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par Alain Lipietz | 19 avril 1995

Libération
Ecologie et solidarité, l’alchimie Voynet
Clouée au sol depuis des mois par la gesticulation de deux anciens leaders de l’écologie, Dominique Voynet opère, à la faveur de la campagne officielle, une remontée aussi inattendue que tardive, sensible dans les derniers sondages publics, sur les marchés, dans les succès de ses meetings.

Quatre facteurs, qui expliquaient son insuccès prolongé, sont en effet en train de s’estomper :

- Presque totalement inconnue du grand public, même pas cotée aux Guignols, elle commence seulement à se faire un nom et une image.
- Porte-parole d’un mouvement écologiste ridiculisé par la division que sembleraient entretenir les ambitions individuelles de Waechter et de Lalonde, elle profite enfin du large soutien des militants, des élus, des animateurs du mouvement associatif qui l’avaient, en réalité, choisie depuis des mois.
- Intimidés par le chantage au vote utile d’un Jospin dont la terne campagne risquait de réduire le second tour à un affrontement au sein du RPR, les électeurs commencent à se dire que, si le candidat progressiste a besoin de toutes ses réserves dès le premier tour, il est inutile qu’il figure au second tour. La stabilisation de Jospin en seconde position achève de libérer les consciences...
- Enfin, une partie des électeurs qui préféraient clamer leur dégoût des années Mitterrand en votant protestataire (Hue, Laguiller) commencent à se dire que "1.500 francs pour tous, le patrons peuvent payer" (mot d’ordre inversé du credo des années-fric), c’est un peu court. Quid des exclus ? De la représentation des femmes ? Des lois Pasqua ? Du tiers-monde ? De la crise écologique globale ?
C’est ici que, tout résultat mis à part, la campagne Voynet opère comme un véritable catalyseur des rêves et des interrogations que la France a dans la tête, bien loin de la plus médiocre campagne de la Ve République.

Incroyable amalgame qui se réalise autour de Voynet ! De l’écologiste Raffin (le "Monsieur Défense de l’ours") à Fiterman, l’ancien ministre d’Etat communiste des Transports (qui, tirant le bilan de la tragédie du XXe siècle, confesse qu’il aurait dû "voter Dumont dès 1974"), en passant par les défenseurs des exclus (ceux de Droit au logement ou d’Agir ensemble contre le chômage), les féministes historiques du droit à l’avortement et les nouvelles combattantes du principe de parité, sans oublier les activistes de la lutte contre le sida ou de la dépénalisation du cannabis, les derniers Mohicans du soutien aux immigrés et les nouveaux solidaires des réfugiés algériens, qu’ont-ils, qu’ont-elles en commun ?

Comment comprendre le "et" de "Dominique Voynet, la candidate de l’écologie et de la solidarité" ?

Grave débat qui traverse la coalition des forces politiques soutenant cette candidature, les Verts et ex-Génération Ecologie d’une part, les "Alternatifs progressistes" ex-PS et ex-PC d’autre part. Pour les seconds, ce "et" représente une alliance entre le vieil humanisme social et le nouvel humanisme écologiste. Pour les premiers, "solidarité" et "démocratie" sont inclus dans le concept même d’écologie politique. Pour le public, le "et" ne va pas de soi : on s’étonne que l’écologie se préoccupe du social, on s’irrite au contraire d’entendre parler nucléaire et effet de serre quand le chômage déchire la société.

Pour la candidate, sans doute parce qu’elle est femme, jonglant entre les meetings et les biberons de sa dernière fille, parce qu’elle est habituée à ne pas découper la vie en rondelles, toute semble couler de la même source.

Et ce "naturel" pourrait bien coïncider avec le naturel du mouvement de l’Histoire.

Ce qui se noue en fait dans cette alchimie implicite ou difficilement théorisée, c’est peut-être la nouvelle conception du "progrès", multifacettes et irréductible aux intérêts d’une classe ou à l’épiphanie d’une Idée, si ce n’est l’idée d’espérance et l’exigence d’une transformation sociale.

Prenons le thème, central dans sa campagne, des 35 heures. Thème de rupture, devant lequel Jospin a reculé, parce que ses conseillers économiques lui ont montré que les 37 heures étaient la plus forte réduction du temps de travail possible sans poser la question du partage des revenus et sans s’attaquer aux hauts salaires.
Les 35 heures tout de suite, les 30 heures à la fin du siècle, seule mesure à même de réduire le chômage de moitié, c’est bien sûr une exigence de solidarité avec les exclus. Les 35 heures "avec maintien du niveau de vie pour les travailleurs", c’est bien sûr le choix d’une nouvelle alliance entre les exclus et les exploités plutôt que du bloc salarial de la vieille gauche ("de l’OS au cadre supérieur").
Mais, derrière ce choix précis d’une base sociale autour de laquelle rallier les classes moyennes, c’est tout une vision du progrès humain pour le XXIe siècle qui s’esquisse.

Le conquête du temps libre, parce que la révolution technologique en cours rompt la malédiction biblique "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front."

La priorité au temps libéré, parce que l’écosystème planétaire ne supporterait pas chez nous une reprise de la croissance matérielle comme dans les années 50, alors que le tiers-monde a, lui, besoin de cette croissance matérielle. La priorité au temps libéré, parce que le stress de la rivalité économique, avec ses vainqueurs surmenés et ses vaincus désespérés, est en train de ronger la santé mentale, physique et civique de notre société... Il y a un siècle, une alliance de médecins et de syndicalistes arrachait les premières lois de libération du travail : celles qui prohibaient le travail des enfants et faisaient reculer les taudis. On retrouve cette même alliance "pour la survie" de scientifiques (médecins ou agronomes) et de syndicalistes dans les municipalités "vertes" du Pérou ou les villages d’Afrique.
Avec Dominique Voynet, l’écologie d’aujourd’hui, dans le monde surdéveloppé, retrouve ces racines dans le combat pour la qualité de la vie et la convivialité. Combat exigeant, vote difficile ? Sans doute le seul vote utile.




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