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par Alain Lipietz | 4 février 2010

Conférence-débat organisée par Alternatives-Economiques
Entre Pittsburgh et Copenhague. La crise : où en est-on ?
17 novembre 2010
A l’occasion de son assemblée générale,
l’Association des lecteurs d’Alternatives Economiques
organisait un débat :
Entre Pittsburgh et Copenhague
La crise : où en est-on ?
Avec :
- Jean-Baptiste DE FOUCAULD,
président-fondateur de Solidarités nouvelles face au chômage ;
- Jean-Christophe LE DUIGOU,
secrétaire national de la CGT ;
- Alain LIPIETZ,
économiste, ancien député européen, Les Verts ;
- André ORLEAN,
économiste, directeur de recherches au CNRS.

Débat animé par Christophe FOUREL,
président de l’Association des lecteurs d’Alternatives Economiques.
Voici l’intervention liminaire de Alain Lipietz.

Je crois qu’il est fondamental de comprendre que cette crise n’est pas d’abord une crise de la finance et de la régulation. Il y a aussi une crise de la finance et de la régulation, c’est bien évident, mais comme l’a dit André Orléan, elle ne fait que refléter des tensions plus profondes, y compris dans des mécanismes de perversion qu’il vient d’évoquer.

Ce qui est en crise, c’est un modèle de développement, le « libéral-productivisme », qui prévaut depuis 1980, qui a « marché », qui a connu des succès éclatants, souvent pénibles pour les travailleurs (mais un modèle de développement capitaliste n’est pas fait pour être gentil avec les travailleurs, là ce n’était pas le cas !). En tout cas, ce qui marchait des années 1980 à 2000 pour les capitalistes et entré en crise grosso modo vers 2005, et les tensions qui se sont accumulées ont éclaté avec une crise de la finance. Celle-ci avait d’abord accumulé des crédits de façon irresponsable, pour compenser les tensions qui se manifestaient. La montée du crédit a joué le rôle de la montée de l’inflation lors de la crise du Fordisme dans les années 1970 : un moyen de différer la crise quelque temps. Puis est arrivé à la crise du marché interbancaire : les banques avaient tellement de défiance les unes vis-à-vis des autres, chacune soupçonnant l’autre de tomber en faillite le lendemain, que cela a provoqué un blocage total, vers la fin de l’été 2008.

Cette crise du marché interbancaire est terminée. Maintenant, on arrive à une couche moins dramatique mais plus grave. L’endettement faramineux des banques, qui a été remplacé assez largement par l’endettement de l’Etat qui a prêté aux banques, traduisait une insolvabilité du fait que le système ne « bouclait » plus, que le régime de croissance est en crise. Et c’est le fait que ce système ne boucle plus qu’il faut travailler maintenant, et ça, ce n’est pas du tout fini, au contraire ça s’aggrave. Ca c’est aggravé, et non pas purgé, y compris dans la première année de la crise, si l’on considère qu’elle s’ouvre officiellement en septembre 2008.

Cette crise de fond du modèle de développement est extrêmement intéressante parce qu"’elle combine plusieurs crises du passé de façon totalement inattendue.

Premièrement, elle a énormément d’aspects de la crise de 1930. les économistes ont montré que la crise de 1930 venait du fait que la productivité augmentait, mais comme le pouvoir d’achat n’augmentait pas, on avait une surproduction et on a été obligé de jeter la production à la poubelle. La solution ne se met en place qu’après 1945 (à travers, quand même, une guerre mondiale), : on va augmenter régulièrement le pouvoir d’achat des travailleurs. Il y a beaucoup de ça dans la crise actuelle, c’est pourquoi les solutions de type « New Deal » axée sur la redistribution ou la demande publique ont tellement de prestige. On en parle, mais on n’a pas commencé à le faire ! Au contraire, vous avez vu les derniers chiffres : la déchirure des classes moyennes a continué, vers les plus riches et vers les plus pauvres. On n’a rien fait depuis.

