sans utilité pour la sécurité.

2. La plupart l’ont évoqué comme sanction. Punition pure, car, contrairement à la prison, elle ne joue aucun rôle dissuasif : un partisan de l’État Islamique de Mossoul ne se soucie pas plus de sa nationalité française qu’un combattant du FLN algérien. A moins qu’il ne rêve d’un émirat français, mais alors nous sommes dans le cadre d’une lutte politique franco-française, un complot conte la République, et il existe déjà une peine pour cela : l’Indignité nationale, appliquée jadis aux criminels vichystes.

Ceux qui invoquent l’argument de la sanction avancent l’argument : “La nationalité, ça se mérite”, sans l’illuster par leur propre cas. Il s’agirait d’un pacte entre l’individu et la Nation. Or, sauf dans le cas de la nationalité acquise par mariage (où le conjoint étranger a du moins le “mérite” d’avoir plu à un ou une Française), l’écrasante majorité des Français ne se sont donné que la peine de naitre. Ils n’y sont pour rien, qu’ils soient Français par le sang ou par le sol.

La nationalité ne se « mérite » pas. Elle se constate, par des règles automatiques prévues par des lois fort anciennes, de l’époque où les États cherchaient à accroitre leur puissance et leur population par tous le moyens. Elle donne automatiquement des droits et des devoirs, et c’est cela le pacte social, interne à la communauté des Français. On peut arguer que, ces devoirs étant violés, on pourrait la retirer, mais cela vaut ou pour tous les Français ou pour aucun. Tous les Français sont égaux devant la loi, quelle que soit la nationalité de leurs parents, ou leur lieu de naissance.

3. En réalité, la plupart des arguments du second groupe dérivaient rapidement vers une critique de la multi-nationalité. Il faudrait choisir entre les droits que vous donnent le sol et le sang (qui peuvent aboutir à la tri-nationalité de naissance, comme pour mes petits-enfants.)

Certains, rétablissant le suffrage censitaire, vont jusqu’à suggérer que pour avoir le droit de vote (attribut principal de la nationalité, puisque pour tout le reste, y compris les impôts, la loi nationale concerne tous les résidents, même de passage) il faudrait payer l’essentiel de ses impôts en France, ou avoir “contribué à la Nation” par quelque autre fait glorieux. Je ne sais où mes petits tri-nationaux feront carrière. Peut-être épouseront-ils encore dans d’autres pays (acquérant ainsi une quatrième nationalité). Leurs parents en tout cas ont travaillé et travaillent toujours dans et pour divers pays, leur mère en particulier ayant contribué à l’édification d’un pays “arc-en-ciel”, l’Union Sud Africaine, dont elle n’a pas eu la nationalité, et leur père, sans y être pour rien, ayant perdu la nationalité yougoslave pour une autre plus restreinte.

L’espace national sera de moins en moins l’espace de nos vies, de nos itinéraires professionnels, de nos amours. La France elle-même n’est plus seulement terre d’immigration, mais d’expatriation voire d’émigration. Veut-on sanctionner, par l’intermédiaire de leurs enfants, nos compatriotes partis travailler dix ans à l’étranger qui y auront "rencontré quelqu’un", mis au monde leurs enfants ? Les Françaises "fautant" avec un professionnel né étranger ?

En attendant la République universelle, il faut s’en réjouir : dans notre monde globalisé, la multi-nationalité va devenir la règle et non l’exception. Introduire dans la constitution une discrimination contre les multinationaux est non seulement une trahison de notre passé, mais de notre avenir.




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