Deuxièmement, cette crise présente des aspects beaucoup plus anciens, ce que Labrousse et Braudel appelaient les « crises de subsistance ». C’est-à-dire que la Terre, cette mère de toutes les richesses si le père en est le travail, n’arrive plus a soutenir la façon dont les humains l’exploite. Côté énergie, c’est assez connu. Côté nourriture, cela mérite qu’on s’y arrête. Cela se précise de façon très claire en 2006/2007/premier semestre 2008. Le rapport de la FAO qui vient d’être publié confirme que ça continue, que ça s’aggrave en 2009. La crise dite de subsistance dont la dernière manifestation en France, en 1848, a provoqué la révolution et la Seconde République, qu’est-ce que c’est ? A un moment donné, il n’y a plus assez de récoltes, donc ça crée du chômage rural, les salaires ruraux s’effondrent et du coup ils ne peuvent plus acheter de textile, les salaires ouvriers dans les villes s’effondrent aussi et ainsi de suite… Pourquoi aujourd’hui la crise alimentaire ? Pour de multiples raisons. Dérégulation des marchés agricoles, absence de maîtrise de la plupart des pays sur leur propre production alimentaire. Débuts de la crise de l’effet de serre qui commence à s’installer de façon permanente (avec la sécheresse en Australie et ce « grenier » majeur de la planète qui tombe en panne). La façon même dont les capitalistes luttent contre la crise de l’effet de serre, avec les agrocarburants, qui consomment des terres arables au détriment des cultures nourricières. Le fait que dans la grande période libérale-productiviste des pays sont devenus riches, ou plus exactement une minorité de ces pays sont devenus riches, mais vu leur taille la croissance de la pression sur le marché mondial est énorme. Je pense à l’Inde et à la Chine, si vous avez 120 millions de Chinois c’est-à-dire 1/10ème de la population qui accède à un modèle de vie européen, ils se mettent à manger de la viande par exemple, et la viande utilise 10 à 15 fois plus de surface que les protéines végétales. Pareil en Inde.

Si vous additionnez tout ça, évidemment vous avez une montée vertigineuse du prix de la nourriture et de l’énergie, ce qui fait que Mme Jones, aux Etats-Unis, qui a contracté un crédit subprime pour se loger, n’arrive plus à payer à la fois son logement , sa nourriture et son carburant, et vous avez la crise des crédits subprime. Mais dans le Tiers-Monde c’est les émeutes de la faim. Et dans le dernier rapport de la FAO, préparatoire à la réunion qui va avoir lieu cette semaine, il apparaît que part de l’humanité en position de disette a dépassée 1/6ème . En chiffre absolu, c’est plus d’un milliard d’humains, mais ce qui est le plus important c’est le 1/6ème en proportion : du jamis vu depuis qu’on a des statistiques.

Mais il n’y a pas que la nourriture, il y a l’énergie. Vous avez vu la montée vertigineuse du prix du pétrole, à peu près pour les mêmes raisons. Le modèle de développement était fondé très largement sur le pétrole à bon marché, on a pas su le reconvertir à temps (après les chocs pétroliers des années 70, ou encore dès le début du 3eme choc en 2000), et on a cette explosion de la consommation vers 2006/2007/premier semestre 2008, puis un effondrement, évidemment, avec l’effondrement économique. Mais il suffit que l’effondrement économique s’arrête avec même une une toute petite reprise pour qu’on répercute le « mur du pétrole » avec son double aspect : comme source d ‘énergie qui commence à se raréfier par rapport à la demande, puis comme déchet de la combustion, avec l’accumulation de CO2 provoquant la crise du climat. On est vraiment coincé.

Quand on regarde plus profond, on s’aperçoit que d’autres aspects du modèle de développement sont également en cause, dont le paradigme technologique. On a une forme de Taylorisme que j’appellerais culpabilisateur, il est plus tant fondé sur des temps prescrits par les ingénieurs du bureau des méthodes que sur une pression, qu’on appelle stress ou crash management : toutes les formes de management par la crainte, la menace, la culpabilisation aussi. Et actuellement, un peu comme vous aviez en 2008/2009 un tas de documentaires sur la crise alimentaire, vous avez des documentaires télé sur la crise du processus du travail lui-même – sur le fait que ça tue, ça rend malade, ça pousse au suicide, ça pousse à la dépression.. Le modèle tayloriste-culpabilisateur rentre lui-même en crise.

On voit l’extrême profondeur de la crise : on a une crise au niveau du travail, une crise au niveau de l’énergie, une crise au niveau alimentaire, une crise au niveau de la distribution -la richesse s’accumule dans un sens et la pauvreté à l’autre bout. Et ce n’est pas fini ! Il y a des crises qui viennent de la mondialisation elle-même. Sur chacune de ces 4 premières crises on pouvait jadis trouver une réponse nationale, là où il y a un espace politique, à la limite on peut même trouver une solution européenne. Mais on ne peut pas dés l’instant que l’on n’a pas de moyens de régulation mondiaux. On essaie d’en faire un sur le climat, c’est Copenhague, mais pour tous les autres… Essayer de réduire l’intensité du travail, essayer de réduire l’échelle du revenu à l’échelle mondiale, tout cela demanderait une coordination fiscale et sociale, des normes de travail, une montée en puissance du syndicalisme dans les nouveaux pays industrialisés et tout ça pour l’instant est très loin d’être à notre portée.

Si l’on fait la comparaison avec la crise de 1929 on est en 1930/31, on est encore très très loin de la sortie de la crise.



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